Giraudoux, Electre, II, 8, lecture analytique

 

 

Electre, acte II scene 8

Jean Giraudoux

 

Lecture de la scène

 

EGISTHE. Et cette justice qui te fait brûler ta ville, condamner ta race, tu oses dire qu'elle est la justice des dieux ? ELECTRE. Je m'en garde. Dans ce pays qui est le mien on ne s'en remet pas aux dieux du soin de la justice. Les dieux ne sont que des artistes. Une belle lueur sur un incendie, un beau gazon sur un champ de bataille, voilà pour eux la justice. Un splendide repentir sur un crime, voilà le verdict que les dieux avaient rendu dans votre cas. Je ne l'accepte pas. EGISTHE. La justice d'Electre consiste à ressasser toute faute, à rendre tout acte irréparable ? ELECTRE. Oh non ! Il est des années où le gel est la justice pour les arbres, et d'autres l'injustice. Il est des forçats que l'on aime, des assassins que l'on caresse. Mais quand le crime porte atteinte à la dignité humaine, infeste un peuple, pourrit sa loyauté, il n'est pas de pardon. EGISTHE.
Sais-tu même ce qu'est un peuple, Electre ! ELECTRE. Quand vous voyez un immense visage emplir l'horizon et vous regarder bien en face, d'yeux intrépides et purs, c'est cela un peuple. EGISTHE.
Tu parles en jeune fille, non en roi. C'est un immense corps à régir, à nourrir. ELECTRE. Je parle en femmes. C'est un regard étincelant, à filtrer, à dorer. Mais il n'a qu'un phosphore, la vérité. C'est ce qu'il y a de si beau, quand vous pensez aux vrais peuples du monde, ces énormes prunelles de vérité.
EGISTHE. Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple, Electre.
ELECTRE. Il est des regards de peuple mort qui pour toujours étincellent. Plût au ciel que ce fût le sort d'Argos ! Mais depuis la mort de mon père, depuis que le bonheur de notre ville est fondé sur l'injustice et le forfait, depuis que chacun, par lâcheté, s'y est fait le complice du meurtre et du mensonge, elle peut chanter, danser et vaincre, le ciel peut éclater sur elle, c'est une cave où les yeux sont inutiles. Les enfants qui naissent sucent le sein en aveugles. EGISTHE. Un scandale ne peut que l'achever. ELECTRE. C'est possible. Mais je ne veux plus voir ce regard terne et veule dans son œil. EGISTHE. Cela va coûter des milliers d'yeux glacés, de prunelles éteintes.
ELECTRE. C'est le prix courant. Ce n'est pas trop cher.
EGISTHE. Il me faut cette journée. Donne-la moi. Ta vérité, si elle l'est, trouvera toujours le moyen d'éclater un jour mieux fait pour elle. ELECTRE. L'émeute est le jour fait pour elle. EGISTHE. Je t'en supplie. Attends demain. ELECTRE.
Non. C'est aujourd'hui son jour. J'ai déjà trop vu de vérités se flétrir parce qu'elles ont tardé une seconde. Je les connais, les jeunes filles qui ont tardé une seconde à dire non à ce qui était laid, non à ce qui était vil, et qui n'ont plus su leur répondre ensuite que par oui et par oui. C'est là ce qui est si beau et si dur dans la vérité, elle est éternelle mais ce n'est qu'un éclair. EGISTHE. J'ai à sauver la ville, la Grèce.
ELECTRE. C'est un petit devoir. Je sauve leur regard…


 

Giraudoux, Electre, II,8 oral EAF

ORAUX EAF

Questionnaire 75 questions réponses, Jean Giraudoux, Electre II, 8

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Date de dernière mise à jour : 14/10/2018

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