Lettre LXXXI, Les liaisons dangereuses, Laclos,

ORAUX EAF

 

 

Lettre LXXXI : LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT

[…]

Mais moi, qu'ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées ? quand m'avez-vous vue m'écarter des règles que je me suis prescrites, et manquer à mes principes ? je dis mes principes, et je le dis à dessein : car ils ne sont pas comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus sans examen et suivis par habitude, ils sont le fruit de mes profondes réflexions ; je les ai créés, et je puis dire que je suis mon ouvrage.

Entrée dans le monde dans le temps où, fille encore, j'étais vouée par état au silence et à l'inaction, j'ai su en profiter pour observer et réfléchir. Tandis qu'on me croyait étourdie ou distraite, écoutant peu à la vérité les discours qu'on s'empressait à me tenir, je recueillais avec soin ceux qu'on cherchait à me cacher.

Cette utile curiosité, en servant à m'instruire, m'apprit encore à dissimuler : forcée souvent de cacher les objets de mon attention aux yeux de ceux qui m'entouraient, j'essayai de guider les miens à mon gré ; j'obtins dès lors de prendre à volonté ce regard distrait que vous avez loué si souvent. Encouragée par ce premier succès, je tâchai de régler de même les divers mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m'étudiais à prendre l'air de la sérénité, même celui de la joie ; j'ai porté le zèle jusqu'à me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l'expression du plaisir. Je me suis travaillée avec le même soin et plus de peine, pour réprimer les symptômes d'une joie inattendue.

C'est ainsi que j'ai su prendre sur ma physionomie cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné. J'étais bien jeune encore, et presque sans intérêt : mais je n'avais à moi que ma pensée, et je m'indignais qu'on pût me la ravir ou me la surprendre contre ma volonté. Munie de ces premières armes, j'en essayai l'usage : non contente de ne plus me laisser pénétrer, je m'amusais à me montrer sous des formes différentes ; sûre de mes gestes, j'observais mes discours ; je réglai les uns et les autres, suivant les circonstances, ou même seulement suivant mes fantaisies : dès ce moment, ma façon de penser fut pour moi seule, et je ne montrai plus que celle qu'il m'était utile de laisser voir. Ce travail sur moi-même avait fixé mon attention sur l'expression des figures et le caractère des physionomies ; et j'y gagnai ce coup d'œil pénétrant, auquel l'expérience m'a pourtant appris à ne pas me fier entièrement ; mais qui, en tout, m'a rarement trompée. 

Je n'avais pas quinze ans, je possédais déjà les talents auxquels la plus grande partie de nos Politiques doivent leur réputation, et je ne me trouvais encore qu'aux premiers éléments de la science que je voulais acquérir.

Vous jugez bien que, comme toutes les jeunes filles, je cherchais à deviner l'amour et ses plaisirs : mais n'ayant jamais été au Couvent, n'ayant point de bonne amie, et surveillée par une mère vigilante, je n'avais que des idées vagues et que je ne pouvais fixer ; la nature même, dont assurément je n'ai eu qu'à me louer depuis, ne me donnait encore aucun indice. On eût dit qu'elle travaillait en silence à perfectionner son ouvrage.

Ma tête seule fermentait ; je ne désirais pas de jouir, je voulais savoir ; le désir de m'instruire m'en suggéra les moyens.

 

LECTURE ANALYTIQUE 5 : LACLOS, LES LIAISONS DANGEREUSES.

Lettre 81 première partie

: La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont.

Problèmatique

: En quoi la marquise de Merteuil est-elle différente des femmes de son époque ?

Plan :

I. La marquise de Merteuil n'accepte pas le rôle dévolu aux femmes du XVIIIème siècle.

A. Elle se sent différente des autres femmes.

1. Elle n'a eu aucun contact social et filial.

2. Elle ne semble avoir aucune émotion.

3. Elle méprise les autres femmes.

B. Elle se fait une idée personnelle sur le monde.

1. Elle observe la société.

2. Elle élabore ses "principes".

 

II. Elle cache sa personnalité sous un masque.

A. Elle est son "propre ouvrage".

1. Elle s'entraîne.

2. Elle se maîtrise.

B. Elle utilise ce masque à des fins personnels.

1. Elle prend plaisir à tromper les autres.

 

I. La marquise de Merteuil n'accepte pas le rôle dévolu aux femmes du XVIIIème siècle.

A. Elle se sent différente des autres femmes.

1. Elle n'a eu aucun contact social et filial.

- On ne l'a pas envoyée au couvent.

"n'ayant jamais été au couvent"

"n'ayant pas de bonne amie"

=> Parallélisme de construction

- Elle n'a pas reçu d'amour maternel.

"surveillée"

"mère vigilante"

=> Elle a beaucoup d'interdits et est seule.

2. Elle ne semble avoir aucune émotion.

- elle se pose des questions sur la société : on la courtise.

"comme toutes les jeunes filles"

"l'amour et ses plaisirs"

- elle est inquiète, elle se ressent pas d'attirance ni de désir.

"ne me donnait aucun indice" => aucun émoi

- elle est incapable de sentiments

elle se félicite de ne rien resentir : "je n'ai eu qu'à me louer"

"on eu dit qu'elle travaillait à perfectionner son ouvrage" => conditionnel passé.

3. Elle méprise les autres femmes

- elle méprise les autres femmes qui acceptent de ne pas exister dans la société.

"femmes inconsidérées" => rôle de la femme.

"les autres femmes" "suivre par habitude" => ton méprisant.

- elle montre qu'une jeune fille est inutile et transparente.

"on l'a conduite au silence et à l'inaction"

"presque sans intérêt"

B. Elle se fait une idée personnelle sur le monde.

1. Elle observe la société

- la solitude l'a conduit à l'observation

champ lexical de la vue

- en observant, elle va essayer de découvrir ses secrets.

champ lexical de la réflexion

- elle lève le masque

antithèses lignes 9 et 10. => elle a compri, car elle fait attention aux vérités qui se cachent sous les apparences.

2. Elle établit ses propres "principes".

- suite à cette double société, elle établit sa propre règle de conduite pour se protèger et connaître la vérité cachée.

champ lexical des principes : "règles", "ouvrages", "principes"

régles qu'elle suit à la lettre : "quand m'avez-vous ... prescrites " (lignes 1 et 2)

-son objectif est de ne pas laisser de prise à l'autre.

ligne 21 : "indignait ... ravir"

ligne 23 : "non contente ... pénétrer"

ligne 26 : "fut pour moi seule"

II. Elle cache sa personnalité sous un masque.

A. Elle est son "propre ouvrage".

1. Elle s'entraîne.

- elle devient l'objet de ses principes puisqu'elle devient une actrice jouant des rôles.

champ lexical du masque : "dissimuler", "cacher", "réprimer"

"je me suis travavaillée" => verbe pronominal

"travail sur moi-même" "ouvrage"

- elle se met elle-même en scène et répète son rôle

antithèses qui montrent qu'elle est une actrice, elle a des émotions différentes de ce qu'elle ressent.

-> ligne 16 : chagrin/sérénité et joie

-> lignes 17, 18 : douleurs/plaisirs

-> lignes 18,19 : indifférence/joie inatendue

"on me croyait"

champ lex de l'amusement : "je m'amusais" "je me montrais" " mes fantaisies"

=> elle a une expression neutre : " regard distrait"

2. Elle élabore ses "principes".

- son objectif est de tromper la société, elle s'autosurveille

verbes d'actions qui appartiennent au champ lex de la maîtrise : "prendre" "guider" "règler" "réprimer"

- ellle veut devenir imperméable au regard d'autrui

ligne 21 et 22 : "je m'indignais ... ma volonté"

métaphore révélatruice avec "armes" (ligne 23)

- elle est arrivée à sa parfaite maîtrise => sciences

"sure des mes gestes"

"les éléments de la science que je souhaitais acquérir" (lignes 31 32)

B. Elle utilise ce masque à des fins personnels.

1. Elle prend plaisir à tromper les autres.

- tous ces principes n'ont pas pour seule fin de se protèger : sa science va lui servir à tromper et manipuler les autres.

elle se compare aux "politiques" (l. 31) => capables d'argumenter pour avoir ce qu'ils souhaitent.

orgeuil de la marquise : talent égal aux orateurs alors qu'elle n'a pas que 15 ans. (l.28 29)

- elle cherche avec cette attitude tromper la vigilence d'autrui et surprendre les secrets

l.27 : "expression des figures" "caractère des physionomies" => personnage cynique.

"je ne désirais pas de jouir, je voulais savoir" l.38

2. Elle veut se venger de la société.

- c'est une féministe avant l'heure qui refse le rôle des femmes à cette époque.

elle se venge des hommes : Valmont, Gercourt, Prévan. => le libertin est un homme qui méprise les femmes.

elle se venge des femmes naïves, stupides.

- dès 15 ans, elle forme le projet de se venger.

"aux premiers éléments" l.31

"le désir de m'instruire m'en suggèra les moyens" l.38 39

"je recueillais avec soin ce qu'on cherchait à me dissimuler" l.10 11

 

Date de dernière mise à jour : 30/07/2021

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