Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, commentaire et questionnaires pour l'oral de l'EAF. Dénonciation de l'absurdité de la guerre
- Le 22/02/2019
- Dans Les oraux de français
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Problématique Comment l'auteur utilise t'-il son expérience personnelle pour montrer l'absurdité de la guerre ?
Séquence 1 : le roman, l'expérience de la guerre
Le personnage de roman du XVIIe à nos jours
Lecture analytique
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
Ces Allemands accroupis sur la route, têtus et tirailleurs, tiraient mal, mais ils semblaient avoir des balles à en revendre, des pleins magasins sans doute. La guerre décidément, n’était pas terminée ! Notre colonel, il faut dire ce qui est, manifestait une bravoure stupéfiante ! Il se promenait au beau milieu de la chaussée et puis de long en large parmi les trajectoires aussi simplement que s’il avait attendu un ami sur le quai de la gare, un peu impatient seulement.
Moi d’abord la campagne, faut que je le dise tout de suite, j’ai jamais pu la sentir, je l’ai toujours trouvée triste, avec ses bourbiers qui n’en finissent pas, ses maisons où les gens n’y sont jamais et ses chemins qui ne vont nulle part. Mais quand on y ajoute la guerre en plus, c’est à pas y tenir. Le vent s’était levé, brutal, de chaque côté des talus, les peupliers mêlaient leurs rafales de feuilles aux petits bruits secs qui venaient de là-bas sur nous. Ces soldats inconnus nous rataient sans cesse, mais tout en nous entourant de mille morts, on s’en trouvait comme habillés. Je n’osais plus remuer.
Le colonel, c’était donc un monstre ! À présent, j’en étais assuré, pire qu’un chien, il n’imaginait pas son trépas ! Je conçus en même temps qu’il devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armée, des braves, et puis tout autant sans doute dans l’armée d’en face. Qui savait combien ? Un, deux, plusieurs millions peut-être en tout ? Dès lors ma frousse devint panique. Avec des êtres semblables, cette imbécillité infernale pouvait continuer indéfiniment... Pourquoi s’arrêteraient-ils ? Jamais je n’avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses.
Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? pensais-je. Et avec quel effroi !... Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en autos, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants, à genoux, creusant, se défilant, caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre, comme dans un cabanon, pour y tout détruire, Allemagne, France et Continents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que les chiens, adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux ! Nous étions jolis ! Décidément, je le concevais, je m’étais embarqué dans une croisade apocalyptique.
On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant la place Clichy ? Qui aurait pu prévoir avant d’entrer vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ?
À présent, j’étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu… Ça venait des profondeurs et c’était arrivé.
Le colonel ne bronchait toujours pas, je le regardais recevoir, sur le talus, des petites lettres du général qu’il déchirait ensuite menu, les ayant lues sans hâte, entre les balles. Dans aucune d’elles, il n’y avait donc l’ordre d’arrêter net cette abomination ? On ne lui disait donc pas d’en haut qu’il y avait méprise ? Abominable erreur ? Maldonne ? Qu’on s’était trompé ? Que c’était des manoeuvres pour rire qu’on avait voulu faire, et pas des assassinats ! Mais non ! « Continuez, colonel, vous êtes dans la bonne voie ! » Voilà sans doute ce que lui écrivait le général des Entrayes, de la division, notre chef à tous, dont il recevait une enveloppe chaque cinq minutes, par un agent de la liaison, que la peur rendait chaque fois un peu plus vert et foireux. J’en aurais fait mon frère peu reux de ce garçon-là ! Mais on n’avait pas le temps de fraterniser non plus.
Voyage au bout de la nuit - Louis-Ferdinand Céline - Extrait
plan :
Problématique
Comment l'auteur utilise t'-il son expérience personnelle pour montrer l'absurdité de la guerre ?
I – Situation apocalyptique
A – paysage morne de fin du monde
B - Affronter l'invisible et la déshumanisation
II - Le point de vue d'un personnage en rupture avec la situation
A – Un point de vue immersif
B – Personnage qui doute mais qui est lucide et honnête
III – Destruction de l'héroisme guerrier
A – Prise de distance avec la hiérarchie militaire
le texte propose une redéfinition de l'héroisme
B – Découverte de la médiocrité du monde et de l'absurdité
Introduction
Au 20ème siècle, les guerres ont beaucoup marqué les esprits et traumatisé la population. Les écrivains en étaient les témoins, c'est le cas de Louis Ferdinand Céline.
Il fut blessé au combat et reconnu comme invalide de guerre en 1930. Il écrit un livre Voyage au bout de la nuit dans lequel il propose une vision des choses lucide et sombre en mettant en scène Ferdinand Bardamu, le héros qui s'engage dans l'armée par patriotisme. Le roman commence en 1914.
Afin de répondre à notre question : comment l'auteur utilise son expérience personnelle pour montrer l'absurdité de la guerre, nous verrons dans un premier temps, la situation apocalyptique, le point de vue du personnage en rupture avec la situation et en dernier lieu, la destruction de l'héroisme guerrier.
Questionnaire sur l'introduction
Les guerres ont-elles marqué l'écrivain Louis-Ferdinand Céline ?
Dans quel ouvrage Louis Ferdinand Céline propose t'-il sa vision du monde ?
Quand le roman commence t'-il ?
I - Une situation apocalyptique
A – Un paysage morne de fin de monde
Bardamu découvre la réalité de la guerre dans un environnement campagnard : il s'attache à mettre en avant les dangers et l'absurdité de la guerre.
«Campagne », paysage morne : La description est péjorative doublée d'une provocation «je n'ai jamais pu la sentir ». On peut mettre en avant la tournure familière. Les lieux sont déserts, «ses maisons où les gens n'y sont jamais et ses chemins qui ne vont nulle part ». Tout semble dépourvu de sens, tout est vide, triste, dépeuplé. Le paysage est automnal - les éléments du paysage comme le vent ou les peupliers sont contaminés par le vocabulaire de la guerre : l’adjectif « brutal », rejeté au milieu de la phrase vient caractériser le vent, tandis que le narrateur parle des « rafales de feuilles » à propos des arbres : le champ lexical de la nature se mêle et se confond avec le champ lexical de la guerre. Cet aspect est renforcé par l'allitération en « f » avec «rafales de feuilles ». Le danger de la guerre est connoté par la métonymie hyperbolique « mille morts » qui évoque les balles. Le paysage évoqué est celui d'une fin du monde, la situation est apocalyptique.
Questionnaire
Dans quel environnement, Bardamu découvre t'-il la guerre ?
Relevez les expressions qui montrent que la description du paysage est péjorative
Montrez en relevant les expressions du texte que le champ lexical de la nature se mêle à la guerre
Relevez une allitération en «f »
Relevez une métonymie hyperbolique
B – Affronter l'invisible et la déshumanisation du monde
Bardamu est seul face au reste du monde ainsi que le suggère l'hypertrophie du moi, on note en effet la présence de la première personne du singulier/ Le « nous » et le « on » désignent les soldats mais l'essentiel est transcrit à la première personne.
C'est ainsi que Bardamu présente le monde qu'il découvre
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Le narrateur « perdu » s'oppose à cette masse d'hommes décidés à faire la guerre «deux millions de fous héroiques et déchainés ». On peut noter la présence de l'oxymore «fous héroiques » qui rappelle la « boucherie héroique » du Candide de Voltaire.
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Oubli des négations « j'ai jamais pu la sentir », « c'est à pas y tenir » = cela traduit l'exaspération du personnage
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Pléonasme « on y ajoute la guerre en plus » = indignation du jeune personnage naif qui découvre la guerre et l'absurdité du monde
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Rupture avec son quotidien « puceau de l'horreur ». La guerre est une expérience qui marque un avant et un après.
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Découverte d'un monde déshumanisé
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Peur, angoisse de la mort, des balles qu'on ne voit pas venir, la guerre est partout mais invisible comme quelque chose de diffus, elle nous entoure, la mort est là comme quelque chose qu'on ne voit pas et qui pourtant nous menace.
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Des hommes programmés pour tuer : lignes 22 à 29
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Les Allemands sont assimilés à une masse. La guerre à une « croisage apocalyptique ».
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La guerre est perçue comme un meurtre, un crime, une guerre non légitime. Le colonel est un « monstre ». On note la gradation « beaucoup des comme lui dans notre armée, des braves.... armée d'en face ». Première gradation accentuée par une seconde « un, deux, plusieurs millions peut-être en tout ».
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Le déferlement des armées est développé sur sept lignes, « sur motos... « avec une gradation «Allemagne, France et continents ».
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La guerre est une «croisade apocalyptique».
Questionnaire
Comment Bardamu apparaît-il face au reste du monde ?
Analysez l'expression « fous héroiques »
Que rappelle t'-elle comme autre expression dans le chapitre sur la dénonciation de la guerre de Candide de Voltaire ?
Comment l'exaspération du personnage est-elle traduite ?
Montrez en citant le texte que les hommes sont programmés pour tuer
La guerre est-elle perçue comme un acte patriotique ou comme un meurtre ?
Relevez deux gradations
II - Le point de vue d'un personnage en rupture avec la situation
A – Un point de vue immersif
Le point de vue est interne «je». Il y a une oralité du discours, un langage parlé «j'ai trouvé trouvé que...» = jugement personnel. Le lecteur découvre un soldat peureux dont la prise de conscience est progressive. Ce n'est pas un soldat modèle, c'est un contre-modèle, très loin de l'image du héros guerrier, soldat. Il y a une rupture avec le concept de 1914 car les hommes partaient à la guerre avec le sentiment de bien faire, de remplir leur devoir. La ponctuation manifeste l'étonnement et l'incompréhension du personnage en proie aux doutes «qu'on s'était trompé». Il va jusqu'à douter du colonnel et se demande si c'est «un monstre»: Le colonel, c’était donc un monstre ! Puis vient l'angoisse soulignée par la gradation «Il devait y en avoir beaucoup des comme lui... », combien ? « Un, deux, plusieurs millions peut-être en tout ? ». Les questionnements existentiels se poursuivent et on sent la solitude du personnage qui continue de douter, de s'interroger. Il en vient à douter de lui-même : Serais-je donc le seul lâche sur la terre ?
Questionnaire
Montrez que le soldat est un contre-modèle
La notion de devoir est-elle remise en question ?
Expliquez « le colonel, c'était donc un monstre »
Comment comprenez-vous la phrase «serais-je donc le seul lâche sur la terre ? »
B – Personnage qui doute mais qui est lucide et honnête
Nous avons un personnage qui doute. Ce n'est pas un héros. Il y a une rupture de l'idéal nationaliste.
C'est un personnage lucide et honnête. Il reconnaît sa lâcheté: «ma frousse devint panique». Il ne s'associe pas au colonel mais à un homme frêle, agent de liaison : « un agent de la liaison, que la peur rendait chaque fois un peu plus vert et foireux. J’en aurais fait mon frère peureux de ce garçon-là ! ». Il se retrouve malgré lui pris dans les feux d'une guerre à laquelle il ne comprend rien, à laquelle il ne participe pas, rongé par la peur dans la masse.
Le personnage souligne une idée essentielle: La déshumanisation qu'entraîne la guerre.
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les hommes ne partagent pas leurs sentiments, n'échangent pas, ne partagent plus rien : « on n’avait pas le temps de fraterniser »
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Les hommes à la guerre deviennent des meurtriers : « vers le meurtre en commun » et « la sale âme héroïque et fainéante des hommes ».
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Bardamu rend sa solitude plus sensible en accentuant le nombre de tous ceux qui ne sont pas comme lui, du colonel qualifié de monstre à « beaucoup des comme lui » puis « tout autant dans l'armée d'en face ». Le narrateur s'oppose ainsi à «deux millions de fous héroiques ».
Questionnaire
Bardamu est-il un héros ?
Donnez une définition du héros et du anti-héros
Quels sont les éléments du texte qui montre la déshumanisation qu'entraîne la guerre ?
Quelle citation montre que la condition humaine toute entière est ciblée à travers l'accusation de « meurtre en commun » ?
III – Destruction de l'héroisme guerrier
A – Prise de distance avec la hiérarchie militaire
On peut parler d'une destruction de l'héroisme guerrier et une prise de distance avec la hierarchie militaire. Le colonel est démystifié, déshumanisé, animalisé «il est pire qu'un chien ». Le narrateur est effrayé par la froideur de son chef, il le regarde stupéfait. Céline a appelé le général, «le général des Entrayes » ainsi malgré la particule de noblesse, on devine l'ironie de sa fonction qui est d'envoyer le plus de soldats possible à la mort. La guerre semble voulue par le gouvernement et la société.
le texte propose une redéfinition de l'héroisme : Il détruit la hiérarchie et le pouvoir de l'époque, les valeurs patriotiques ainsi que le suggère l'oxymore «fous héroiques ». L'animalisation des soldats montre que le guerrier n'est pas un héros. Il y a une redéfinition du l'héroisme. Le devoir patriotique n'est plus recherché dans l'exercice de la guerre.
« fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en autos, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants, à genoux, creusant, se défilant... » = La guerre est assimilée à un débordement incontrôlable et sans but. Il y a un renversement des valeurs.
« Avec des êtres semblables, cette imbécillité infernale pouvait continuer » = la guerre devient une imbécillité et les soldats sont apparentés à des « êtres semblables ». Le soldat n'est plus un héros.
Questionnaire
Peut-on parler d'une destruction de l'héroisme guerrier ? Une prise de distance avec la hiérarchie militaire ?
Comment le général est-il représenté ? Relevez les expressions le qualifiant.
Expliquez « le général des Entrayes »
Le soldat est-il encore un héros ?
B – Découverte de la médiocrité du monde et de l'absurdité
Bardamu va développer une réflexion qui est en fait la prise de conscience de ce qu’est réellement la guerre. Sa réflexion est personnelle. Les verbes qui traduisent la réflexion « « je conçus », « pensais-je », « je le concevais »
Il y a une forme de généralisation sur la nature humaine : «cette sale âme héroïque et fainéante des hommes ».
Les hommes sont responsables du mal. La guerre engendre le massacre, les tueries collectives et l'homme est un outil pour commettre le mal. Une réflexion sur l'absurdité du monde est engagée. On peut citer:
« Jamais je n’avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses ». Ce passage donne au lecteur l'image d'un monde déshumanisé par des hommes appelés soldats devenus criminels. L'idée de combat, de vie, de mort, de guerre n'aplus de sens. L'absurde domine. L'homme tue l'homme et le soldat meurtrier n'est pas un héros. Le narrateur perd ses illusions. Le narrateur met en cause ceux qui ont le pouvoir. C'est une condamnation générale, « sentence des hommes et des choses ».
Questionnaire
Quelle est la prise de conscience de Bardamu ?
Quelle est sa prise de conscience ?
Relevez les verbes de réflexion
Quelle impression le lecteur a t'-il ?
Conclusion
Le pessimisme domine cet extrait articulé autour de la notion «d'absurde » déjà présente chez d'autres écrivains comme Camus. La nouveauté de ce texte se situe dans le langage familier. Il révolutionne le roman du Xxème siècle.
La guerre est la première étape de ce voyage au bout de la nuit qui donne son titre au roman. Ce passage est un moment essentiel du livre. Le lecteur découvre Bardamu, un anti-héros remettant en cause la société et revendiquant sa lâcheté en critiquant la guerre.
Ouverture : Retrouvons-nous cette force de dénonciation de la guerre dans Candide de Voltaire ?
Questions générales
Quelle est la position du narrateur dans le récit ?
Le point de vue ?
Que permet ces choix ?
Analysez et qualifiez le langage du narrateur
Montrez que l'horreur est renforcée par le langage
Quel jugement le narrateur porte -il sur la hiérarchie ?
Quel sentiment domine en lui ?
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