À l’ouest rien de nouveau, Erich Maria Remarque. La prise de conscience de l'humanité de l'ennemi
- Le 21/11/2017
- Dans Commentaires EAF, français
- 0 commentaire
En quoi la guerre peut-elle avoir un effet irrémédiable sur l'homme?
Commentaire du texte d’Erich Maria Remarque
À l’ouest rien de nouveau
À trois heures de l’après-midi, il est mort. Je respire mais pour peu de temps. Le silence me paraît
bientôt plus pénible à supporter que les gémissements. Je voudrais encore entendre son râle saccadé, rauque, parfois siffl ant doucement et puis de nouveau rauque et bruyant.
Ce que je fais n’a pas de sens. Mais il faut que j’aie une occupation. Ainsi, je déplace encore une fois le mort pour qu’il soit étendu commodément. Je lui ferme les yeux. Ils sont bruns ; ses cheveux sont noirs, un peu bouclés sur les côtés. (…)
Mon état empire toujours ; je ne puis contenir mes pensées (…) Certainement le mort aurait pu vivre encore trente ans, si j’avais mieux retenu mon chemin. (…)
Le silence se prolonge. Je parle, il faut que je parle. C’est pourquoi, je m’adresse à lui en lui disant : « Camarade, je ne voulais pas te tuer. Si, encore une fois, tu sautais dans ce trou, je ne le ferais plus, à
condition que tu sois aussi raisonnable. Mais d’abord, tu n’as été pour moi qu’une idée, une combinaison née dans mon cerveau et qui a suscité une résolution ; c’est cette combinaison que j’ai poignardée. À présent, je m’aperçois pour la première fois que tu es un homme comme moi. J’ai pensé à tes grenades,
à ta baïonnette et à tes armes ; maintenant c’est ta femme que je vois, ainsi que ton visage et ce qu’il y a en nous de commun. Pardonne-moi camarade. Nous voyons les choses toujours trop tard. Pourquoi ne nous dit-on pas sans cesse que vous êtes de pauvres chiens comme nous, que vos mères se tourmentent
comme les nôtres et que nous avons tous la même peur de la mort, la même façon de mourir et les mêmes souffrances ? Pardonne-moi camarade, comment as-tu pu être mon ennemi ? Si nous jetions ces armes et cet uniforme, tu pourrais être mon frère, tout comme Kat et Albert2. Prends vingt ans de ma vie, camarade et lève-toi… Prends-en davantage, car je ne sais pas ce que, désormais, j’en ferai encore ». (…)
Tant que j’ignore son nom, je pourrai peut-être encore l’oublier ; le temps effacera cette image. Mais son nom est un clou qui s’enfoncera en moi et que je ne pourrai plus arracher. Il a cette force de tout rappeler, en tout temps ; cette scène pourra toujours se reproduire et se présenter devant moi. Sans savoir que faire, je tiens dans ma main le portefeuille. Il m’échappe et s’ouvre. Il en tombe des portraits et des lettres. Je les ramasse pour les remettre en place ; mais la dépression que je subis, toute cette situation incertaine, la faim, le danger, ces heures passées avec le mort ont fait de moi un désespéré. (…) Ce mort est lié à ma vie ; c’est pourquoi je dois tout faire et tout promettre, pour me sauver ; je jure aveuglément que je ne veux exister que pour lui et pour sa famille. Les lèvres humides, c’est à lui que je m’adresse et, ce faisant, au plus profond de moi-même réside l’espoir de me racheter par là et peut-être ici encore d’en réchapper, avec aussi cette petite ruse qu’il sera toujours temps de revenir sur ces serments. J’ouvre le livret et je lis lentement : « Gérard Duval, typographe. »
J’inscris avec le crayon du mort l’adresse sur une enveloppe et puis, soudain, je m’empresse de remettre le tout dans sa veste. J’ai tué le typographe Gérard Duval. Il faut que je devienne typographe, pensé-je tout bouleversé, que je devienne typographe, typographe…
- Commentaire littéraire
- Problématique possible:
- En quoi la guerre peut-elle avoir un effet irrémédiable sur l'homme?
- Plan proposé:
- I -
- Une scène de prise de conscience
- Une scène intimiste: le narrateur en présence d'un ennemi mort
- La prise de conscience de l'humanité de l'ennemi
- Un camarade, un frère, au autre soi-même
- II –
- Avec un impact psychologique irrémissible
- Un bouleversement émotionnel
- Une sensation de culpabilité
- Une volonté de retour en arrière, d'expier son acte