Rabelais, lettre VIII de Gargantua à Pantagruel

 

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  • Lettre de Gargantua à Pantagruel , François Rabelais :  Commentaire littéraire

  • 1532, Livre II, chapitre VIII

 

Les idéaux humanistes

Lecture du texte :

Pour cette raison, mon fils, je te conjure d'employer ta jeunesse à bien profiter en étude et en vertu. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Epistémon : l'un, par de vivantes leçons, l'autre par de louables exemples, peuvent bien t'éduquer. J'entends et veux que tu apprennes parfaitement les langues, d'abord le grec, comme le veut Quintilien, puis le latin et l'hébreu pour l'Écriture sainte, le chaldéen et l'arabe pour la même raison; pour le grec, forme ton style en imitant Platon, et Cicéron pour le latin. Qu'il n'y ait aucun fait historique que tu n'aies en mémoire, ce à quoi t'aidera la cosmographie établie par ceux qui ont traité le sujet. Des arts libéraux, la géométrie, l'arithmétique et la musique, je t'ai donné le goût quand tu étais encore petit, à cinq ou six ans : continue et deviens savant dans tous les domaines de l'astronomie, mais laisse-moi de côté l'astrologie divinatrice et l'art de Lulle qui ne sont que tromperies et futilités. Du droit civil, je veux que tu saches par cœur tous les beaux textes, et me les commentes avec sagesse. Quant à la connaissance de la nature, je veux que tu t'y appliques avec soin : qu'il n'y ait mer, rivière ou source dont tu ne connaisses les poissons; tous les oiseaux de l'air, tous les arbres, arbustes et buissons des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de tout l'Orient et du Midi. Que rien ne te soit inconnu.

Puis relis soigneusement les livres des médecins grecs, arabes et latins, sans mépriser les talmudistes et cabalistes, et, par de fréquentes dissections, acquiers une parfaite connaissance de cet autre monde qu'est l'homme. Et quelques heures par jour, commence à lire l'Écriture sainte, d'abord en grec le Nouveau Testament et les Épîtres des Apôtres, puis en hébreu l'Ancien Testament. En somme, que je voie en toi un abîme de science : car maintenant que tu es un homme et te fais grand, il te faudra sortir de la tranquillité et du repos de l'étude et apprendre la chevalerie et les armes pour défendre ma maison et secourir nos amis dans toutes leurs affaires contre les assauts des malfaisants. Et je veux que rapidement tu mettes tes progrès en application, ce que tu ne pourras mieux faire qu'en soutenant des discussions publiques sur tous les sujets, envers et contre tous, et en fréquentant les gens lettrés, tant à Paris qu'ailleurs.

Mais parce que, selon le sage Salomon, la sagesse n'entre jamais dans une âme méchante, et que science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te faut servir, aimer et craindre Dieu, et en Lui mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et, par une foi faite de charité, t'unir à Lui de manière à n'en être jamais séparé par le péché. Prends garde aux tromperies du monde, ne t'adonne pas à des choses vaines, car cette vie est passagère, mais la parole de Dieu demeure éternellement. Sois serviable envers ton prochain, et aime-le comme toi-même. Respecte tes précepteurs, fuis la compagnie des gens à qui tu ne veux pas ressembler, et ne gaspille pas les grâces que Dieu t'a données. Et quand tu t'apercevras que tu disposes de tout le savoir que tu peux acquérir là-bas, reviens vers moi, afin que je te voie et te donne ma bénédiction avant de mourir. Mon fils, que la paix et la grâce de notre Seigneur soient avec toi. Amen.

D'Utopie, le dix-sept mars,

ton père, Gargantua.

Problématique :

  • Dans quelle mesure peut-on dire qu'il s'agit d'un projet d'éducation humaniste?

 

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Nous allons étudier la lettre VIII de Gargantua à Pantagruel, tirée de Pantagruel de François Rabelais (vers 1483-1553). Rabelais était un grand humaniste de la renaissance. Dans le but d’étudier l’idéal de l’éducation humaniste, nous étudierons dans un premier temps, l ‘éducation attentive de Gargantua pour son fils Pantagruel puis, en second lieu nous analyserons le parcours initiatique de cet enseignement pluridisciplinaire et religieux au sens d’une philosophie des vraies valeurs = une leçon de vie et un sens des valeurs.

I- L ‘éducation attentive de Gargantua pour son fils Pantagruel

1) A chaque cas, une façon d’enseigner mais le précepteur ne préconise pas un enseignement trop rapide et sans transition avec le précédent = « c’est pourquoi, mon fils, je t’admoneste d’employer ta jeunesse à bien profiter dans tes études . Tu es à Paris, tu as ton précepteur Epistémon ». La référence à la théorie et à la pratique est transcrite à travers les concepts de « doctrines » et « d’exemples » . La notion d’éducation renvoie à l’idée d ‘exclusivité, il s’agit de former les esprits sans oublier aucun aspect de l’étude ni théorique ou pratique.

2) L’importance attribuée  à l’élève est un des principaux traits de l’idéal humaniste en ce qui concerne l’éducation. Rabelais met en évidence les avantages liés à l’enseignement personnalisé. Comme dans les romans d’apprentissage, l’accès au savoir est inséparable d’un départ du héros. Pantagruel n’étudie pas dans les écoles d’Utopie, mais entreprend, pour satisfaire à l’ordre de son père, un tour de France des universités qui le mène finalement à Paris. Gargantua pour sa part ne se rend à Paris qu’après l’échec de l’éducation dispensée par les précepteurs sophistes, comme s’il ne pouvait réussir ses études que dans un nouvel espace. Le héros se libère ainsi de l’autorité paternelle immédiate. L’éducation semble extrêmement complète, elle comprend dans un premier temps, l’étude des langues, la grecque qui devra être maîtrisée et à partir de laquelle Pantagruel devra former son style en prenant Platon pour modèle, le latin comme seconde langue devra trouver son imitation en Cicéron, autre philosophie pris pour modèle de perfection parmi les penseurs de l’antiquité. L’hébraïque est présentée par Gargantua comme indispensable puisqu’elle n’est pas un outil linguistique mais le moyen d’approfondir et de perfectionner au niveau de la compréhension , l’écriture sainte. Les langues sont ensuite complétées par l’étude de la cosmographie, « qu’il n’y ait d’histoire que tu n’aies présente à la mémo vie, a quoi t’aidera la cosmographie ». Viennent ensuite « les arts libéraux, géométrique, arithmétique, musique … » nous avons une référence à l’ensemble des disciplines intellectuelles fondamentales divisées en deux cycles, grammaire, rhétorique,, arithmétique, musique, astronomie. Du droit civil, « les beaux textes » doivent être lus afin de pouvoir être rapportés à la philosophie. Ainsi, l’idéal humaniste de l’éducation est encyclopédique.

3) L’approfondissement est facilité car l’éducation n’est pas théorique mais vivante et directe. En effet, l’apprentissage est orienté par l’apprentissage de l’observation, l’étude empirique (basée sur l’expérience et l’observation) de la nature et du quotidien et complétée par les cours théoriques des sciences naturelles. Rabelais propose une éducation fondée sur la nature: « Quant à la connaissance des sciences naturelles… qu’il n’y ait mer, rivière, ni fontaine dont tu ne connaisses les poissons; tous les oiseaux de l’air; …que rien ne te soit inconnu » . L’étude de l’homme suppose l’étude et la relecture des livres de médecine = « Puis avec soin, relis les livres des médecins … et par de fréquentes dissections acquiers la parfaite connaissance de ce second monde qu’est homme »

4) La formation des esprits requiert cependant un enseignement religieux. Celui-ci doit être fait de façon autodidacte = « commence à apprendre les saintes. Écritures, d’abord du nouveau testament en grec et les Épîtres des apôtres, puis en hébreu l’ancien testament ». Gargantua doit un peu chaque jour s’imprégner des textes sacrés de façon à éveiller sa foi et sa réflexion sur dieu et la création. Il faut veiller à la profondeur d’une lecture pieuse. Tous les textes doivent faire l’objet d’une réelle compréhension, voire intellection.

 

5) Un entraînement à la guerre

Gargantua donne lui-même la formule du récit dans un passage de la lettre qu’il écrit à son fils pour l’exhorter à l’étude: « car maintenant que tu te fais grand, et que tu deviens un homme, il te faudra sortir de cette tranquillité et de ce repos consacré aux études, et apprendre la chevalerie et les armes, pour défendre ma maison, et secourir nos amis dans leurs débats contre les assauts des malfaisants ». Cet « assaut des malfaisants » prend la forme dans le Pantagruel, de l’attaque lancée par les Dipodes contre le royaume de Gargantua, l’Utopie. La guerre suppose le triomphe du droit sur la force, et le rétablissement de l’ordre.

On peut de ce fait affirmer que le souci humaniste est ici focalisé sur le développement du corps et de l’ esprit. La vie est un objet d’étude. On aspire a un savoir encyclopédique et le précepteur est le garant de cet enseignement particulièrement initiatique de façon pluridisciplinaire. Cependant l’éducation doit être une véritable leçon de vie et enseigner une philosophie des vraies valeurs.

 

II- La quête des vraies valeurs, la référence à Dieu

  S’élever à la sagesse de la religion, de la philosophie ou de la science suppose l’amour de Dieu et un certain esprit charitable. En effet, une âme mauvaise ne saurait s’ouvrir à la sagesse et « la science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Gargantua souhaite donc que son fils s’applique à « servir, aimer et craindre Dieu et mettre en lui » toutes les pensées et tous les espoirs par une « foi orientée par la charité ». L’éducation n’a donc de sens que pour autant qu’elle est orientée vers une certaine morale, une quête du bien. Bien dans l’enseignement ne peut servir l’esprit si ce dernier est tourné vers le mal. Un esprit éduqué doit par définition être un esprit croyant, charitable et par conséquent tourné vers le Dieu. Un homme éduqué est un homme de valeurs. Ces derniers sont imprégnés par le sens et la conscience d’une religion très éveillée avec l’amour, la charité que cela suppose, «sois serviable à ton prochain, quel qu’il soit, et aime le comme toi-même ». La morale  religieuse doit trouver ses applications dans la philosophie de la vie au quotidien.

 

Conclusion

Nous avons vu l’importance attribuée à l’élève, c’est un des principaux faits de l’idéal humaniste en ce qui concerne l’éducation. Nous avons une exigence de développement du corps et de l’esprit. Le savoir devient une valeur de référence. Cette prestation à s’élever à un savoir universel est humaniste. C’est une opinion selon laquelle l’homme pourrait tout savoir. Cette conception de l’éducation s’oppose à celle qu’avait Gargantua avant, avec les sophistes. Elle valorise le corps qui était pourtant considéré comme honteux à l’époque. On retrouve les principes humanistes selon lesquels on ne peut avoir un esprit bien formé sans un corps sain. La journée placée sous le regard de Dieu auquel Gargantua s’adresse dans la prière du matin et dans celle du soir, illustre l’idéal humaniste d’une relation harmonieuse entre la foi et la connaissance.     

Date de dernière mise à jour : 16/05/2019

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