Dans quelle mesure peut-on dire que Julien Sorel est un personnage romantique? Stendhal, le Rouge et le noir

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Stendhal, Le Rouge et le Noir

Dans quelle mesure peut-on dire que Julien Sorel est un personnage romantique ?

 

 

 

 

Romantisme est un mouvement littéraire apparu à la moitié du XIXe siècle. Il privilégie l’expression des sentiments, des émotions, et la communion avec la nature. Les romantiques français s’opposent au classicisme, auquel ils reprochent l’importance accordée aux règles théoriques, à l’ordre et à la clarté. Par ailleurs, les bouleversements politiques de la Révolution de 1789 ont transformé la société française, puis l’arrivée au pouvoir de Napoléon suscita un vif espoir chez les jeunes gens nés au début du siècle, appelés par Musset les « enfants du siècle ». Mais l’épopée Napoléonienne eut un dénouement tragique : l’Empereur chuta à Waterloo en 1815, emportant avec lui les espoirs de gloire. Ainsi, le héros romantique est un porte-parole de cette génération qui souffre.

Le Rouge et le Noir de Stendhal, œuvre phare du XIXe siècle, narre l’histoire d’un singulier personnage, Julien Sorrel, fils de charpentier ambitieux qui cherche à s’élever dans la société et qui, de ce fait, fait figure d’un héros typiquement romantique. Mais l’est-il réellement ?

 

 

JULIEN SOREL, UN HEROS ROMANTIQUE ?

 

 

Prouvons d’abord que Julien est un personnage romantique. En effet, il présente toutes les caractéristiques des héros de ce courant littéraire. Nous développerons chacune d’elle en les mettant en relation avec l’histoire et la personnalité de Julien.

 

1) Premièrement, le personnage romantique n’hésite pas à exprimer ses sentiments, souvent très forts, et résultant d’un mal de vivre appelé « mal du siècle » : il ne se sent pas à sa place dans la société. Julien est effectivement souvent en proie à de puissants sentiments, comme lorsqu’il tire sur Mme de Rênal lorsque celle-ci menace de gâcher le bonheur qu’il avait enfin trouvé en avouant leur relation dans une lettre. Il est parfois prit d’excès de désespoir, notamment lorsque Mathilde de La Mole joue avec son cœur : l’idée du suicide lui passe même par la tête, et il manque de la tuer, elle aussi, dans un accès de douleur psychologique. Il passe souvent d’états de bonheur extrême à un malheur profond, et dans la première partie du roman, surtout, ses accès de passion et de sensibilité semblent parfois le gouverner : ses sentiments le rendent maladroit lorsqu’il séduit Mme de Rênal, par exemple. Enfin, il est vu comme un personnage très sensible par Stendhal dans la phrase « Jamais il ne fera un bon prêtre, ni un grand administrateur. Les âmes qui s’émeuvent ainsi sont bonnes tout au plus à produire un artiste. ».

Par ailleurs, il n’est heureux qu’en dehors société, où il ne se sent pas à place et se voit contraint de jouer un rôle. Dans la première partie, lorsqu’il se rend chez son ami Fouqué à pied par exemple, il se cache dans une grotte où il sent libre et en sécurité. Il y est réellement heureux et n’a pas besoin d’être hypocrite. A la fin du roman, alors qu’il est condamné à mort, il est plus heureux qu’il ne la jamais été, car il oublie son ambition et l’idée de « devoir » qu’il s’était imposé. Il profite de ses derniers instants, peut enfin être lui-même et être aimé.

De plus, il est souvent malheureux à cause de l’hypocrisie et du jeu de rôle imposés par la société, notamment au séminaire. Or cet endroit est le miroir de la société : il y est très vite mis à l’écart, il s’y ennuie et se sent seul, malheureux. Les séminaristes ont peur de son intelligence et le rejettent. Il commence alors un jeu de rôle pour se faire accepter.

 

2) Cette sensibilité et ce mal de vivre rend le héros romantique isolé et insatisfait. Il a donc tendance à fuir la réalité, et est également très ambitieux. Julien est effectivement un personnage isolé, car dès le début, nous découvrons qu’il ne se sent pas à sa place dans sa famille. En effet, dans le chapitre 4 s’intitulant « un père et un fils ». Le passage : « le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor : personne ne répondit (…) au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le mécanisme, Julien lisait » nous prouve que ce dernier est rêveur, mais également que ses centres d’intérêts sont différents de ceux de son père, car il préfère lire plutôt que faire ce qui lui a été demandé.

Julien est un personnage ambitieux qui fuit la réalité. En effet, il n’est rien de plus que le fils d’un paysan, mais il rêve de gloire, il désire se faire une place dans la société, « faire fortune » afin de quitter le monde dans lequel il vit au plus vite « un jour il serait présenté aux jolies femmes de Paris ». Son ambition peut être considéré comme irréalisable : effectivement, il idéalise sa vie en essayant de devenir comme Napoléon Bonaparte, son idole « Julien ne passait peut-être pas une heure de sa vie sans se dire que Bonaparte, lieutenant obscur et sans fortune s’était fait le maitre du monde avec son épée ». Dans cet extrait, nous pouvons constater que Julien veut être comme Napoléon, il souhaite dominer le monde : son adoration pour ce personnage emblématique est sans limites, il aimerait pouvoir bénéficier du destin hors du commun de cet officier. Il est souvent en train de rêver et de s’imaginer un futur glorieux. De plus, son ambition peut se retranscrire par le fait qu’il tente de séduire des femmes séduisantes, appartenant à une classe sociale supérieure à la sienne : Mme de Rénal ainsi que Mathilde de La Mole. En les séduisant, c’est comme s’il essayait de se prouver qu’il peut attirer des gens de la haute société.

D’ailleurs, le personnage romantique accorde une importance capitale au moi, c’est-à-dire qu’il a un amour propre très prononcé. Cette caractéristique est bien présente chez Julien qui est très orgueilleux, et dont l’amour propre est très souvent mentionné. Il est convaincu d’être amené à faire de grandes choses, et ne veut pas uniquement une ascension sociale, mais aussi du respect, de la grandeur, du mérite. Il aspire à de grandes actions héroïques. Il possède une forte volonté d’être quelqu’un. Il ne veut pas seulement être riche, ou bien vivre : on le voit lorsque son ami Fouqué, marchand de bois, lui propose de devenir son associé, ce qui lui aurait permis une bonne situation. Il refuse, car « il perdrait lâchement sept ou huit années (…) mais, à cet âge, Bonaparte avait fait ses plus grandes choses », et il se sent lui aussi promis à de grandes choses. Il se compare également à Médée lorsqu’il craint d’être déshonoré par les prétendants de Mathilde, en citant la phrase « au milieu de tant de périls il me reste MOI ». Il s’affirme donc. Il a d’ailleurs une haute opinion de lui-même, et est facilement vexé lorsqu’il considère quelque chose comme étant rabaissant.

Il désire aussi être indépendant, et ne veut servir personne : il doit se faire violence pour être précepteur chez M. de Rênal ! De plus, il méprise les nobles, même s’il veut le devenir.

Par ailleurs, lors de ses conquêtes amoureuses, le bonheur lié à la satisfaction de l’amour propre domine : quand il séduit Mme de Rênal, il assimile cela à une guerre, c’est son « devoir » de lui prendre la main. Avant d’être réellement amoureux, il est heureux d’être aimé d’une femme si distinguée, si bien habillée, de cette catégorie sociale, ce qui est visible dès leur première rencontre, où il est satisfait de se trouver près d’une femme si bien vêtue, et qu’elle soit si douce avec lui. Nous le remarquons également lorsqu’il découvre que Mathilde s’intéresse à lui : son amour propre est satisfait, il est honoré de battre tous ses prétendants pourtant si distingués, riches, etc. Il n’est pas amoureux d’elle au début. De plus, lorsque Mathilde lui avoue à nouveau son amour il n’en pense pas moins : « La voilà donc, cette orgueilleuse, à mes pieds ! ».

 

3) Napoléon joue une grande importance dans ce roman : il est adulé par Julien dont il est le modèle. Or, c’est un personnage typiquement romantique !

Présentons rapidement ce personnage historique : son arrivée au pouvoir créé un vif espoir chez les jeunes gens nés au début du siècle, car il est issu d’un milieu modeste, et a réussi une ascension sociale fulgurante en devenant un grand empereur ! Il a mené et gagné beaucoup de guerres. Mais son épopée a un dénouement tragique, et il chute à Waterloo en 1815, emportant avec lui les espoirs de gloire, et inspirant les héros romantiques, porte-paroles de cette génération qui souffre.

Il est présent tout au long de l’aventure de Julien, qui le cite régulièrement. Dès sa première apparition, Stendhal nous parle de son admiration et de sa fascination pour Napoléon, car il est en train de lire le Mémorial de Sainte-Hélène au lieu de faire son travail, un livre parlant des ambitions de Napoléon, entretenant ainsi la légende d’un Napoléon conquérant.

De plus, Julien possède des livre sur cet Empereur, et son portrait, qu’il est contraint de cacher, ce qui est dangereux pour lui : mais il très important à ses yeux. Il ressent une forte admiration, et veut être aussi méritant, conquérant, célèbre que lui. C’est son modèle, il cherche la grandeur, comme lui.

Par ailleurs, ce sont « certaines choses que Napoléon dit des femmes (..) [qui] lui donnèrent » l’idée de séduire Mme de Rênal, dont il compare la conquête amoureuse à une guerre napoléonienne (« il l’observait comme un ennemi avec lequel il allait falloir se battre ») et il va jusqu’à se comparer lui-même à Napoléon, lorsqu’il observe un oiseau de proie, et envie sa force et son isolement se disant alors : « c’était la destinée de Napoléon, serait-ce un jour la sienne ? ». Il voudrait être comme lui, car il aspire au même destin grandiose. Il veut être quelqu’un, ou rien. De plus, l’idée de devoir, comme un soldat, le suit tout au long de la séduction de Mme de Rênal, et même du roman.

Il rêve également souvent d’être un soldat sous Napoléon : lorsqu’un roi passe à Verrières, Mme de Rênal parvient à le faire garde d’honneur. Il est en uniforme, monte à cheval, et porte un sabre. Il affirme alors être « le plus heureux des hommes ». Son ambition le rend hardi, il se tient très bien à cheval même si c’est la première fois qu’il se trouve en selle. D’ailleurs, pour son plus grand bonheur, son cheval rue et il ne tombe pas, ce qui le fait se sentir comme Napoléon, un héros, et il s’imagine être un officier de l’Empereur. Il est ensuite en proie à un bonheur sans bornes suite au bruit d’un canon « il ne songeait plus qu’à Napoléon et à la gloire militaire ». Lorsqu’il s’apprête à devenir séminariste et aperçoit la Citadelle de Besançon il regrette de pas pouvoir devenir soldat, car ce n’est plus à la mode, et ne lui permettrait pas l’ascension sociale qu’il escompte. Il est obligé de faire de nombreuses concessions et de cacher cette admiration, qui se fait de plus en plus discrète mais reste toujours présente dans son esprit.

Ainsi, lors de son arrivée à Paris, il se lance sur les traces de Napoléon et se rend à la Malmaison, la résidence de l’empereur, où il pleure. Plus tard, lorsqu’il est indécis, et qu’il a peur du déshonneur, car il croit que Mathilde lui ment et en prétendant l’aimer pour que ses prétendants le discréditent, il cite une phrase de Napoléon, qu’il prononce lors de la capitulation d’une armée en Espagne : « Il est des choses qu’on n’écrit pas », ce qui fait référence, dans le cas de Julien, aux lettres d’amour écrites par Melle de La Mole.

De plus, le dénouement tragique de l’histoire de Julien fait penser à celle de Napoléon, sauf que Sorel est guillotiné. Mais il s’assure une dimension héroïque en clamant sa culpabilité et exprimant son remords, tout en défendant les jeunes gens de sa classe sociale. Néanmoins, à ce moment, il lâche enfin l’idée de « devoir » qui l’avait animée jusque-là, et goûte au réel bonheur.

 

4) Les héros romantiques trouvent également un refuge pour retrouver une beauté et un sens à la vie dans la passion amoureuse. En effet, Julien vit deux grandes histoires d’amour au court du roman, qui lui apportent toutes deux du bonheur : d’abord auprès de Mme de Rênal, puis Mathilde de La Mole.

Avec Mme de Rênal, il « trouve un délicieux plaisir à être sincère », ce qui, justement, lui pose habituellement problème dans la société où il est contraint à une hypocrisie qui le rend malheureux. Les moments passés avec Mme de Rênal sont donc un refuge. Il voit à nouveau la beauté de la vie lorsqu’il est à ses côtés. De plus, alors qu’il doit quitter Mme de Rênal, il risque sa vie pour passer encore une nuit avec elle : il prend une échelle et grimpe à la fenêtre de sa chambre, elle le cache toute la nuit. C’est un moment de bonheur intense pour Julien, un refuge après les trois jours difficiles qu’il a déjà vécus au séminaire.

Il accomplit la même action héroïque pour Mathilde, et il vit nuit avec elle où il est « au comble du bonheur », et où elle lui donne tout un côté de ses cheveux. Lorsqu’elle ne l’aime plus, son ambition semble évanouie, car il est pleinement occupé à son amour pour elle et à sa reconquête : il a trouvé un nouveau sens à sa vie.

Enfin, lors de sa condamnation à mort, il ne veut voir que Mme de Rênal, qu’il aime éperdument. Il lui dit : « Je serais mort sans connaître le bonheur, si vous n’étiez venue me voir dans cette prison ». Là aussi, l’amour donne un sens à la vie qu’il lui reste, et apporte de la beauté à ses derniers jours.

 

5) Enfin, le héros romantique est en communion avec la nature, véritable miroir de ses émotions. C’est le cas pour Julien. En effet, nous pouvons observer que la nature occupe une place importante dans sa vie. La phrase « Julien poursuivait son chemin gaiement au milieu des plus beaux aspects que puissent présenter les scènes de montagnes. » est du point de vue de narrateur mais il s’agit là d’une focalisation interne. Un champ lexical mélioratif est utilisé (champ lexical de l’immensité « immense, imposant, grande »). Dans cette nature, il est heureux, il s’y sent bien, même en sécurité : « Ici, dit-il, avec des yeux brillants de joie, les hommes ne sauraient me faire de mal. ». Il y écrit ses pensées lorsqu’il est dans la grotte : « Il eut l’idée de se livrer au plaisir d’écrire ses pensées partout ailleurs si dangereux pour lui.» : il est inspiré par la nature. Elle peut être considérée comme une échappatoire dans la société dans laquelle la liberté d’expression n’existe pas. Il est en communion avec la nature « son âme s’égarait dans la contemplation de ce qu’il s’imaginait rencontrer un jour à Paris. » : il s’y imagine des choses, mais cette phrase est également un reflet de ses rêves de vie parisienne, et par conséquent, de son ambition.

Nous pouvons donc conclure que Julien est un personnage typiquement romantique, car il en présente tous les aspects. Nous allons maintenant procéder à l’analyse d’un passage qui illustre notre démonstration.

 

 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 30/07/2021

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