Voltaire, Candide, ch.19

 

 

 

Candide: le nègre de Surinam
Chapitre 19

Les corrigés du bac : commentaire niveau bac

INTRODUCTION

Nous allons étudier un extrait du chapitre 19 de Candide, conte philosophique de Voltaire écrit en 1759. Voltaire est un philosophe des lumières, encyclopédiste contemporain de Rousseau, Diderot. L’idéal des lumières est en quête des vraies valeurs : liberté d’expression, d’opinion, de religion. Le combat pour la libération de l’homme par l’esprit est celui de Voltaire. Candide y contribue, nous y trouvons en effet une violente dénonciation de la religion ainsi qu’une critique des illusions de la philosophie optimiste de Leibniz. Dans le chapitre 19, notre héros, Candide fait la rencontre d’un nègre. La scène se passe après le séjour idyllique dans l’Eldorado, le héros accompagné de son valet Cacambo repartent et espèrent retrouver Cunégonde. Ils sont encore à cette époque certains que la richesse les rendra heureux. Cependant, une fois à Surinam, la dure réalité va bientôt changer Candide, il commence à remettre en cause l’optimisme systématique pour se constituer sa propre philosophie. Ils rencontrent donc un esclave accablé de malheur. Le dialogue qui s’engage entre le nègre et Candide constitue une critique de l’esclavage : une atteinte à la liberté de l’homme.

Problématique :
Quels sont les enjeux critiques de ce passage?

Formulation du plan :
Dans le but de répondre à la question, nous verrons dans un premier temps, la rencontre du nègre et de Candide, en second lieu, les enjeux critiques et enfin, en quoi Voltaire critique l’optimisme leibnizien.

Plan :
I - La rencontre du nègre et de Candide
- La réaction de Candide
- Le dialogue
II - Les enjeux critiques
Discours et réaction du nègre
III - La dénonciation de l’optimisme leibnizien

Analyse :

I/ PRESENTATION DU NEGRE
La réaction de Candide
L’entrée en matière est narrative et descriptive. Le nègre est décrit comme étant « étendu par terre », il est donc dans une position humiliante. Le nom « nègre » précédé un article indéfini, « un nègre » le prive de toute identité. La rencontre n’a rien de traditionnel. Les descriptions se poursuivent de manière assez objective, Voltaire n’y projette aucun sentiment, ni jugement. Le lecteur peut être choqué par la suite de la présentation : en effet, son habit, « un caleçon de toile bleue » n’est pas entier, « il n’a plus que la moitié de son habit ». Il lui manque une jambe et une main : la progression va crescendo, on part de l’habit vers les membres. Nous apprenons donc qu’il est amputé. L’homme semble déséquilibré car il est amputé de la jambe gauche et de la main droite. Suivent les connotations pathétiques reflétant la subjectivité : « ce pauvre homme », « ce » a une connotation méliorative. D’une manière générale, le portrait fait par le narrateur se résume aux points essentiels, c’est-à-dire, les détails importants qui n’échappent pas au lecteur : la position, l’habit, les blessures, sa jambe et sa main manquantes.

Dialogue :
Le héros, Candide va à son tour présenter le nègre, mais l'auteur se cache derrière son personnage qui s'indigne et s'étonne, il veut connaître le nègre, ce qui a un impact dénonciateur plus grand, puisque le lecteur se doute que Voltaire s'exprime à travers le personnage naïf. Candide semble éprouver beaucoup de compassion, de sympathie: "mon dieu!", "mon ami" ou encore "état horrible", et les points d'exclamation montrent son émotion. Nous avons en fait un double interjection : « Eh! Mon Dieu ». Candide se montre très choqué, il garde sa naïveté ainsi que le suggère sa question : « mais que fais-tu là? », nous savons en effet que le nègre ne peut se déplacer .

Transition :
L’Eldorado est loin pour notre héros à présent. Candide se familiarise avec les vraies réalités, la misère, l’esclavage etc. Voltaire fait parler son personnage ce qui va lui permettre de critiquer violemment l’esclavage. Le nègre entame en effet un discours dont nous allons étudier à présent les enjeux critiques.

II/ les enjeux critiques
Le discours et les réactions du nègre
Le personnage du nègre va permettre à Voltaire de mettre en œuvre une dénonciation très virulente de l’esclavage, de manière indirecte sans être censuré pour ses critiques. Les enjeux sont donc critiques et l’on retrouve tout comme dans Candide une des deux fonctions de l’apologue philosophique, à savoir, instruire, la première étant de plaire, de distraire. Le but didactique est ici visé, il s’agit de faire passer un enseignement en mettant en scène son personnage, le nègre de manière à soumettre son dialogue et mettre en avant ses réactions. Indirectement donc le penseur exprime ses idées et sa philosophie.
Les trois éléments mentionnés dans le descriptif du nègre du début du texte, le caleçon, la main, les jambes autorisent Voltaire à mettre en avant une certaine vision de l’horreur, choquante pour le lecteur qui par l ‘anaphore de « quand » et la répétition de « on nous coupe » perçoit le degré croissant dans l’intensité de la gradation. La dénonciation s’amorce avec la gradation du doigt, de la main et de la jambe. En effet, nous avons ensuite l’explication donnée par le nègre lui-même dans les cas d’ablation d’un membre : « quand on travaille… on nous coupe la main ». Les esclaves sont amputés, réduits à l’état d’une marchandise, on leur coupe par exemple la jambe lorsqu’ils tentent de s’enfuir.
Le nègre est réduit au stade d’instrument, de moyen pour les esclavagistes très soucieux de s’enrichir. Cet aspect de la dénonciation est encore accentué par la phrase suivante : « c’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ». Le philosophe, au-delà de l’esclavage, accuse les mauvais traitements dont-ils sont victimes.
L’absurdité est à son comble lorsque le nègre confie que ses parents l’ont vendu, l’horreur domine et est à son paroxysme mais ce n’est pas ce point que le penseur critique mais les Européens qui abusant de leur toute puissance exerçaient à leur guise leur influence sans se soucier des hommes, objet de leur manipulation et de leur convoitise. A ce niveau de la critique, on voit Voltaire se moquer de la religion chrétienne. Les européens en fait se faisaient appeler « les fétiches », objets païens ayant des pouvoirs surnaturels. Dans ce cas de figure, la religion est assimilée à une simple superstition. On ne la perçoit pas comme fidèle à ses principes de base, l’amour entre les hommes ne se vérifie pas comme le témoignent les mauvais traitements sur les hommes noirs, les esclaves. Il y a un paradoxe insurmontable entre l’enseignement de l’église et la manière dont les esclaves sont traités. L’hypocrisie religieuse est soulignée car elle cautionnait l’esclavage pour des raisons économiques. Cette idée se retrouve dans la controverse de Valladolid de Jean Claude Carrière. Les Amérindiens et les Africains dans la Controverse ne tiennent pas plus de place dans la religion judéo-chrétienne que les esclaves dans Candide. Ils sont traités comme des sous-hommes.

Transition :
Voltaire ne s’en tient pas à la critique de l’esclave, au-delà de la dénonciation, le philosophe vise aussi l’optimisme leibnizien incarné par Pangloss dans Candide.

III - Dénonciation de l’optimisme Leibnizien
Candide est le porte parole de Voltaire. Tout au long de son initiation, il avait adhéré aux thèses de Pangloss, son professeur mais à présent, une fois confronté à l’horreur, il remet les théories de son maître à penser en question. Il doute ainsi que le suggère l’invocation « O Pangloss! ». Il perd sa naïveté et se détache de son éducation dogmatique, tautologique, optimiste : « Je renonce à ton optimisme ». Son indignation le pousse à expliquer à Cacambo les égarements de la philosophie optimiste trop éloignée de la réalité. Son argument est le suivant : « c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal ». Candide est devenu son propre maître, il a à présent sa propre philosophie, bien mûrie, non dogmatique et toujours prête à la remise en cause, sa compréhension est personnelle et détachée de l’enseignement absurde de Pangloss.



CONCLUSION
On retrouve dans ce chapitre 19 de Candide les deux fonctions de l’apologue philosophique, plaire et instruire. Le but didactique est ici centré sur la dénonciation de l’esclavage. Le dialogue du nègre est mis au service de la critique.

Nous avons la critique de l’esclavage, dénonciation de leur condition, mise en avant des raisons économiques, critique de l’Eglise et enfin critique de la philosophie leibnizienne et de son optimisme injustifié.
Nous mettrons en avant l’aspect primordial de ce passage dans le roman philosophique car il correspond à une prise de conscience chez Candide qui dans son parcours initiatique comprend qu’il faut se détacher de l’enseignement de son professeur précepteur pour commencer à se forger sa propre philosophie

Ouverture :
Jean Claude Carrière, la Controverse.

 

 

Date de dernière mise à jour : 17/05/2019

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