La querelle du Cid

 

DNBAC

 

 La Querelle du Cid

 

L’unité d’action

 

C’est bien l’amour menacé de Rodrigue et Chimène qui constitue presque tout le sujet de la pièce. Cependant, la « tragédie de l’infante » est une intrigue secondaire venant se greffer, sans nécessité absolue, sur l’intrigue principale.

Corneille d’ailleurs le reconnaîtra dans un passage du Discours : « Aristote blâme fort les épisodes détachés et dit que les mauvais poètes en font par ignorance et les bons en faveur des comédiens pour leur donner de l’emploi.» La « tragédie de l’infante » est de ce nombre.

L’unité de temps

 

L’action occupe sensiblement vingt-quatre heures ainsi réparties :

  • Premier jour, dans l’après-midi : querelle de don Diègue et du comte, duel de Rodrigue et du comte.
  • Nuit : bataille contre les Maures.
  • Deuxième jour : assemblée chez le roi.

Comme on le voit, la règle des vingt-quatre heures a été respectée mais Corneille dira dans son Examen du Cid combien cette contrainte a porté préjudice à la vraisemblance de l’intrigue : « La mort du comte et l’arrivée des Maures s’y pouvaient entre-suivre d’aussi près qu’elles font, parce que cette arrivée est une surprise qui n’a point de communication, ni de mesure à prendre avec le reste; mais il n’en va pas ainsi du combat de don Sanche, dont le roi était le maître, et pouvait lui choisir un autre temps que deux heures après la fuite des Maures. Leur défaite avait assez fatigué Rodrigue toute la nuit pour mériter deux ou trois jours de repos.[…] Ces mêmes règles pressent aussi trop Chimène de demander justice au roi la seconde fois. Elle l’avait fait le soir d’auparavant, et n’avait aucun sujet d’y retourner le lendemain matin pour en importuner le roi, dont elle n’avait encore aucun lieu de se plaindre, puisqu’elle ne pouvait encore dire qu’il lui eût manqué de promesse. Le roman lui aurait donné sept ou huit jours de patience avant de l’en presser de nouveau; mais les vingt quatre heures ne l’ont pas permis : c’est l’incommodité de la règle. »

L’unité de lieu

 

Rachel dans le rôle de Chimène

La pièce se déroule en Espagne dans le royaume de Castille à Séville (Corneille a déplacé l’action qui, dans la logique, se trouverait à Burgos). Elle se déroule dans trois endroits différents : la place publique, le palais du roi et la maison de Chimène. Corneille a donc dévié la règle qui préconise le choix d’un lieu unique. Voici les explications qu’il donnera dans son Examen du Cid : « Tout s’y passe donc dans Séville, et garde ainsi quelque espèce d’unité de lieu en général ; mais le lieu particulier change de scène en scène, et tantôt, c’est le palais du roi, tantôt l’appartement de l’infante, tantôt la maison de Chimène, et tantôt une rue ou une place publique. On le détermine aisément pour les scènes détachées ; mais pour celles qui ont leur liaison ensemble, comme les quatre dernières du premier acte, il est malaisé d’en choisir un qui convienne à toutes. Le comte et don Diègue se querellent au sortir du palais ; cela se peut passer dans une rue ; mais, après le soufflet reçu, don Diègue ne peut pas demeurer en cette rue à faire ses plaintes, attendant que son fils survienne, qu’il ne soit tout aussitôt environné de peuple, et ne reçoive l’offre de quelques amis. Ainsi il serait plus à propos qu’il se plaignît dans sa maison, où le met l’espagnol, pour laisser aller ses sentiments en liberté ; mais en ce cas, il faudrait délier les scènes comme il a fait. En l’état où elles sont ici, on peut dire qu’il faut quelquefois aider au théâtre et suppléer favorablement ce qui ne s’y peut représenter. Deux personnes s’y arrêtent pour parler, et quelquefois il faut présumer qu’ils marchent, ce qu’on ne peut exposer sensiblement à la vue, parce qu’ils échapperaient aux yeux avant que d’avoir pu dire ce qu’il est nécessaire qu’ils fassent savoir à l’auditeur. Ainsi par une fiction de théâtre, on peut s’imaginer que don Diègue et le comte, sortant du palais du roi, avancent toujours en se querellant, et sont arrivés devant la maison de ce premier lorsqu’il reçoit le soufflet qui l’oblige à y entrer pour y chercher du secours. »

  • La maison de Chimène

Acte I, scène 1 ; Acte III, scène 1,2,3,4 ; Acte IV, scène 1,2 ; Acte V, scène 1,4,5 C’est un lieu d’attente et de rencontre. La pièce commence d’ailleurs sur ce décor mêlant l'assurance et le danger permanent.

  • La place publique devant le palais royal

Acte I, scène 3,4,5,6 ; Acte II, scène 2 ; Acte III, scène 5,6

  • Le palais royal (surtout la Salle du trône)

Acte II, scène 1,6,7,8 ; Acte IV, scène 3,4,5 ; Acte V, scène 6,7

C’est le lieu oratoire par excellence. Les personnages y font des plaidoiries célèbres, essayent de s’y réconcilier, y vivent des épopées et enfin, c’est le lieu de l’épilogue.

La « querelle du Cid »

 

En 1636, Corneille fait jouer Le Cid. La pièce remporte un énorme succès. Richelieu protège Corneille, et le fait anoblir par le roi en 1637. Cependant, Jean Mairet et Georges de Scudéry, deux dramaturges, vont attaquer Corneille, en l’accusant de ne pas respecter les règles du théâtre classique, entre autres la règle des trois unités, règle instaurée en 1630 à la demande de Richelieu. Ils l’accusent également de poignarder dans le dos la France en guerre contre l’Espagne, en produisant une pièce dont le sujet, le titre, les personnages et les décors sont espagnols. Richelieu demande à l’Académie française son opinion. Il y voit en effet l'occasion pour l'Académie, qu'il avait fondée deux ans plus tôt, de paraître comme le tribunal suprême des lettres, de se faire connaître du public et d’obtenir ainsi l’enregistrement de son acte de fondation par le parlement de Paris. À la fin de l'année 1637, l’Académie présente un texte mis au point par Jean Chapelain : Les Sentiments de l’Académie sur la tragi-comédie du Cid, qui contient un certain nombre d’observations de style. La plus connue fait référence à Chimène, qui n'hésite que très succinctement à défaire la promesse de mariage accordée à Rodrigue, assassin de son père. La promesse étant respectée, les moralistes se trouvèrent choqués de ce manque de bienséance et de vraisemblance. Toutefois, Corneille n’accepte pas ces critiques, puisque la majeure partie de son inspiration relevait de faits réels et de textes, notamment Las Mocedades del Cid de Guilhem de Castro. Dans le même temps, ses adversaires l'attaquent à nouveau. Après quelques semaines, Richelieu donne l’ordre d’en finir : il exige des adversaires de Corneille qu’ils mettent fin à la querelle

Les reproches qu'on lui fit ont été :

  • le sujet n'était pas de l'Antiquité, mais surtout il était espagnol. Or, lors de sa période d'écriture, la France et l'Espagne étaient en guerre.
  • il est également accusé de n'avoir pas su choisir entre la comédie et la tragédie.
  • de n'avoir pas respecté la règle des trois unités
  • son œuvre n'était pas très vraisemblable
  • le grand nombre de péripéties :
  1. la querelle entre les deux pères, tout d'abord verbale puis se terminant par un soufflet.
  2. la vengeance de Don Diègue par l'intermédiaire de son fils, pour l'honneur. (mort de Don Gomez)
  3. combat de Rodrigue contre les Maures duquel il ressort vainqueur (récit uniquement)
  4. procès qu'on veut lui intenter
  5. le duel entre Don Sanche et Rodrigue qui gracie le premier. (récit seulement)
  6. le piège pour faire avouer à Chimène son amour pour Rodrigue
  7. acceptation du mariage par le roi.

Il modifiera sa pièce, notamment l'acte 1, en 1648 : il réduisit l'humour, il se concentra sur l'intrigue principale et sur le côté tragique. C'est en 1661 que la version définitive fut imprimée.

Boileau

Nicolas Boileau résume à sa façon la « querelle du Cid » en quatre vers :

« En vain contre le Cid un ministre se ligue,

Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue.

L'Académie en corps a beau le censurer,

Le public révolté s'obstine à l'admirer. »

 

 Sources

BAC

Date de dernière mise à jour : 28/07/2021

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