Rimbaud, Dormeur du val

 

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Le Dormeur du Val, (1870) Arthur Rimbaud

 

Lecture du poème :

C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, lèvre bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud

Octobre 1870

 

INTRODUCTION

 

Nous allons étudier une poésie D'Arthur Rimbaud, poète né en 1854 qui s'est fait très vite remarquer par la qualité de sa poésie et en particulier par ses vers en latin publiés dans la presse locale. Le sonnet étudié dans le cadre de notre étude s'intitule, Le dormeur du val, il fut écrit en 1870 pendant ses voyages et ses fugues. Il passe près des lignes allemandes et les scènes dont il est le témoin l'inspirent alors.  Le Dormeur du val est un sonnet, deux quatrains et deux tercets, dans lequel le jeune écrivain tente de faire partager ce qu'il ressent. L'écriture poétique est ici au service du témoignage de l'homme face aux horreurs de la guerre et à l'injustice. Les mots sont au service de la dénonciation au nom du devoir de mémoire. L'homme ne doit pas oublier.

 

Annonce du plan

  • Introduction
  • I - Mise en scène de la poésie
  • 1 - Un sonnet traditionnel
  • 2 - Un effet de surprise
  • 3 - Suspense et mise en scène dramatique
  • Suspense
  • Tragédie du soldat mort : Inversion du titre et de la poésie
  • Description et mise en scène de la mort du jeune soldat
  • Transition
  • II - Une dénonciation de la guerre
  • La poésie au service de la dénonciation
  • Les fonctions de l'écriture poétique : la critique et la dénonciation de la guerre et de l'injustice
  • Conclusion
  • Ouverture

 

 

Problématiques possibles

  • Vous étudierez l'opposition entre le titre bucolique du sonnet et la tragédie de la mort du soldat.
  • Quelle est la place de ce poème dans l'itinéraire Rimbaud?
  • Quel est le message essentiel de cette poésie?
  • En quoi ce poème est-il une dénonciation de la guerre?

 

I - Une mise en scène de la poésie

1 - Un sonnet traditionnel

Nous sommes dès le début de la lecture en présence d'un sonnet tout à fait traditionnel, composé de deux quatrains et de deux tercets ou d'un sizain, décrivant un cadre de verdure, une nature vraiment accueillante, chaleureuse et harmonieuse. Ainsi, Rimbaud nous offre une lecture agréable dès le premier vers grâce au présentatif "C'est" qui nous projette malgré nous dans une atmosphère idyllique et confortable. La vie domine et la nature toujours personnifiée charme l'homme qui s'y perd. La description du val prend forme, la rivière "chante", vers 1, les "haillons" au vers 2, "la montagne fière"..., toutes ces personnifications font du val une sphère d'accueil charmante et charmeuse avec les contrastes nécessaires à l'idée que l'homme peut s'en faire. Nous soulignerons la présence d'un oxymore essentiel aux vers 2 et 3, "haillons d'argent".  Il semblerait que tout dans la nature se réponde par le jeu des correspondances des sens, légèreté, effervescence, contradictions ou encore éveil de l'ouie et de la vue grâce au verbe "chante" du vers 1 et à "mousse" au vers 4, "qui mousse de rayons". Des effets de lumière sont rendus et accentués par le champ lexical : "argent", "soleil", "luit", "rayons".

2 -  Un effet de surprise

Le deuxième quatrain nous offre l'image d'une nature protectrice et bienveillante qui accueille un soldat totalement étranger au décor naturel, en son sein. L'harmonie et la tranquillité ne sont pas troublées, "il dort", "il est étendu" serein et paisible dans les bras de mère nature, "son lit vert".  Le tableau est toujours celui d'une resplendissante  et verdoyante campagne aux couleurs chaudes, "cresson bleu", "lit vert" sollicitant ainsi les sens du lecteur et dans cette ambiance de fraîcheur, de couleurs, d'odeurs et de lumière, l'homme se repose paisiblement "dans le frais cresson bleu, sur un "lit vert où la lumière pleut".

3 - Suspense et mise en scène dramatique

Suspense

Un effet de supense est ensuite rendu dès le premier tercet par le poète qui volontairement met l'accent sur l'immobilité du jeune soldat dormant mais de manière reccurrente. On retrouve le même champ lexical du sommeil du deuxième quatrain, "il dort" apparaît de nouveau au vers 9 puis, "il fait un somme" au vers 10. Une progression vers le suspense au vers 11 "il a froid",  inquiète le lecteur par son aspect insolite et contraire à l'harmonie et la légèreté d'une nature sereine et chaleureuse.  Ce détail figure en fin de vers et renforce encore l'impression d'inquiétude. L'immobilité est à présent moins anodine, elle éveille la curiosité et soulève quelques doutes. Tous les éléments de la nature s'accordent  avec le sommeil du jeune homme et pourtant  le soldat ne s'accorde pas avec ces éléments, il reste insensible aux odeurs, il ne réagit pas aux couleurs,  à la lumière, sa passivité est totale ainsi que le suggèrent les verbes dormir et faire un somme. Il est juste là," tranquille" dans l'indifférence la plus absolue.

Tragédie du soldat mort : inversion du titre et de la poésie

La lecture doit se poursuivre jusqu'au dernier vers du dernier tercet du sonnet avec l'euphémisme "il a deux trous rouges du côté droit" pour comprendre qu'il dort d'un éternel sommeil et que son dernier souffle appartient désormais à cette nature qui le berce tendrement.  Le symbolisme prend son importance, la couleur rouge connote la mort, "trous rouges" et sa violence contraste avec les couleurs douces et chaudes du début de la poésie.  Le trou de verdure renvoie à l'idée de tombe et la tranquillité à la paix du soldat mort.  Nous avons donc une relation inversée entre le titre bucolique et la tragédie vécue par le soldat mort et il nous faut terminer la lecture du sonnet pour rendre explicite les termes suivants : "pâle", "étendu", "froid", "lit". Les connotations mortuaires ainsi suggérées et élucidées, nous voyons comment l'âme de ce jeune homme décédé des horreurs de la guerre survit au coeur de la nature immortelle.

Description et mise en scène de la mort du jeune soldat

L'inversion du titre de la poésie et de la situation tragique du soldat décédé dévoilée à la fin du sonnet nous fait penser à une réelle mise en scène de la mort de celui-ci. Tout contribue en effet à donner de l'ampleur à cette mort dont la seule responsable est la guerre. La relecture de la poésie nous fait penser à un tableau dont on s'approcherait peu à peu pour en découvrir les moindres détails qui nous auraient échappés jusque là.  Tout se dessine de manière progressive : tout d'abord le val "le trou de verdure" au vers 1, vient ensuite une brève description du soldat dont nous  ne connaissons rien sinon qu'il dort " bouche ouverte, tête nue", "la nuque baignant dans le frais cresson bleu", "il est étendu", enfin "il a la main sur sa poitrine", il a "deux trous rouges du côté droit". Il nous faut donc attendre le dernier vers pour comprendre que le jeune homme est mort et donner tout son sens au poème.

Cette mise en scène est encore accentuée par son effet pictural dans les couleurs et la lumière. Nous passons du bleu du cresson au vert de la nature qui connotent la vie et la chaleur de la campagne au rouge, sang associé à la mort, au froid. Le contraste se voit amplifié par le jeu des lumières qui créé une grande douceur en particulier aux vers 4 " le petit val qui mousse de rayons", vers 8 " la lumière pleut". Puis le contraste se renforce davantage, "il a froid", "berce le chaudement", "dans le soleil"

Transition :

Derrière l'apparence d'un sonnet traditionnel se cache une véritable mise en scène de la poésie et de la mort du jeune homme. Mais le lecteur doit en découvrir progressivement les différents indices afin de résoudre cette énigme poétique. Nous voyons que l'écriture se met au service de la dénonciation. Ce n'est pas n'importe quel jeune qui repose au coeur de ce petit trou de verdure mais un soldat en pleine jeunesse tué à la guerre. Par conséquent, derrière les vers se dessine une critique acerbe de l'injustice et de la guerre.

 

II - Une dénonciation de la guerre

1 -La poésie au service de la dénonciation

Les fonctions de l'écriture poétique : la critique et la dénonciation de la guerre et de l'injustice

Si la première lecture du sonnet nous renvoie l'idée d'un poème léger, agréable, charmant, la fin de la poésie force le lecteur a prendre conscience de la gravité de cet écrit poétique. En effet, Rimbaud, malgré son jeune âge utilise ses talents de poète et l'écriture poétique à des fins engagées. Il s'agit d'une dénonciation de la guerre et de l'injustice. On découvre à la fin de la poésie  le jeune soldat mort, seul, sans vie  dans une campagne et l'atrocité et le sentiment d'injustice dominent. Le sonnet prend son sens et invite à la réflexion. La relecture est en fait une interprétation

L'injustice est transcrite à travers la mort d'un homme qui n'est autre qu'un jeune soldat dont la guerre a pris la vie. On peut supposer qu'il n'avait pas un âge très éloigné de celui de Rimbaud ce qui intensifie encore l'impression de jeunesse sacrifiée au nom de la guerre, du combat, de l'idéal....  Rimbaud se sentait certainement concerné du fait de ses 16 ans et révolté des conséquences de cette guerre meurtrière. La mort devient omniprésente au point d'effacer le tableau bucolique et champêtre. Nous avons une véritable mise en scène de l'horreur. Le registre est tragique, la mort mise en scène.

La dénonciation de la guerre se fait très progressivement mais tout au long du poème : le soldat est tout d'abord "les pieds dans les glaieuls, il dort... souriant...", il est ensuite comparé à "un enfant malade" qui "fait un somme, qui " a froid" et enfin la chute à laquelle le poète nous prépare, "il a deux trous rouges".

Le titre après relecture peut surprendre, il n'est pas évocateur de la réalité retranscrite par l'écriture poétique.  On peut cependant assimiler le dormeur au mort lorsqu'on a connaissance du sens profond et réfléchi du sonnet.  Le dormeur du val est une dénonciation de la guerre perçue comme meurtrière et responsable de la mort de trop d'hommes et de trop de jeunes soldats. La guerre est par conséquent contre-nature. Le message est d'autant plus fort que la mort omniprésente contraste avec les connotations de la vie suggérées par la nature. Le jeune poète a su par l'intermédiaire de l'écriture poétique, dénoncer la guerre, les pertes humaines à travers le soldat du val.

 

Conclusion :

Le Dormeur du val reflète la grande maturité de Rimbaud qui a su malgré son jeune âge mettre l'écriture poétique au service d'une dénonciation de la guerre. Son état d'esprit déjà engagé pour les causes importantes transparaît à travers ce sonnet. La mise en scène fait de cette poésie un devoir de mémoire.

 

Ouverture :

La folie meurtrière et l'absurdité  de la guerre sont  également dénoncées par Rimbaud dans Le Mal.

 

 

 

 

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 25/05/2023

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