Aimé Césaire, Une saison au Congo, scène 8, Mokutu, portrait du chef du gouvernement, réflexions sur le pouvoir

 

Césaire, une saison au congo

 

 

 

Aimé Césaire

Une saison au Congo

Scène 8

Césaire

 

Séquence : "l'argumentation" : convaincre, persuader, délibérer

Problématique possible :

En quoi pouvons nous parler d'un texte visionnaire?

Lecture du texte :

Une saison au Congo

Scène 8

Césaire

La lumière change, nous sommes à Kali na, dans le bureau du Premier ministre;

LUMUMBA

Appelez moi Massa, Kan Golo, absent; joli chef de cabinet! Inutile de chercher Sissone, il dort! Il ne se lève pas avant la nuit. Et vous croyez que ça va durer comme ça. Merde et merde! Messieurs, qui sommes-nous? Je m’en vais vous le dire. Ses forçats. Moi, je suis un forçat; un forçat volontaire. Vous êtes, vous devez être des forçats, c’est-à-dire, des hommes condamnés à un travail sans fin, vous n’avez droit à aucun repos. Vous êtes à la disposition du Congo, vingt-quatre heures sur vingt- quatre! Vie privée, zéro! Pas de vie privée. En échange, vous n’aurez aucun souci matériel! Car vous n’aurez pas le temps d’en avoir Je sais, je sais. Il paraît que je suis exigeant, et puis aventureux, casse-cou que sais-je? Oui, c’est ça, il paraît que je veux aller trop vite. Eh bien! Bande de limaçons, oui, il faut aller vite, il faut aller trop vite. Savez-vous combien j’ai de temps pour remonter cinquante ans d’histoire? Trois mois, messieurs! Et vous croyez que j’ai le temps de ne pas aller trop vite!

M’POLO

Président, les soldats! Les soldats! Les soldats arrivent!

LUMUMBA

Les soldats? Qu’est-ce qu’ils foutent? Les soldats? Ils crient? Qu’est-ce qu’ils crient?

M’POLO

Ils s’en prennent à vous personnellement, président! Ils crient; « a mort Lumumba! Lumumba pampa »

LUMUMBA

Accès de rage

Rien d’autre?Salauds, vendus, flamands, tous des flamands! Flamands et bâtards de flamands! Quand je pense que pendant cinquante ans, ils ont rampé devant le belge, et nous n’avons pas plus tôt posé notre cul sur un fauteuil, que le voici à nous mordre le jarrets.

UN MINISTRE

C’est gai! Elle commence bien, l’indépendance!

LUMUMBA

Imbécile! Et comment croyais-tu qu ‘elle commencerait? Et comment crois-tu qu’elle continuera? Comment croyez-vous que cela allait se passer? Quand je vous ai nommés ministres, est-ce que vous avez eu l’impression que je vous invitais à une partie de plaisir? En tout cas, je ne vous prends pas en traître. Tout. Nous aurons tout, et en même temps? Et tout de suite; la révolte, le sabotage, la menace,la calomnie, le chantage, la trahison. Vous avez l’air étonnés! C’est ça, le pouvoir; la trahison,la mort peut-être. La mort sans doute. Et c’est ça le Congo! Compreniez; le Congo est un pays où tout va vite. Une graine en terre aujourd’hui, et demain un buisson, que dis-je, une forêt! En tout cas, les choses qui vont vite iront leur train. Ne comptez pas sur moi pour les ralentir! M’Polo,laisse entrer ces braillards,je leur parlerai… et ferai se retourner leur cœur au fond de leur poitrine.

Entrent les délégations des soldats.

Entrez, messieurs. Ah! Comme je regrette que vous ne vous soyez pas fait accompagner par les civils, ces messieurs de l’Apic et de l’Otraco, qui, si vaillamment, nous mettent aujourd’hui le couteau sur la gorge! Je leur aurais demandé s’il y a décence quand, pendant cinquante ans, on a gardé la bouche close et tremblé devant le belge, à ne pas accorder à un gouvernement congolais, à un gouvernement de frères qui vient seulement de s’installer,le délai de quelques mois qu’il réclame pour étudier les dossiers et faire le tour des problèmes! Quant à vous, soldats, je n’irai pas par quatre chemins. Vos revendications sont légitimes. Je les comprends, et je veux y faire droit! Force publique vous étiez commandés par des belges; armée nationale vous exigez d’être commandés par des nationaux Quoi de plus naturel? Et nous n’avons pu hésiter un instant devant cette mesure d’africanisation radicale que parce que notre bonne volonté était mise en échec par le mauvais vouloir et les préjugés du général Massens. Prenez-en de la graine, messieurs; voyez comme le colonialisme est perfide, têtu, funeste. Mais nous avons écarté Massens.

SOLDATS

A bas Massens! A bas Massens!

LUMUMBA

Massens est écarté, et le gouvernement fait droit à vos réclamations. A chacun de vous donc, le gouvernement accorde la promotion au grade supérieur; le soldat de première classe devient sergent, le sergent, adjudant…

SOLDATS

Non! Non! Des colonels, des généraux!

MOKUTU

Monsieur le premier ministre, ce que la troupe réclame, c’est une africanisation totale, et immédiate, des cadres. Au point où en sont les choses, il n’y a pas une minute à perdre!

LUMUMBA

Le problème n’a pas échappé au gouvernement. Aussi bien suis- je en mesure, d’ores et déjà, de vous annoncer que le gouvernement envisage, non, décide… non, a décidé, de nommer, dès aujourd’hui un général congolais et un colonel, congolais. Le général est Lundula, et le colonel notre secrétaire d’état à jeunesse, M’Polo, ici présent.

LES SOLDATS

Non! Non, pas M’Polo, ce n’est pas un soldat, c’est une politicien.

SOLDATS

C’est Mokutu que nous voulons. A bas M’ Polo! Vive Mokutu! Motu sept ans de force publique! C’est un soldat celui-là!

LUMUMBA

Vous choisissez Mokutu, soit! Je ratifie votre choix. C’est vrai, Mokutu est un soldat, et Mokutu est mon ami, Modutu est mon frère. Je sais que Modutu ne me trahira jamais. M’Polo a été nommé par le gouvernement! Eh bien, moi! Je nomme Mokutu. Mais n’en parlons plus. La question est réglée! Le problème n’est plus de savoir si vous serez officiers ou pas, puisque, désormais, vous l’êtes; Le problème est de savoir quelle sorte d’officiers vous choisissez d’être; des officiers de parade? Des officiers du profit? Des officiers de la nouvelle caste? Ce que veut le gouvernement, c’est que vous soyez les officiers du peuple congolais, animés de l’esprit du peuple congolais et résolus à vous battre farouchement pour la préservation de l’indépendance congolaise. Le voulez-vous?

SOLDATS

Oui! Oui! Vive Lumumba!

LUMUMBA

Soldats et officiers congolais, si l’ennemi vient et il n’est pas impossible que ce soit pour plus tôt qu’on ne croit, il faut qu’il lui arrive malheur, comme au faucon, lorsque essayant de s’emparer de la viande que le villageois s’affaire à rôtir, il se brûle les serres!

Vive l’armée nationale congolaise vive le Congo!

Hurrah des soldats.

 

Plan de l'étude :

  • Introduction
  • I - Les problèmes qui surgissent
  • 1 - Absence du sens de responsabilités dans son entourage
  • 2 - Les revendications
  • 3 - L’influence grandissante de Mokutu
  • Transition
  • II - Portrait du chef du gouvernement en action
  • 1 - Investissement personnel de Lumumba
  • 2 - Fureur et amertume
  • 3 - Sens et souci de la négociation
  • 4 - La réflexion sur le pouvoir
  • Conclusion
  • Ouverture

Commentaire : Aimé Césaire, chapitre 8

 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 27/01/2018

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