Entretien avec Marcel Bluwal à propos de son Dom Juan

Molière, Dom Juan

 

 

 

OBJET D’ÉTUDE : LES RÉÉCRITURES DU XVIIe À NOS JOURS

Don Juan face à la mort

LC : Entretien avec Marcel Bluwal à propos de son Dom Juan (1965).

 

 

[…]

« C’est l’homme dans toute sa grandeur, et l’homme qui est allé très loin et puis un jour, au troisième acte, avec la statue du Commandeur, il rencontre l’inconnaissable. Esthétiquement, l’histoire a paru belle à Molière (qui était un libertin au sens du XVIIe siècle – c’est-à-dire non pas un non-croyant mais un incroyant), alors il l’a prise pour ce qu’elle est. Il a donc mis dans la pièce l’inconnaissable ; et la grandeur de Molière, c’est d’avoir fait répondre « non » à Don Juan. Il dit : « je ne sais pas ce que c’est, mais je dirai non parce que je suis un homme ». Et quand le combat devient énorme, quand à la fin il se sent coincé, au lieu d’accepter, il va pratiquement aller à la mort. Peut-être Molière ne s’en rendait-il pas absolument compte au moment où il l’a écrit, mais il y a pratiquement une délibération volontaire de Don Juan d’aller à la mort. Ça peut difficilement se traduire au théâtre, car le théâtre est un lieu scénique. Les gens y entrent, ils vont vers Don Juan. Ce cinquième acte est très difficile à mettre en scène parce qu’il est court : il y a la scène de l’hypocrisie, puis la mort. A la télévision, j’ai pu rendre compte de cette volonté d’aller au devant de l’inéluctable, c’est-à-dire que Don Juan va au devant du Commandeur, il y court, il y va à cheval, il y va à pied ; il est interrompu par Don Carlos, il élimine Don Carlos ; il est interrompu par le Spectre de la mort, il élimine le Spectre de la mort ; il va au Commandeur, et là il tombe et il meurt.».

 

[…] 

 

Comment avez-vous traduit la mort de Don Juan ?

D’abord, en préférant le téléfilm au film pour grand écran. La télévision m’a permis de « révéler » Don Juan au grand public comme un suicidaire, alors que Don Juan au cinéma aurait attiré seulement quelques initiés qui auraient perçu cette dimension de l’œuvre comme une adaptation, un point de vue subjectif. Le téléfilm m’a permis de concevoir la pièce comme une sorte de longue marche de Don Juan vers la mort,  travers tous les décors, jusqu’à la montée au sacrifice final.

Le théâtre n’aurait-il pas pu reproduire cette marche ?

Le téléfilm me permettait d’utiliser beaucoup plus de « signes » pour donner ce sens à la pièce, la novation la plus complète par rapport au théâtre étant la traduction physique de la démarche de Don Juan vers la mort. Il l’accomplit à cheval depuis le début (dès l’acte I sa première rencontre avec Elvire se situe dans des écuries monumentales que j’ai filmées à Chantilly), jusqu’au seuil de la maison du Commandeur, dans l’acte final.

Y a-t-il d’autres « signes » que la chevauchée vers la mort, dont vous ayez souligné l’importance ?

Le pouvoir de Don Juan sur les autres est symbolisé par son épée. Ainsi, lorsqu’il entame sa montée vers le Commandeur, il abandonne son cheval et son épée, caractérisant ainsi sa volonté de suicide

Pourquoi parlez-vous de ce suicide comme d’une « montée » vers le Commandeur?

J’avais demandé que la statue du Commandeur eût une taille de quatre mètres et qu’elle restituât l’effroi créé par certaines statues monumentales du Bas-Empire romain. J’avais demandé qu’on la plaçât en haut des quarante marches d’un pavillon ; Don Juan « monte » ainsi vers elle pour accomplir son suicide comme vers un autel sacrificiel inca.

Quel est le jeu de Sganarelle à travers cette chevauchée de Don Juan vers la mort ?

Sganarelle suit Don Juan sur un mulet, car la chevauchée de Don Juan est également une errance, une interrogation sur le sens de la vie ; mon film s’inspire parfois de certains tableaux : Quichotte et Sancho de Daumier, Faust et Mephisto de Delacroix, Le Chevalier et la Mort de Dürer.

 

BAC

Date de dernière mise à jour : 11/11/2018

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