LA PROMESSE DE L'AUBE, Romain Gary, chapitre 6, commentaire

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LA PROMESSE DE L’AUBE

Romain Gary

Chapitre 6

Séquence : l'autobiographie
Lecture du texte :
TEXTE
LA PROMESSE DE L’AUBE
Romain Gary
Nous avions des voisins et ces voisins n’aimaient pas ma mère. La petite bourgeoise de Wilno n’avait rien à envier à celle d’ailleurs, et les allées et venues de cette étrangère avec ses valises et ses cartons, jugées mystérieuses et louches, eurent vite fait d’être signalées à la police polonaise, très soupçonneuse, à cette époque, à l’égard des Russes réfugiés. Ma mère fut accusée de recel d’objets volés Mais n’eut aucune peine à confondre ses détracteurs, mais la honte, le chagrin, l’indignation, comme toujours, chez elle, prirent une forme violemment agressive. Après avoir sangloté quelques heures, parmi ses chapeaux bouleversés - les chapeaux de femmes sont restés jusqu’à ce jour une de mes petites phobies- elle me prit par la main et, après m’avoir annoncé (qu’ils ne savent pas à qui ils ont affaire) , elle me traîna hors de l’appartement, dans l’escalier. Ce qui suivit fut pour moi un des moments les plus pénible de mon existence- et j’en connut quelques uns.
Ma mère allait de porte en porte, sonnant, frappant et invitant tous les locataires à sortir sur le palier. Les premières insultes à peine échangées - là ma mère avait toujours et incontestablement le dessus- elle m’attira contre elle et, me désignant à l’assistance, elle, m’annonça, hautement et fièrement, d’une voix qui retentit encore en ce moment à mes oreilles:
- Sales petites punaises bourgeoises! Vous savez à qui vous avez l’honneur de parler! Mon fils sera ambassadeur de France, chevalier de la Légion d’honneur, grand auteur dramatique, Ibsen, Gabriele d’Annunzio! Il…
Il s’habillera à Londres!
J’entends encore le bon gros rire des(punaises bourgeoises) à mes oreilles. Je rougis encore, en écrivant ces lignes. Je les entends clairement et je vois les visages moqueurs, haineux, méprisants - je les vois sans haine : ce sont des visages humains, on connaît ça. Il vaut mieux dire tout de ,suite, pour la clarté de ce récit, que je suis aujourd’hui Consul Général de France, compagnon de la Libération, officier de la Légion d’honneur et que je suis ni devenu Ibsen, ni d’Annunzio, ce n’est pas faute d’avoir essayé.
Et qu’on ne s’y trompe pas:je m’habille à Londres, mais je n’ai pas le choix.
Je crois qu’aucun événement n’a joué un rôle plus important dans ma vie que cet éclat de rire qui vint se jeter sur moi, dans l’escalier d’un vieil immeuble de Wilno, au n° 16 de la Grande-Pahulanka. Je lui dois ce que je suis; pour le meilleur comme pour le pire, ce rire est devenu roi.
Ma mère se tenait debout sous la bourrasque, la tête haute, me serrant contre elle.
Il n’y avait en elle ni trace de gêne ou d’humiliation. Elle savait.
 
Plan de l'étude :
Introduction
I - Une scène tragi-comique
Transition
II - Préfiguration de son destin
Transition
III - L’écriture autobiographique
Conclusion
Ouverture
 
 
 

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Romain Gary, commentaire, chapitre 6Romain Gary, commentaire, chapitre 6 (25.44 Ko)

 

 


Analyse :

 

commentaire Romain Gary, La promesse de l'aube chap 6

 

Le roman autobiographique est un genre littéraire issu de l'autobiographie et du roman-mémoire. Ainsi Romain Gary, personnage du XXème siècle est un auteur écrivant principalement des romans autobiographiques. La Promesse de l’aube est un roman autobiographique paru en 1960, l'auteur y fait le récit de son enfance et de sa jeunesse auprès de sa mère. Nous découvrons ici une scène marquante pour le personnage où sa mère affirme sa fierté et dignité devant leurs nouveaux voisins médisants.

Nous pouvons alors nous demander en quoi un extrait autobiographique et théâtral peut annoncer la destinée de Romain Gary. Pour cela nous traiterons tout d'abord la scène à l'instar d'une scène tragi-comique, ensuite nous analyserons la préfiguration de son destin et enfin l'écriture autobiographique dans cet extrait.

 

Tout d'abord, nous pouvons dire que cet extrait présente des caractéristiques de la tragi-comédie. En effet il est ici question d'une situation tragique, ainsi Romain Gary et sa mère se retrouvent confrontés au rejet de leur voisinage car « ces voisins n’aimaient pas [sa] mère ». Cette animosité n'a d'autre fondement que la superstition. Alors Romain Gary explique lui-même que « les allées et venues [...] jugées mystérieuses et louches, eurent vite fait d’être signalées à la police polonaise, très soupçonneuse, à cette époque, à l’égard des Russes réfugiés. »

De plus la structure de l'extrait semble se rapprocher de la structure de la tragédie adoptée à la Renaissance, soit en cinq actes. Alors nous pouvons dire que le début représenterait la scène d'exposition :  « Nous avions des voisins [...] Russes réfugiés. » où sont présentés les personnages ainsi que le contexte. Puis viendrait l'élément déclencheur qui va provoquer la tragédie, comme lorsque Romain Gary nous explique que sa mère fut soupçonnée de recel. Ensuite s'ensuivrait l'acte où les protagonistes cherchent une solution à ce problème, ici la mère «allait de porte en porte, sonnant, frappant et invitant tous les locataires à sortir sur le palier. ».   Nous pouvons penser que lorsque dans cet extrait l'interjection entre la mère et les voisins se produit, ou plus précisément lorsque la mère annonce que son fils sera un homme de grande qualité, cela correspondrait au quatrième acte de la tragédie de la Renaissance, au moment où le personnage concerné (ici Romain Gary) n'a plus d'issu à son destin. Alors, le cinquième acte transparaîtrait à travers l'affirmative, utilisée par Romain Gary « Elle savait. » marquant inéluctabilité de la destinée du personnage.

Mais également comique car la tragédie ne met en scène que des gens de haut rang, or ce n'est pas le cas ici, ou du moins pas encore selon la mère de Romain Gary.

 

Dans un second temps, nous pouvons donc affirmer la préfiguration du destin de Romain Gary dans cet extrait. En effet nous pouvons tout d'abord observer que l'annonce de la vie future de Romain Gary faite par sa mère, se trouve au centre du texte, montrant par là qu'il s'agit du nœud central de l'extrait choisi. Par conséquent la mère de Romain Gary pourrait jouer le rôle du prédicateur ici, mettant en garde ceux qui aujourd'hui se rient de lui mais demain le respecteront. Ensuite, lorsqu'elle se fait couper par une remarque d'abord à visée cynique : « Il s'habillera à Londres ! », nous pouvons en réalité l'analyser comme étant une affirmative à l'exclamative qui scelle alors le destin du protagoniste.

Ainsi quelques lignes plus loin, l'auteur et protagoniste Romain Gary avoue lui-même « Il vaut mieux dire tout de ,suite, pour la clarté de ce récit, que je suis aujourd’hui Consul Général de France, compagnon de la Libération, officier de la Légion d’honneur […] je m'habille à Londres, mais je n'ai pas le choix. » A contrario ce n'est pas alors Romain Gary qui est au cœur de cette prédication de son destin, mais sa mère. C'est alors elle qui, de par sa volonté et sa hardeur, à fait que son enfant réalise ses projets.

Alors, elle apparaît bien plus comme une mère portant son fils vers la gloire grâce à son amour et confiance en lui, ainsi elle « se tenait debout sous la bourrasque, la tête haute, [le] serrant contre elle. ». Il semble évident que Romain Gary souhaite à travers cet extrait lui rendre hommage.

 

Enfin, nous pouvons constater que cet extrait est marqué par l'écriture autobiographique de Romain Gary. En effet le récit est écrit à la première personne du singulier, nous découvrons que l'auteur est donc également le narrateur et personnage de l'extrait, cependant il s'agit plus particulièrement d'une autobiographie des souvenirs d'enfance d'un auteur y repensant une fois adulte, ainsi il rougit encore en écrivant ses lignes à la pensée de cet événement. Cependant, nous pouvons voir que le personnage principal de cet autobiographie n'est pas réellement Romain Gary lui-même, mais sa mère.

Alors le véritable objet de cet extrait ne semble pas être de retracer la vie de l'écrivain que de rendre hommage à sa mère, car il apparaît que c'est son amour et son ambition pour son fils qui vont le porter au-delà de tout ce qu'il aurait pu espérer pour lui-même. En effet tandis que sa mère ne bronche pas face aux rires des voisins, Romain Gary vit cet instant comme « un des moments les plus pénible de [son] existence » certainement honteux et peu sûr de lui.

Nous pouvons alors constater à travers cette écriture autobiographique que cette scène a marqué la vie de l'auteur, et aurait même joué un rôle déterminant dans sa vie et carrière à venir. Ainsi Romain Gary explique «qu’aucun événement n’a joué un rôle plus important dans [sa] vie que cet éclat de rire », cela est déterminant car c'est le souvenir de ce rire « dans l’escalier d’un vieil immeuble de Wilno, au n° 16 de la Grande-Pahulanka » et l'effet qu'il avait eu sur lui qui l'a visiblement poussé à réaliser les projets que sa mère avait pour lui, dans le seul but de la rendre fière et de ne pas la faire mentir car Romain Gary confesse : « Je lui dois ce que je suis; pour le meilleur comme pour le pire, ce rire est devenu roi ». Alors nous pouvons penser que l'écriture autobiographique est un moyen pour l'auteur de se remémorer des souvenirs qui lui sont chers et qui ont marqués sa vie, à travers une introspection.

Pour conclure, nous pouvons rappeler que nous nous sommes demandés en quoi cet extrait aux allures de théâtre et autobiographique pouvait annoncer la destinée de Romain Gary. Nous pouvons dès lors dire que l'écriture autobiographique mêlée à une mise en scène quelque peu tragique annonce parfaitement la destinée de Romain Gary, comme un lent mécanisme mis en route que rien ne peut arrêter. Alors nous pourrions rapprocher cet extrait d'un extrait du Cid de Corneille, afin de comparer les caractéristiques et procédés d'écriture utilisés. 

 

Date de dernière mise à jour : 26/07/2021

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