Voltaire, Candide, analyse de l'incipit

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L'incipit de Candide, un moyen pour l'auteur d'exposer d'emblée ses opinions

 

INTRODUCTION

 

Le texte que nous allons étudier est l'incipit de Candide, c'est à dire le début du premier chapitre. Candide est le troisième conte philosophique de Voltaire, qu'il a fait publier anonymement en 1759, à Genève, où il n'y a ni censure ni sceau royal.

Le passage ouvre le roman en décrivant la société du château de Tunder-ten-tronckh, où naît Candide, le héros. Elle se présente comme un "paradis terrestre". Plus tard, le jeune homme s'affranchira de cet univers qu'au début il juge parfait; en attendant, il accepte sans broncher l'ordre établi, représenté politiquement par le baron et idéologiquement par le philosophe Pangloss.

Dans le but de répondre à la problématique en quoi l’incipit est-il un moyen pour l’auteur d’exposer ses opinions, vous verrons dans un premier temps, l’aspect du conte traditionnel au conte philosophique, en second lieu, nous étudierons le pouvoir illusoire de la noblesse puis l’illusion de la philosophie optimiste.

 

 

I/ DU CONTE TRADITIONNEL AU CONTE PHILOSOPHIQUE

 

1- les caractéristiques du conte traditionnel:

- l'ouverture du récit: le roman commence comme un conte merveilleux, une fiction simple et limpide, destinée à séduire l'imaginaire. La formule "il y avait", rappelle le début des contes de fées ("il était une fois")

- le décor: l'auteur nous fait entrer dans un "château", décor par excellence des rêves de bonheur et des aventures extraordinaires.

- un monde parfait: l'usage fréquent des superlatifs nous montre que tout y est excessif et implique un univers de perfection qui échappe à nos lois habituelles: "les mœurs les plus douces", "l'esprit le plus simple", ou encore "le plus beau des châteaux".

- le nom des personnages: la schématisation des personnages réduits à une seule qualité (candeur, orgueil, bavardage, sensualité) est une autre caractéristique du conte, où tous les rôles sont stéréotypés: le roi, la princesse, la fée, la sorcière, etc.

 

Candide s'appelle du nom même de sa principale caractéristique: il aborde le monde avec innocence et crédulité, acceptant naïvement l'ordre établi. Cette candeur implique aussi l'idée de pureté: le jeune homme a "le jugement assez droit".

 

2 – Le conte philosophique

Beaucoup de détails réalistes altèrent le merveilleux. Dès la première ligne en effet, la mention géographique « Westphalie » en Allemagne nous ramène à la réalité.

La fiction du roman philosophique est également relativisée du fait par exemple du ridicule nom du baron Thunder-Ten-Tronckh avec ses allitérations en « t ». Nous pouvons encore citer le nom de Pangloss qui, d’un point de vue étymologique signifie : pan=tout et glossa=langue. Un nom au service de l’idée car il s’agit pour Voltaire de ridiculiser ce philosophe qui parle tout le temps, qui cherche à tout expliquer et qui sombre dans le discours dogmatique et tautologique.

 

L’ironie est aussi une composante importante du conte. C’est un moyen indirect de dénigrement qui permet à Voltaire de ridiculiser un adversaire et de faire ressortir l’absurdité de ses thèses ; La figure de rhétorique utilisée pour faire valoir l’ironie est l’antiphrase. L’inutilité des paroles de Pangloss s’entêtant à raisonner sur le fait qu’il n’y a « point d’effet sans cause » s’avère être une façon détournée pour le philosophe de dénoncer la redondance du système leibnizien visé à travers le personnage.

 

Candide se présente donc comme un conte traditionnel, grâce au décor et aux personnages stéréotypés.. Mais Voltaire se sert de certains éléments réalistes et ironiques, qui ressortent exagérément dans ce monde presque parfait. L'auteur cherche en fait à exposer ses points de vue en faisant semblant d'être d'accord avec des idées qui même au lecteur paraissent absurdes. Voltaire va commencer par critiquer le pouvoir illusoire des nobles.

 

 

II/ LE POUVOIR ILLUSOIRE DE LA NOBLESSE

 

1- présentation des personnages: l'étude de la structure du texte met déjà en valeur le projet critique de l'auteur. Le premier paragraphe décrit Candide, le bâtard, puis le baron du château est présenté, alors qu'il est de plus haute stature sociale. De même, le reste de la famille la plus noble est brièvement décrite, Cunégonde l'étant avant son frère.

 

 

2- univers fondé sur les apparences:

- quartiers de noblesse: pour Voltaire, la noblesse de son époque est un monde figé dans ses préjugés. ll s'attaque d'abord aux généalogies dont les nobles aimaient à s'enorgueillir. Candide est un bâtard car son père n'a "pu prouver que soixante et onze quartiers" de noblesse, alors que les Tunder-ten-tronckh en ont un de plus, comme nous l'apprendrons au ch.15.

 

- raisons de la puissance du baron et de la baronne: par ailleurs, la noblesse du baron et de la baronne n'est qu'un simple titre, fondé sur aucune grandeur réelle. Leur pouvoir est expliqué par des raisons absurdes: la proposition "Monsieur le baron était l'un des plus grands seigneurs de la Westphalie", est complètement anéantie par la justification qui suit: "car son château avait une porte et des fenêtres". De même, la baronne s'attire "une très grande considération", mais seulement à cause de ses "trois cents cinquante livres". C'est à dire son poids impressionnant.

 

- prétention: la noblesse du baron n'existe en fait que dans son esprit. L'illusion est entretenue par les flatteries de ses valets qui "l'appelaient tous Monseigneur", alors que le titre est réservé aux princes, ducs, ou gouverneurs de provinces.

 

Voltaire commence donc par s'attaquer au personnage supposé avoir le plus de pouvoir, en le ridiculisant: le baron est visiblement prétentieux, convaincu de son pouvoir qui ne repose que sur des apparences dérisoires ou insignifiantes, et ses valets ne font qu'entretenir ses illusions. Candide, persuadé de la puissance de la famille Tunder-ten-tronckh, représente le point de vue de l'auteur, ironique, qui fait semblant de croire la même chose. Voltaire va d'ailleurs utiliser exactement le même procédé pour la deuxième partie du passage, réservée à Pangloss et sa philosophie, pour critiquer l'illusion de la philosophie optimiste.

 

 

III/ L'ILLUSION DE LA PHILOSOPHIE optimiste

 

1 – fausse logique :

Voltaire critique la philosophie optimiste de Pangloss qui lui parait injustifiée et en parfait décalage avec la réalité. C’est en jouant sur un usage trompeur de la causalité que Pangloss croit pouvoir tout justifier d’un point de vue intellectuel, ainsi, par exemple affirme t’-il : « les nez sont faits pour porter des lunettes » et donc « aussi avons-nous des lunettes ». L’absurdité du raisonnement est soulignée du fait de sa redondance. Tous les discours du personnage sont tautologiques.

 

2- satire des systèmes "a priori":

Leibniz est d’emblée visé, Voltaire s’en prend à son système de pensée « apriori » qui propose des explications sans tenir compte des faits ; La mention de la « métaphysico-théologo-cosmolonigologie », résume de façon caricaturale l’absurdité de cette science fondée sur les a priori.

 

 

CONCLUSION

 

Ce passage présente tout d'abord le milieu dans lequel Candide, encore adolescent, va évoluer pour atteindre peu à peu l'âge adulte au cours du récit à venir. Nous assistons, dans cet incipit, à l’initiation philosophique, intellectuelle donc, et sentimentale du héros Candide. Son apprentissage n’est en fit pour Voltaire qu’un moyen d’enseigner le lecteur lui-même sur ce qu’il estime crédible, juste ou justifié. Il s’en prend à l’optimisme qu’il qualifie de nuisible au profit d’une autre philosophie, celle des lumières.

Date de dernière mise à jour : 17/05/2019

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