Première partie de l'entretien : scène 8, les acteurs de bonne foi. Une nouvelle scène d'exposition, le marivaudage

 

 

Première partie de l'entretien : scène 8

Scène 8, Les Acteurs de bonne foi, Marivaux

Introduction :

Marivaux, auteur incompris du XVIIIème siècle est surtout connu pour ses pièces qui traitent de "la métaphysique du cœur", ce qu'on a appelé le marivaudage. Il dit avoir "guetté dans le cœur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l'amour lorsqu'il craint de se montrer", et chacune de ses comédies a pour objet de le faire sortir d'une de ses niches. Parmi elles, les Acteurs de bonne foi (1748), dont nous étudierons ici la scène 8.

Problématique :

en quoi pouvons nous parler de cette scène comme d'une nouvelle scène d'exposition?

I. Une nouvelle scène d’exposition

1) Une nouvelle comédie

· Un nouveau metteur en scène

Madame Hamelin, comme Merlin, se fait metteur en scène : elle invente donc un canevas (« je vais feindre d’être si rebutée du peu de complaisance qu’on a pour moi, que je paraîtrai renoncer au mariage de mon neveu avec Angélique », p. 39, l. 15 à 17), distribue les rôles et dirige ses comédiens (« Vous n’avez qu’à vous conformer à ce que je vais faire », p. 40, l. 34- 35).

· Nouvelle intrigue

Si la comédie de Merlin mettait en scène les valets, celle-ci met en scène les maîtres :

- Deux actrices conscientes de jouer un rôle, Madame Hamelin et Araminte ;

- Des acteurs qui ignorent qu’ils jouent un rôle, Madame Argante, Angélique, Éraste.

2) Le rôle de la pièce de Mme Hamelin

· La fonction de divertissement du théâtre

Comme Merlin, Madame Hamelin envisage le théâtre comme un divertissement « j’ai voulu rire, et je rirai », « je me divertis », « riant », « en riant », « plaisant »… mais aussi comme un moyen de tester ou de corriger la réalité : sa comédie est en effet une vengeance.

· Une vengeance personnelle

Madame Hamelin veut avant tout s’en prendre à Madame Argante, responsable de l’annulation de la pièce de Merlin (« c’est qu’au lieu de la lui donner, il faudra qu’elle me la donne, et qu’elle la joue, qui pis est »).

II. La cruauté du Marivaudage

1) Des victimes collatérales

· Araminte, actrice, ou de bonne foi ?

A priori, les acteurs de bonne foi devraient être ceux qui ignorent qu’ils jouent un rôle. Ils ne risquent pas de feindre, mais vont réagir avec une grande sincérité.

Toutefois, on peut aussi imaginer qu’Araminte sera de bonne foi. En effet, le rôle que lui propose Madame Hamelin pourrait être exactement ce dont rêvait cette jeune veuve riche…

Dans la réplique que lui adresse Madame Hamelin pour lui expliquer son rôle, on ne sait où s’arrête la réalité et où commence la fiction. S’il est vrai qu’Araminte a « trois fois plus de bien qu’Angélique », qu’elle est « veuve, et jeune encore », est-il vrai qu’elle a fait « confidence de [son] inclination » pour Éraste ou Madame Hamelin emploie-t-elle l’indicatif pour aider son amie à mieux tenir son rôle ? Araminte est assimilable à Colette, ce sont les grandes frustrées de la pièce.

· Les amants meurtris

Les deux jeunes amants risquent d’être victimes de la vengeance de Mme Hamelin, « car ils ne sauront pas que [Madame Hamelin] se diverti[t] ». Ils vont donc croire leur mariage menacé pendant quelques heures, ce qui éprouvera leur amour.

2) Un regard lucide sur le mariageL’intrigue inventée par Mme Hamelin est tout à fait plausible, et donc inquiétante pour les amants, car le mariage repose à cette époque moins sur les sentiments que sur l’équilibre des fortunes, or Araminte est beaucoup plus riche que ne l’est Angélique. Elle représente donc un parti plus avantageux.

Cette scène oppose deux conceptions du mariage : l’une est réaliste et met en avant le rôle de l’argent, l’autre est propre à la comédie et suppose la victoire de l’amour sincère des deux jeunes premiers. Ainsi, le mariage imaginé par Madame Hamelin est plus réaliste que celui qui est programmé par la pièce cadre et attendu par le spectateur.

Conclusion :

Cette scène peut donc être considérée comme une nouvelle scène d’exposition [récapituler l’explication]

Ouverture : faire un parallèle avec la scène 1

TEXTE :

Scène 8

MADAME AMELIN, ARAMINTE

MADAME AMELIN, un moment seule.

Vous avez pourtant beau dire, Madame Argante ; j'ai voulu rire, et je rirai.

ARAMINTE

Eh bien, ma chère ! où en est notre comédie ? Va-t-on la jouer ?

MADAME AMELIN

Non ; Madame Argante veut qu'on rende l'argent à la porte.

ARAMINTE

Comment ! Elle s'oppose à ce qu'on la joue ?

MADAME AMELIN

Sans doute ; on la jouera pourtant, ou celle-ci, ou une autre. Tout ce qui arrivera de ceci, c'est qu'au lieu de la lui donner, il faudra qu'elle me la donne et qu'elle la joue, qui pis est, et je vous prie de m'y aider.

ARAMINTE

Il sera curieux de la voir monter sur le théâtre ! quant à moi, je ne suis bonne qu'à me tenir dans ma loge.

MADAME AMELIN

Écoutez-moi ; je vais feindre d'être si rebutée du peu de complaisance qu'on a pour moi, que je paraîtrai renoncer au mariage de mon neveu avec Angélique.

ARAMINTE

Votre neveu est en effet un si grand parti pour elle...

MADAME AMELIN, en riant.

Que la mère n'avait pas osé espérer que je consentisse ; jugez de la peur qu'elle aura, et des démarches qu'elle va faire ? Jouera-t-elle bien son rôle ?

ARAMINTE

Oh ! D'après nature.

MADAME AMELIN, riant.

Mon neveu et sa maîtresse seront-ils, de leur côté, de bons acteurs, à votre avis ? Car ils ne sauront pas que je me divertis, non plus que le reste de mes acteurs.

ARAMINTE

Cela est plaisant, mais il n'y a que mon rôle qui m'embarrasse : à quoi puis-je vous être bonne ?

MADAME AMELIN

Vous avez trois fois plus de bien qu'Angélique : vous êtes veuve, et encore jeune. Vous m'avez fait confidence de votre inclinaison pour mon neveu, tout est dit. Vous n'avez qu'à vous conformer à ce que je vais faire : voici mon neveu, et c'est ici la première scène, êtes-vous prête ?

ARAMINTE

Oui.

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Date de dernière mise à jour : 26/07/2021

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