La découverte de l'autre avec Diderot, Lacarrière et Victor Segalen. Quel regard les auteurs de ces textes portent-ils sur l’autre ?

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La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation, du XVIe siècle à nos jours : la découverte de l'autre avec Diderot, Lacarrière et Victor Segalen

 

Objet d’étude : La question de l’Homme dans les
genres de l’argumentation, du XVIe siècle à nos jours

La question de corpus


Corpus de textes :
Texte A : Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville (1796)
Texte B : Jacques Lacarrière, L’Été grec (1975)
Texte C : Victor Segalen, Essai sur l’exotisme (1978)
 

Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville (1796)

Dans cet ouvrage, Diderot imagine un supplément au récit de voyage que fi t l’explorateur Bougainville en 1771,
lorsqu’il revint de son tour du monde. Deux voyageurs, A et B, discutent sur les différentes étapes de ce récit.
Le texte que nous étudions rapporte le soi-disant dialogue, tenu entre un vieux chef tahitien et le navigateur
qui s’apprête à quitter avec ses hommes l’île de Tahiti. C’est le chef tahitien qui parle.
Tu es venu ; nous sommes-nous jetés sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ? t’avons-nous
saisi et exposé aux fl èches de nos ennemis ? t’avons-nous associé dans nos champs au travail de nos
animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. Laisse-nous nos mœurs ; elles sont plus sages et
plus honnêtes que les tiennes ; nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance contre
tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons. Sommes-nous dignes
de mépris, parce que nous n’avons pas su nous faire des besoins superfl us ? Lorsque nous avons faim,
nous avons de quoi manger ; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir. Tu es entré dans nos
cabanes, qu’y manque-t-il, à ton avis ? Poursuis jusqu’où tu voudras ce que tu appelles les commodités
de la vie ; mais permets à des êtres sensés de s’arrêter, lorsqu’ils n’auraient à obtenir, de la continuité
de leurs pénibles efforts, que des biens imaginaires. Si tu nous persuades de franchir l’étroite limite du
besoin, quand fi nirons-nous de travailler ? Quand jouirons-nous ? Nous avons rendu la somme de nos
fatigues annuelles et journalières la moindre qu’il était possible, parce que rien ne nous paraît préférable
au repos. Va dans ta contrée t’agiter, te tourmenter tant que tu voudras, laisse-nous reposer : ne nous
entête ni de tes besoins factices, ni de tes vertus chimériques. Regarde ces hommes ; vois comme ils sont
droits, sains et robustes. Regarde ces femmes ; vois comme elles sont droites, saines, fraîches et belles.
Prends cet arc, c’est le mien ; appelle à ton aide un, deux, trois, quatre de tes camarades, et tâchez de
le tendre. Je le tends moi seul. Je laboure la terre ; je grimpe la montagne ; je perce la forêt ; je parcours
une lieue de la plaine en moins d’une heure. Tes jeunes compagnons ont eu peine à me suivre ; et j’ai
quatre-vingt-dix ans passés.

Texte B : Jacques Lacarrière, L’été grec (1975)

Jacques Lacarrière (1925-2005) journaliste et écrivain, s’est très tôt passionné pour la Grèce, aussi bien antique que moderne.

Son ouvrage, L’Été grec, est à la fois un essai, un carnet de voyage et un hommage rendu
au peuple et à la terre grecs. Il semble écrit au fi l de ses découvertes.
« Il est diffi cile de défi nir avec précision les frontières séparant ce que j’appellerai l’hospitalité rituelle –
celle que l’on reçoit par principe dès qu’on se trouve dans un village grec ou crétois dépourvu d’hôtel –
de l’hospitalité réelle, celle que l’on vous propose parce que l’on tient à vous avoir, à vous garder.

Passer de l’un à l’autre, devenir hôte recherché après n’avoir été qu’hôte accueilli, ne dépend plus que de
vous-même. Ce changement repose sur mille attitudes de détail, mille signes devenus aujourd’hui sans
valeur mais qui ont dû jouer un grand rôle autrefois quand l’hospitalité était le seul mode d’accueil et de
rencontre des groupes ou des individus. Ces signes ? Eh bien votre tête, pour commencer, l’impression
immédiate que vous donnez avec votre regard, votre visage (car l’habillement, l’allure ne viennent que
bien ensuite : ceux-là on peut les fabriquer comme on veut, se donner l’apparence qu’on veut mais on ne
change pas le sens, la profondeur ou la malignité de son regard), impression qui repose bien entendu sur
quelque substrat inconscient et qui fait qu’on vous ressent d’emblée comme bénéfi que ou indifférent,
amical ou hostile, proche ou lointain. Et puis votre attitude, votre comportement à l’égard du nouveau
milieu et de ses habitudes (ce qui n’est pas toujours sans problèmes concrets, drôles ou pénibles selon
les cas), attitude qui doit faire de vous un hôte à la fois invisible et présent : invisible parce que vous devez
oublier vos propres habitudes, vous fondre autant que possible dans le nouveau milieu, présent parce
qu’au fond, ce qu’on attend de vous n’est pas que vous deveniez brusquement crétois pour un seul soir,
mais d’être et de rester un visiteur français chez les Crétois, avec tout ce que vous pouvez apporter,

fournir à votre tour d’insolite ou simplement de méconnu.
Ces remarques paraîtront peut-être banales et superfl ues et pourtant, ces voyages dans la Crète du
sud où, pendant des jours et des jours je n’ai vécu qu’ainsi, de village en village, de familles en familles,
d’hôtes en hôtes, ces voyages n’ont pas seulement métamorphosé les habitudes de mon corps mais
surtout ma façon d’être avec les autres. Ils ont créé en moi ce goût, ce besoin même de rencontres avec
les inconnus, cette confi ance immédiate à l’égard d’autrui (qui en dépit de tous les pronostics n’a jamais
été démentie par les faits depuis tant et tant d’années que je voyage ainsi, à croire que parmi les signes
invisibles et nécessaires à ces rencontres, fi gure d’abord la confi ance).

Rien de tout cela ne s’apprend évidemment à la Sorbonne ni à aucune autre école mais seulement sur le terrain, au sens propre du terme :
savoir se faire accepter par les autres, arriver à l’improviste sans être jamais un intrus,

rester entièrement soi-même tout en renonçant à ses acquis et à ses habitudes, bref devenir autonome à l’égard de
sa naissance et lié à tous les lieux, à tous les êtres qu’on rencontre, c’est cela que m’apprit la Crète. Là,
dans ces villages misérables, au milieu de ces familles si pauvres et si chaleureuses pourtant, j’ai pu
enfi n me délivrer du lieu de ma naissance, rompre ce faux cordon ombilical que tant d’êtres traînent avec
eux toute leur vie. Là, j’ai commencé mon apprentissage de véritable voyageur. Qu’est-ce, me direz-vous,
qu’un véritable voyageur ? Celui qui, en chaque pays parcouru, par la seule rencontre des autres et l’oubli
nécessaire de lui-même, y recommence sa naissance ».
 
Texte C : Victor Segalen, Essai sur l’exotisme (1978)

Victor Segalen est un médecin, ethnologue, archéologue français (1878-1919) qui a vécu en Polynésie et en
Chine. Il a longuement travaillé sur les stèles funéraires de la dynastie Han (de 200 av. J.C. à 200 ap. J.C.) et il
a publié des rapports archéologiques et des romans (Les Immémoriaux en 1907, Stèles en 1912, René Leys
en 1922). Beaucoup ont été publiés après sa mort accidentelle en 1919, réunis sous le titre d’Essai sur l’exotisme.

Il a renouvelé l’image de l’exotisme, en refusant l’aspect naïf et un peu fi er avec lesquels les écrivains
« exotiques » de son époque découvraient ces contrées jusque-là peu visitées.
« Avant tout, déblayer le terrain. Jeter par-dessus bord tout ce que contient de mésusé1 et de rance
ce mot d’exotisme. Le dépouiller de tous ses oripeaux : le palmier et le chameau ; casque de colonial ;
peaux noires et soleil jaune ; et du même coup se débarrasser de tous ceux qui les employèrent avec une
faconde2 niaise (...)
Puis, dépouiller ensuite le mot d’exotisme de son acception seulement tropicale, seulement géographique.

L’exotisme n’est pas seulement donné dans l’espace, mais également en fonction du temps.
Et en arriver très vite à défi nir, à poser la sensation d’Exotisme : qui n’est autre que la notion du différent ;
la perception du Divers ; la connaissance que quelque chose n’est pas soi-même ; et le pouvoir d’exotisme, qui n’est que le pouvoir de concevoir autre.
En étant arrivé à ce Rétrécissement progressif d’une notion si vaste en apparence qu’elle semblait, au
début, comprendre le Monde et les Mondes ; l’ayant dépouillée des scories innombrables, des bavures, des
taches, des ferments et des moisissures qu’un si long usage tant de bouches, tant de mains prostitueuses
et touristes – lui avaient laissées ; la possédant enfi n, cette notion, à l’état

d’idée claire et toute vive, laissons-lui reprendre chair, et comme un germe, cette fois pur, se développer librement, joyeusement,

sans entraves mais sans surcharges ; s’emparer de toutes les richesses sensorielles et intelligibles qu’elle
rencontrera dans son élargissement et, se gonfl ant de tout, à son tour embellir et revivifi er tout (...)
L’exotisme n’est donc pas une adaptation ; n’est donc pas la compréhension parfaite d’un hors soi-même
qu’on étreindrait en soi, mais la perception aiguë et immédiate d’une incompréhensibilité éternelle.
Partons donc de cet aveu d’impénétrabilité. Ne nous fl attons pas d’assimiler les mœurs, les races, les
nations, les autres ; mais au contraire réjouissons-nous de ne le pouvoir jamais ; nous réservant ainsi la
perdurabilité du plaisir de sentir le Divers. C’est ici que pourrait se placer ce doute : augmenter notre
faculté de percevoir le Divers, est-ce rétrécir notre personnalité ou l’enrichir ? Est-ce lui voler quelque
chose ou la rendre plus nombreuse ? Nul doute : c’est l’enrichir abondamment, de tout l’Univers. (...)
Et c’est notre première expérience d’exotisme. Le monde extérieur est ce qui se différencie aussitôt de
nous. L’on va fuir les anciennes disputes sur la réalité des choses. Oh ! Qu’importe ! si elles nous émeuvent.
Or le sentiment de nature n’exista qu’au moment où l’homme sut la concevoir différente de lui ».
 
 DNBAC
 

Question 
Quel regard les auteurs de ces textes portent-ils sur l’autre et sur eux-mêmes ?


Les trois textes ont des différences et des points communs
Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, l'Eté Grec de Jacques Lacarrière et L'Essai sur l'exotisme de Victor Segalen. 

Il s'agit d'analyser le regard sur l'autre, l'autre étant l'étranger

point commun : découvrir l'autre et s'ouvrir à l'autre

Diderot donne la parole à un tahitien : quel est le jugement porté ? Ils sont considérés comme des sauvages. 
«Regarde ces hommes, vois comme ils sont droits »
«Regarde ces femmes, vois comme elles sont droites »

 

 

français  2018
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