R. Barthes, Mythologies, Jouets, étude et oral EAF
Mythologies, Roland Barthes
Jouets = commentaire littéraire et oral EAF
Jouets
Que l'adulte français voit l'Enfant comme un autre lui-même, il n'y pas de meilleur exemple que le jouet français. Les jouets courants sont essentiellement un microcosme (1) adulte ; ils sont tous reproductions amoindries d'objets humains, comme si aux yeux du public l'enfant n'était en somme qu'un homme plus petit, un homunculus (2) à qui il faut fournir des objets à sa taille.
Les formes inventées sont très rares : quelques jeux de construction, fondés sur le génie de la bricole, proposent seuls des formes dynamiques. Pour le reste, le jouet français signifie toujours quelque chose, et ce quelque chose est toujours entièrement socialisé, constitué par les mythes ou les techniques de la vie moderne adulte : l'Armée, la Radio, les Postes, la Médecine (trousses miniatures de médecin, salles d'opération pour poupées), L'École, la Coiffure d'Art (casques à onduler), L'Aviation (parachutistes), les Transports (Trains, Citroëns, Vedettes, Vespas, Stations-Services), la Science (Jouets martiens).
Que les jouets français préfigurent littéralement l'univers des fonctions adultes ne peut évidemment que préparer l'enfant à les accepter toutes, en lui constituant avant même qu'il réfléchisse, L'alibi d'une nature qui a créé de tout temps des soldats, des postiers et des vespas. Le jouet livre ici le catalogue de tout ce dont l'adulte ne s'étonne pas : la guerre, la bureaucratie, la laideur, les Martiens, etc. [... ] Seulement devant cet univers d'objets fidèles et compliqués, l'enfant ne peut se constituer qu'en propriétaire, en usager, jamais en créateur ; il n'invente pas le monde, il l'utilise : on lui prépare des gestes sans aventure, sans étonnement et sans joie. On fait de lui un petit propriétaire pantouflard qui n'a même pas à inventer les ressorts de la causalité adulte ; on les lui fournit tout prêts : il n'a qu'à se servir, on ne lui donne jamais rien à parcourir. Le moindre jeu de construction, pourvu qu'il ne soit pas trop raffiné, implique un apprentissage du monde bien différent : l'enfant n'y crée nullement des objets significatifs, il lui importe peu qu'ils aient un nom adulte : ce qu'il exerce, ce n'est pas un usage, c'est une démiurgie (3) : il crée des formes qui marchent, qui roulent, il crée une vie, non une propriété ; les objets s'y conduisent eux-mêmes. Ils n'y sont plus une matière inerte et compliquée dans le creux de la main.
Mais cela est plus rare : le jouet français est d'ordinaire un jouet imitation, il veut faire des enfants usagers, non des enfants créateurs.
L'embourgeoisement du jouet ne se reconnaît pas seulement à ses formes, toutes fonctionnelles, mais aussi à sa substance. Les jouets courants sont d'une matière ingrate, produits d'une chimie, non d'une nature. Beaucoup sont maintenant moulés dans des pâtes compliquées : matière plastique y a une apparence à la fois grossière et hygiénique, elle éteint le plaisir, la douceur, L'humanité du toucher. Un signe consternant, c'est la disparition progressive du bois, matière pourtant idéale par sa fermeté et sa tendreur, la chaleur naturelle de son contact ; le bois ôte, de toute forme qu'il soutient, la blessure des angles trop vifs, le froid chimique du métal ; lorsque l'enfant le manie et le cogne, il ne vibre ni ne grince ; il a un son sourd et net à la fois ; c'est une substance familière et poétique, qui laisse l'enfant dans une continuité de contact avec l'arbre, la table, le plancher. Le bois ne blesse, ni ne se détraque ; il se casse pas ; il s'use, peut durer longtemps, vivre avec l'enfant, modifier peu à peu les rapports de l'objet et de la main ; s'il meurt, c'est en diminuant, non en se gonflant, comme ces jouets mécaniques qui disparaissent sous la hernie d'un ressort détraqué. Le bois fait des objets essentiels, des objets de toujours. Or il n'y a presque plus de ces jouets en bois, de ces bergeries vosgiennes, possibles, il est vrai, dans un temps d'artisanat. Le jouet est désormais chimique, de substance et de couleur ; son matériau même introduit à une cénesthésie (4) de l'usage, non du plaisir. Ces jouets meurent d'ailleurs très vite, et une fois morts, n'ont pour l'enfant aucune vie posthume.
Microcosme : monde réduit. - Homunculus : petit être vivant. - Démiurgie : une activité créatrice. - Cénesthésie : ici, signifie que l'enfant reconnaît l'objet sans affectivité particulière.
Commentaire littéraire
Roland Barthes est né en 1916. Il fait des études de Lettres puis se consacre à la critique littéraire et à la sociologie. Entre 1954 à 1957 il publie une série d'articles qu'il regroupera en 1957 dans Mythologies. Il cherche à déceler dans les objets quotidiens les signes d'une réalité sociale qui échappe à ses contemporains. Ici Barthes nous invite à prendre du recul sur les jouets proposés aux petits Français qui, selon l'opinion générale, ont pour objet de développer leur créativité et servir de supports à leurs découvertes. Nous observerons d’abord la minutie avec laquelle RB relève les signes attachés aux jouets puis nous expliciterons comment le jouet trahit l'aliénation des enfants et y contribue. Nous verrons enfin comment l’écriture est pour RB un jeu et comme le jouet un instrument de liberté et de plaisir.
Questionnaire sur l'introduction :
- Que cherche à déceler Roland Barthes dans les objets quotidiens?
- De quel objet s'agit-il dans ce texte?
- Invite t'-il le lecteur à prendre du recul par rapport aux jouets?
- Quelle est l'opinion du sens commun sur les jouets?
- Que pense Roland Barthes de l'avis du sens commun?
I Le jouet : un signe
1 Une étude minutieuse
Précision de la description
Barthes se livre, dans cet article, à une étude minutieuse des signes que véhicule l’univers du jouet. Son texte est clair, précis, il colle à son objet. Il énumère les thèmes du jouet, détaille les modèles (trousses miniatures de médecin, salles d'opération pour poupées, casques à onduler, parachutistes, trains, Citroën, … jouets martiens », et même «les poupées qui urinent, ...mouillent leurs langes» et, plus loin, les «bergeries vosgiennes». Il évoque la matière, s’étend sur les caractéristiques du plastique et s'attarde sur les qualités du jouet en bois, « matière idéale par sa fermeté, sa tendreur, la chaleur naturelle de son contact ».
Petitesse de l'objet
Barthes relève que la quasi-totalité des jouets sont des « reproductions amoindries » des objets d'adultes. Le fait que « les jouets sont essentiellement un microcosme adulte » est affirmé dès la seconde phrase. Le thème de la petitesse et de la réduction est martelé : « microcosme »
« reproductions amoindries » « homme plus petit » « homonculus ».
Plus loin :« le jouet français est comme une tête réduite de Jivaro» (l.16)
insistance sur l'imitation
Le thème de l'imitation est central dans « Jouets ». C’est le signe principal. Il est repris dans les trois premiers paragraphes : «reproductions amoindries d'objets humains» (l.3); . « Les formes (jouets) inventées sont très rares.» (l;5).RB multiplie à l'envi les exemples de jouets qui imitent les objets de l' adulte, reproduisent son univers et ses mythes. « Le jouet français est d'ordinaire un jouet d'imitation ». (l.29)
Barthes précise : ce n’est pas l'imitation qui le dérange mais l’imitation servile : « Ce n'est pas tant, d'ailleurs, l'imitation qui est signe d'abdication, que sa littéralité».(l.15) Il insiste sur cette nuance. Par deux fois les termes « littéralement » (l.11) et « littéralité » (l 15) sont employés dans le paragraphe et Barthes étaie son argumentation par la comparaison frappante du jouet avec « une tête réduite de Jivaro où l’on retrouve les rides et les cheveux de l’adulte ». ».
transition
La description précise du jouet est au cœur de la stratégie argumentative de RB qui se livre ici à une critique radicale des jouets proposés aux enfants dans les années cinquante.
Questionnaire sur le I
1 – Une étude minutieuse
- Précision de la description
- De quelle nature l'étude de Roland Barthes est-elle ?
- Comment énumère t'-il les thèmes du jouet ? Citez pour justifier votre réponse
- La matière est-elle évoquée ?
- S'attarde t'-il sur les caractéristiques du plastique ?
- Fait-il de même pour les qualités des jouets en bois ? Relevez la phrase qui le montre
- Relevez l'expression qui montre que la quasi-totalité des jouets reflète les objets d'adultes
- Relevez une phrase qui traduit la petitesse du monde des jouets
- Relevez le champ lexical de la petitesse
- Le thème de l'imitation est-il central ? Justifiez votre réponse en vitant.
- Est-ce le signe principal ?
- Dans quels paragraphes cela est-il manifeste ?
- Expliquez « le jouet français est d'ordinaire un jouet d'imitation »
- De quelle nature l'imitation est-elle ? Citez pour justifier votre réponse
- Quelle est la comparaison faite par Roland Barthe ? A quoi le jouet est-il assimilé ?
2 Un discours persuasif
La stratégie argumentative
Dans « Jouets », Barthes déroule d’abord des constats simples, il relève des signes. Il multiplie les exemples de jouets d'imitation : « l'Armée, la Radio, les Postes, la Médecine »...«soldats, pompiers, vespa, trousses miniatures de médecin… casques à onduler...etc» ; Il procède ensuite à une double comparaison : le jouet d’imitation opposé au jeu de construction puis le jouet en plastique opposé au jouet en bois. Ces constats ont pour effet de rendre incontestables les remarques comme les conclusions que RB en tire.
Un discours généralisant
Il utilise d’ailleurs tout au long du texte le temps présent, le temps de la vérité générale. La reprise
de l’adverbe « toujours » dans la phrase qui présente la thèse principale de l’article renforce l’affirmation d’une vérité incontestable : « Le jouet français signifie toujours quelque chose et ce quelque chose est toujours entièrement socialisé. »(l.6-7)
Dénonciation d’un discours
L’idée répandue dans le public est que le jouet est conçu pour aider l’enfant à se construire, à découvrir le monde. Barthes démonte ce discours point par point. D’abord l’adulte ne voit pas vraiment l’enfant comme un enfant mais « comme un autre lui-même ». Ensuite l’adulte ne donne rien à construire mais fournit des concepts et des comportements déjà totalement définis. « (l’enfant n’invente pas le monde, il l’utilise ». Enfin tout est fait pour conditionner les enfants à leur rôle de futurs consommateurs.
Barthes défend sa thèse en s’impliquant personnellement. Il recourt au pathos et s’indigne : « on lui prépare des gestes sans aventure, sans étonnement et sans joie » (l.22). Il s’afflige « un signe consternant (l.35). Il prend parti contre le plastique « une matière ingrate », « une apparence grossière ».
3 une sémiologie du jouet
Selon la méthode du sémiologue, la forme, la substance du jouet ainsi que les sensations qu’il procure sont analysées avec précision puis associées à ce qu’elles traduisent de la réalité sociologique.
Pour la forme, RB oppose les formes d’imitation, majoritaires, aux formes d’invention dont il ne trouve trace que dans le jeu de construction.
De la substance, dont Barthes relève qu’il s’agit de plus en plus de matière plastique, il déduit l’évolution de la société vers une recherche de la consommation à tout va, sans souci de réflexion, ni de création.
Enfin il relève que le toucher des jouets modernes, à la différence de celui des jouets en bois, ne procure plus de rapprochement avec la nature ni même de plaisir. On a des jouets pour posséder, on utilise parce que ça existe et que c’est fait pour ça.
Tansition
L'enfant, porteur pour RB de tous les possibles, de toutes les aspirations, est en réalité aliéné.
2 – Un discours persuasif
- La stratégie argumentative
- Sur quoi repose la stratégie argumentative ?
- Quelle est la double comparaison ?
- Quels sont les effets de ces constats ?
- Peut-on parler d'un discours généralisant ? En quoi ? Justifier
- Est-ce la dénonciation d'un discours ?
- Que pense le sens commune ?
- Que démontre Roland Barthes ?
- En réalité que fait l'adulte ? Que transmet-il ?
- A quoi les enfants sont-ils conditionnés ?
- Barthes est-il engagé dans cette dénonciation des comportements d'adultes ?
- Relevez une expression qui montre que l'auteur est affligé
- Relevez les expressions qui traduisent son parti pris contre le plastique
3 - la sémiologie du jouet
- Du point de vue de la sémiologie du jouet, quelles sont les formes opposées aux formes d'imitation ?
- Quelle analyse Barthes propose t'-il de l'évolution de la société ?
- Du point de vue du toucher du jouet en plastique, à quoi est-il opposé ? Pourquoi ? Expliquez
II L'enfance : une aliénation
1 des usagers
la fonctionnalité.
Si on définit l'aliénation comme la situation de quelqu'un qui est dépossédé de ce qui constitue son être essentiel, sa raison d'être, de vivre, l'enfant est aliéné à plus d'un titre.
D’abord son statut d'enfant lui est refusé par l'adulte français qui « (voit) l'Enfant comme un autre lui-même ». Pire encore, l'enfant est un sous-homme et on relève dans le paragraphe plusieurs notations péjoratives :« reproductions amoindries », « n'était...que... », « homonculus »
Ensuite l'enfant est dépossédé de son potentiel de découverte, de création. On lui impose dès son plus jeune âge, « avant même qu'il réfléchisse », des images et des concepts, « l'univers des fonctions adultes ». Désormais « l'enfant n'invente pas le monde, il l'utilise ». Peu importent ses goûts, ses aspirations, on lui donne à faire « on ne lui donne jamais rien à parcourir. ».
L'imitation
En lui procurant des objets qui le relient à un monde prédéfini et entièrement structuré, « on lui prépare des gestes sans aventure, sans étonnement et sans joie ». (l.21). Doté d'objets et d'informations imposés, il est condamné à imiter, à se comporter « en propriétaire, en usager, jamais en créateur » (l.20-21)
2 des bourgeois
des consommateurs
Largement partisan des analyses marxistes, RB critique, dans les années cinquante, la société capitaliste, la société de consommation naissante. Les énumérations, les pluriels (« trousses miniature de médecin...etc) évoquent la surabondance d'objets. Il souligne la brièveté de leur existence (et donc le gaspillage induit) : « ces jouets meurent d’ailleurs très vite ». Son époque l'inquiète. Il évoque « tout ce dont l'adulte ne s'étonne pas : la guerre, la bureaucratie, la laideur, les Martiens... » (l.14). Manipulé, l'enfant est programmé pour devenir « un usager », « un utilisateur » avec tout ce que cela implique de soumission et de suivisme.
des sexistes
Manipulé, l'enfant l'est aussi dans la distribution de rôles sociaux en fonction du sexe. Par le jouet « On peut ...préparer la petite fille à la causalité ménagère, la conditionner à son futur rôle de mère. »(l.18-19).
des propriétaires
« On fait de (l’enfant) un petit propriétaire pantouflard ». L’image est forte ; Elle est amplifiée par l’alitération. Elle oppose la caricature du bourgeois, ridicule et antipathique à l’enfant, être poétique par excellence. La formule traduit le mépris de Barthes qui déteste la mentalité du possédant, celui qui accumule, qui ne crée pas. Créer est la condition du bonheur, à l'inverse de l'embourgeoisement.
Transition
L’aliénation de l’enfant et le détournement de la fonction du jouet sont pour RB impardonnables car pour lui le jeu comme l’écriture sont des espaces de création, de liberté et de plaisir.
Questionnaire sur le II
L'enfance : une aliénation
1 – Des usagers
- La fonctionnalité
- L'enfant est-il aliéné ? Pourquoi ? Proposez une définition de l'aliénation
- Montrez que l'enfant est aliéné de par son statut d'enfant refusé par l'adulte, puis qu'il est dépossédé de son potentiel en ne lui donnant rien à faire : citez le texte pour justifier votre réponse
- Expliquez la phrase suivante : « on lui prépare des gestes sans aventure, sans étonnement et sans joie ».
- L'enfant est-il donc condamné à imiter ? Citez le texte
2 – Des bourgeois
- Des consommateurs
- Que critique Roland Barthes ?
- Comment la surabondance d'objets est-elle évoquée dans l'énumération des jouets ?
- Comment l'idée de gaspillage transparaît-elle ?
- L'enfant est-il programmé à se soumettre ?
- Peut-on dire que l'enfant est aussi manipulé dans les rôles sociaux en fonction du sexe par le jouet ? Comment cela est-il évoqué dans le texte ? Citez le texte
- Comment l'image de la propriété est-elle soulignée dans le passage ? Relevez une phrase évocatrice à cet égard
- Relevez une allitération
- Comment la caricature du bourgeois s'oppose t'-elle à l'enfant ?
- Bartes est-il méprisant ?
- Que pense t'-il de la mentalité du possédant ?
- A quoi l'idée de créer est-elle associée ?
- Créer, est-ce l'inverse de l'embourgeoisement ?
III Le jeu : une émancipation
1 jeux de construction
La création littéraire
Comme il fait longuement l’éloge des jeux de construction (l.24-29), outil de création et d’épanouissement de l’enfant, RB se livre dans cet article à la construction d’un texte et, comme tout écrivain brillant, il utilise avec dextérité les mots et les figures de style. Il accumule les oppositions « l’enfant ne peut se constituer qu’en propriétaire, en usager, jamais en créateur » ; « il n’invente pas le monde, il l’utilise » ; il crée une vie, non une propriété. » Il invente des images et des comparaisons « comme une tête réduite de Jivaro…où l’on retrouve les rides et les cheveux de l’adulte ». Dans celle du « petit propriétaire pantouflard », on relève l’alitération bien intentionnelle.
Il sait aussi varier le ton et passe du simple constat « les formes inventées sont rares » au cocasse « le jouet français est comme une tête réduite de Jivaro » ou à l’énumération plaisante des jouets (« des soldats, des postiers, des vespa, …de martiens »). Plus loin il prend un ton tragique en s’indignant : « on lui prépare des gestes sans aventure, sans étonnement et sans joie », puis il revient à la dérision « propriétaire pantouflard » et au lyrisme et à la nostalgie lorsqu’il évoque les objets en bois « le bois fait des objets essentiels, des objets de toujours » pour enfin retrouver le style précis du sémiologue « une cinesthésie de l’usage, non de plaisir ».
2 - Jeu avec le lecteur
Jeu de Barthes avec son lecteur : la manipulation
Une ironie légère transparaît tout au long du texte mais ce sont quelques points qui nous confirment que RB ne prend pas sa thèse tout-à-fait au sérieux et qu’il joue avec le lecteur ou se joue de lui.
Dès le début du texte, il attribue aux jeux de construction une parenté avec « le génie de la bricole » (l.5). Ce sont les seuls jouets qu’il apprécie or il les dénigre, les ridiculise avec cette expression triviale. Plus loin, il annonce à propos des poupées que « bientôt dans leur ventre le lait se transformera en eau ». Chacun sait que le lait digéré ne se transforme pas en eau et on devine quelle matière Barthes a préféré ne pas nommer.
Les hyperboles, les énumérations cocasses, les comparaisons incongrues (la tête de Jivaro) sont décalées dans une analyse sociologique.
Lorsque Barthes adopte un ton lyrique et chante la forêt, l’enfance, les arbres, les tables en bois, on sent qu’il exagère. On pourrait dire qu’il en fait trop. On est dans un passé idéalisé, il ne manque que l’horloge et le feu de cheminée. On ne peut pas croire Barthes si passéiste et nostalgique. On devine qu’il s’amuse et nous manipule à son tour. On ne peut pas croire non plus que RB soit tout-à-fait sérieux lorsqu’il déclare sentencieusement « le bois fait des objets essentiels, des objets de toujours » (l.42) ce qui renvoie une nature humaine fixée de toute éternité. Un autre indice de la facétie de l’auteur est l’éloge du bois dans des termes ampoulés, pompeux : « le bois ôte, de toute forme qu’il soutient, la blessure des angles trop vifs, le froid chimique du métal ». Cette dernière expression est d’ailleurs étrange : pourquoi le froid du métal est-il qualifié de chimique ? Barthes ne laisserait-il pas parfois partir les mots tout seuls, comme lorsqu’il évoque « les jouets mécaniques qui disparaissent sous la hernie d’un ressort détraqué » ? Barthes ne jouerait-il pas aussi un peu en employant des grands mots comme « homonculus », « cénesthésie », « microcosme », démiurgie », surtout dans un texte évoquant l’univers de la réduction ?
Ces manipulations nous alertent ; on se demande si RB n’est pas en train de nous mystifier et de nous perdre dans l’univers des signes, dans le rapport des mots à la réalité. On se demande où finit l’analyse sérieuse d’une réalité sociologique et où commence l’exercice de style de Roland Barthes écrivain.
Questionnaire sur le III
Le jeu, une émancipation
1 Jeux de construction
- la création littéraire
- A quelles lignes, Roland Barthes fait-il l'éloge des jeux de construction ?
- A quoi sont-ils assimilés ?
- Expliquez la phrase «l'enfant ne peut se constituer qu'en propriétaire, en usager, jamais en créateur »
- Relevez d'autres oppositions qui reflètent la même idée
- Quelle comparaison invente t-il ?
- Relevez une phrase qui montre que Roland Barthes prend un ton tragique qui traduit son indignation
- Quelle phrase souligne la dérision ?
- Quelle phrase souligne la nostalgie ?
- Quelle expression montre le style précis du sémiologue ?
2 – Jeu avec le lecteur
- Jeu de Barthes avec son lecteur : la manipulation
- Montrez le ton ironique de Roland Barthes dès le début du texte. Relevez la phrase qui le montre.
- Le passé est-il idéalisé ?
- Peut-on dire que Roland Barthes s'amuse avec lui-même et avec le lecteur ?
- Cela pourrait-il faire parti d'un exercice de style ou est-ce selon vous ce qui fait la force d'une analyse sociologique ?
Conclusion
Nous avons étudié les signes que relève RB dans l’univers du jouet et ce qu’ils traduisent de l’aliénation des enfants dans la société bourgeoise. Nous avons évoqué le plaisir qu’il prend à jouer avec les mots et à se jouer du lecteur. Où finit dans ce texte l’analyse sociologique sérieuse, où commence l’exercice littéraire d’un auteur brillant ? Peu importe. On ne peut que saluer aujourd’hui encore la perspicacité de RB et son talent et, peut-être, imaginer les réflexions que lui aurait inspirées l’invasion des jeux vidéo.
Texte complémentaire
Isabelle Chavepeyer, Respectons le Doudou
Isabelle Chavepeyer, psychologue au fraje (Centre de formation permanente et de Recherche dans les milieux d’accueil du jeune enfant),
l’« objet transitionnel ». Celui-ci est le résultat de ce que D.W. Winnicott appelait une « coproduction de la relation mère-enfant ». Cet objet est présenté, parmi d’autres, par la Mère, et est finalement choisi par l’enfant. Le « doudou » en tant qu’objet est donc une manifestation possible des phénomènes transitionnels.Cet intérêt ciblé sur un objet ou un phénomène particulier débute le plus souvent vers l’âge de 6 mois ; rarement plus tôt, même si l’on peut constater des moments de rêverie chez les plus petits, témoignant, à n’en pas douter, de la construction naissante de la fonction transitionnelle. Plus précisément, l’on pourrait dire que deux conditions semblent préalables à l’investissement d’un « doudou » : d’une part, le bébé doit avoir découvert la « permanence de l’objet » (concept mis en évidence par Freud [4] Sigmund Freud (1919), « Au-delà du principe de plaisir »,... et développé par Piaget [5] Jean Piaget, La construction du réel chez l’enfant,..., que l’on pourrait traduire par : « ce qui a disparu peut-être retrouvé : cela a continué d’exister dans ma tête grâce aux représentations mentales que je m’en suis faites ») ; d’autre part, le bébé doit aussi avoir accès à l’intersubjectivité (être différencié de l’autre tout en étant en relation à l’autre).La permanence de l’objet et l’intersubjectivité ne sont pas à considérer telles des étapes, mais plutôt comme des processus de pensée qui se construisent progressivement. Dans les premiers mois de vie du bébé, ces processus sont fugaces, de courte durée, et opèrent dans des conditions très spécifiques. Ainsi, par exemple, la permanence d’un objet en mouvement semble être une découverte que le bébé perçoit bien avant la permanence d’un objet statique. De même, la perception que le bébé aura d’être différent de l’autre se fera d’abord essentiellement au travers de la perception sensorielle qu’il a de lui dans la relation à l’autre. La construction de son identité propre se fera tout au long des trois premières années de vie. Le nouveau-né, durant de courts moments particulièrement contenants (exemple : lors de la tétée), serait capable de rassembler ses différentes sensations et ainsi de ressentir la différenciation dans la relation ; l’on parle alors de « noyaux d’intersubjectivité primaires [6] Bernard Golse, Bébés qui sentent, bébés qui pensent,... ». Au fur et à mesure que le bébé grandit, la différenciation se fait de plus en plus constante. Ainsi, vers 3 ans, l’enfant peut se vivre comme un être à part entière dans la relation et parler de lui en disant « je », témoignant par là de la conscience qu’il a de lui-même.
Trois années de « labeur psychique » pour le tout-petit ! Un travail identitaire dont l’enjeu est de rester relié à l’autre tout en parvenant à s’en différencier ; préserver une continuité d’être au travers d’expériences multiples, de sensations différentes. C’est là que le « doudou » va remplir sa fonction ; qu’il peut être cocréé.
La fonction transitionnelle
Celle qui est la plus souvent reconnue au « doudou » est celle de consoler, rassurer le tout-petit. Le « doudou » peut être vu comme un point d’appui pour rester relié aux premières images mentales que le jeune enfant se fait de ses bonnes expériences : l’image avec sa mère, avec son père… Il a une fonction de lien entre le présent et l’absent. Il est un support pour se représenter mentalement ce dont l’enfant est séparé et facilite ainsi la possibilité d’anticiper un retour possible. Avec le « doudou », le tout-petit, lors de séparation ou de discontinuité, parvient à préserver du lien. Face à une nouvelle expérience, devant un manque de disponibilité de l’adulte, lorsque les repères se font moins présents ou, tout simplement, lorsqu’il en ressent le besoin, le jeune enfant peut se tourner vers son « doudou » pour tenter de se réorganiser et rester dans une continuité d’être.
En caressant, tétant, suçant, respirant… son « doudou », l’enfant se trouve dans cette zone intermédiaire que l’on nomme « espace potentiel » ou « aire transitionnelle » ; zone intermédiaire, car on la situe dans l’entre-deux : ne faisant pas totalement partie du monde interne du tout-petit et n’y étant pas totalement extérieure non plus. Dans cette aire transitionnelle, l’enfant est engagé dans une tâche incessante et profondément humaine : celle de maintenir la réalité intérieure et la réalité extérieure distinctes et néanmoins étroitement liées. Ainsi, la manipulation du « doudou » permet à l’enfant d’ouvrir la porte de l’imaginaire, de la rêverie et de faire dérouler le film de ses pensées.
Avec son « doudou », le petit est dans un mouvement d’intériorisation des expériences et d’assimilation des émotions liées à ces expériences ; il relie ses sensations internes avec des éléments externes et construit ses images mentales, ses raisonnements.
En grandissant, l’enfant parviendra de mieux en mieux à se relier à sa pensée, sa rêverie, sans l’aide d’un « doudou » ; des relais au « doudou » occuperont une place de plus en plus importante : la culture, la spiritualité, l’art… comme autant de modalités permettant l’accès à son monde intérieur. Devant une œuvre d’art, à l’écoute d’un morceau de musique, l’individu va ouvrir la porte à sa rêverie. Ainsi relié à l’autre, aux expériences externes ou intériorisées, l’être humain est à même de créer, d’inventer.
Biographie de l’auteur :
* Pédopsychiatre (pédo=enfant)
* Licenciée en psychologie
Ce qu’il faut comprendre du texte :
Dans ce texte elle décrit la fonction et l’évolution des objets transitionnels.
* L’enfant a besoin de quelque chose pour l’aider à grandir et s’intégrer dans le monde. Ce quelque chose est le « doudou », qui peut être un objet (chiffon, peluche, drap…) dans ce cas-là on parle d’« objet transitionnel ».
* Quand l’enfant grandit, il fait face à deux choses : la permanence d’un objet (en mouvement ou statique) et l’intersubjectivité (« être différencié de l’autre toute en étant en relation avec l’autre »). Ce sont des « processus de pensée qui se construisent progressivement ».
* En effet l’enfant n’est pas conscient de qui il est jusqu’à un certain âge, et il apprend à se différencier de lui-même des autres, grâce aux sensations qu’il reçoit par les objets transitionnels. Ainsi l’enfant pourra parler de « je » vers trois ans.
* Pourquoi le « doudou » est un objet transitionnel ? L’enfant manipule son « doudou », il aime faire ce qu’il fait avec, il peut relier des « sensations internes » avec des « éléments externes ».
* Le « doudou » est un intermédiaire entre l’enfant et le monde extérieur.
* L’objet transitionnel meurt mais la fonction transitionnelle demeure à travers d’autres objets (musique, art..)
* Maintien une frontière entre l’imaginaire et la réalité.
En relation avec « Jouets » :
Barthes parle également d’une connexion intérieure et extérieure, mais il parle plus de l’objet. Il différencie l’objet en plastique et l’objet en bois et conclut que l’objet en bois permet une meilleure connexion entre monde extérieur et intérieur. Il parle de « chaleur naturelle de son contact » avec le bois.
Les deux auteurs sont d’accord = le « jouet » ou le « doudou » = un objet essentiel pour l’enfant, mais Barthes explique que n’importe quel objet n'est pas bien.
Date de dernière mise à jour : 17/05/2019