La Fontaine, les animaux malades de la peste

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Les animaux malades de la peste, les fables de la Fontaine

 

 

 

Lecture de la fable :

« Les animaux malades de la Peste » ,  J. de La Fontaine, Fables ll (1678)

(1621-1695)

Les Animaux malades de la peste

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

 

 

 

Commentaire de la fable

INTRODUCTION

Écrite en 1678,  « les animaux malades de la peste », est une fable qui  appartient au 2nd recueil  de J. de la Fontaine. Celui-ci s’inspire d’Ésope,  fabuliste grec de l’antiquité. La Fontaine utilise la fable à des fins morales et didactiques.

Le récit est simple: la peste faisant des ravages, les animaux tiennent un conseil politique pour décider du sort du royaume. Le Lion propose hypocritement de se sacrifier à la cause commune, mais chacun comprenant qu’il faut trouver un autre coupable,  ce sera finalement l’âne qui, pour avoir commis une faute mineure, servira de bouc émissaire.

Nous allons étudier voir comment La Fontaine exploite les caractéristiques de la fable, et nous verrons en quoi cet apologue est une critique de la justice et du pouvoir.

I/ CARACTERISTIQUES DE LA FABLE

1- dramatisation de la peste:

Certains mots connotent le  malheur et sont presque tabou, il y a un maléfice mystérieux, cela est mis en évidence par l’utilisation de périphrases avant d’annoncer le fléau (la peste est nommée pour la 1ère fois au v.4, et isolée grâce à la parenthèse.

Il y a répétition de « tous », dans une phrase en chiasme (v.7), qui souligne le fait que personne n’est épargné, toutes les catégories sociales sont atteintes.

Les accumulations de négatifs, (point, v.8, nul, ni, v.10-11, et plus, v.14),  mettent en avant l’isolement de chacun, il n’y a plus de relations sociales, ni aucune chance d’en réchapper; les tourterelles, symbole d’amour durable prennent la fuit’, « se fuyaient », vers 13.

2- éléments de récit mythologique:

Vers.5, l’Achéron est le fleuve des Enfers, dans la mythologie grecque; l’expression « enrichi l’Achéron » est une métonymie, car le passeur qui transporte les âmes dans sa barque se fait payer.

v.2-3, v.19, reprise de la croyance selon laquelle les catastrophes naturelles sont le signe de la colère des dieux de l’Olympe (« traits » = flèches envoyées par les dieux) et que seul un holocauste (sacrifice humain ou animal) pourrait calmer le courroux.

3-  Il y a un symbolisme animalier :

chaque animal représente une caractéristique humaine, un trait de caractère dominant, ou encore un statut social.

- le lion = roi des animaux, doit protéger ses sujets, il les traite comme ses amis; mais il les manipule

- le renard représente la ruse, il sait flatter; prêt à toutes les hypocrisies pour obtenir/conserver la protection du roi.

- le tigre, l’ours et les autres animaux sont présents pour donner de la réalité à l’assistance;

4- récit orienté vers la moralité:

60 vers  sont consacrés au récit et le dialogue, 2 vers se rapportent à la moralité. Elle met bien en relief  cette opposition selon laquelle la loi du plus fort est toujours d’actualité. Le plus puissant est en mesure de se débarrasser du plus faible à sa guise.  Tous les éléments du récit prennent leur sens par  rapport à la morale, rien n’est laissé au hasard ainsi que le suggèrent les deux derniers vers, « puissant » et « misérable, « blanc » et « noir ».

Le poème présente donc toutes les caractéristiques d’un apologue, notamment avec les éléments tirés de la mythologie et l’utilisation d’animaux qui s’expriment et agissent comme le feraient des humains. La fable se termine d’ailleurs par une morale, comme tout apologue, ce qui montre bien que l’auteur cherche à faire passer un message à visée critique, et nous allons étudier justement la critique de la justice et du pouvoir que fait La Fontaine.

 

II/ CRITIQUE DE LA JUSTICE ET DU POUVOIR

 

1- pouvoir corrompu du roi et de la cour :

- on voit que le roi est brutal, grâce à son aveu aux v.25-26, et injuste, v.27, le vers 15 le dévoile comme un manipulateur hypocrite, « mes chers amis ».  Il fait jouer le sentiment de culpablilité avec les expressions « appétit glouton », « dévoré » pour camoufler ses véritables intentions dans  un but démagogique, « que m’avaient-ils fait? Nulle offense » » au vers 27. Mais les hommes savent que jamais le roi ne se sacrifiera.                                                               

- les courtisans soumis, flatteurs et intrigants, maîtrisent eux aussi le pouvoir de la parole. Le renard ne s’accuse pas, mais excuse le roi en abaissant les moutons et les bergers, qui ne sont pas nobles et ne méritent selon lui aucun respect (v34-38)

2- simulacre de justice

Le roi entame son discours comme le président ouvrirait la séance. Nous avons un semblant de décor de tribunal  .

Le champ lexical est celui  de la justice: « coupable », v.17, «  indulgence », v.23, « conscience », v.24, ou encore « que le plus coupable périsse », v.33.

- les grands et puissants sont d’emblée excusés: « on n’osa trop approfondir », v.44; ils sont même qualifiés de « petits saints », v.48, tandis que les plus faibles sont dans la ligne de mire du tribunal. Alors qu’on n’a pas laissé aux autres le temps de parler, on laisse parler l’âne à loisir.

- l’âne avoue une faute terriblement ridicule en comparaison des crimes du lion (je tondis de ce pré la largeur de ma langue », v.57, qu’on s’attends à ce qu’il soit immédiatement pardonné. On lui donne d’emblée des circonstances atténuantes qu’on ne trouvait pas chez le lion: il a été poussé à la gourmandise par « la faim, l’occasion, l’herbe tendre », v.51. Il met un point d’honneur à tout dire, laisse percer ses remords: « quelque diable aussi me poussant », v.52; il insiste de nouveau sur sa culpabilité  à la fin de son discours: « je n’en avais nul droit », v.54, imitant fidèlement l’exemple du roi. Il est la victime toute désignée sur laquelle la foule se déchaîne « on cria haro sur le baudet », vers 55.

- le loup symbolise l’avocat qui tente de convaincre sans jamais rien prouver.

CONCLUSION

     La Fontaine par l’intermédiaire de son symbolisme animalier, nous propose un apologue qui remplit ses fonctions essentielles, plaire et instruire. La visée est critique et la morale rappelle qu’à l’époque régnait encore à la cour, le droit du plus fort. Les artifices rhétoriques permettent de mettre en avant l’abus du pouvoir royal et l’importance de la parole dans le jeu de la manipulation des  plus faibles contre les plus forts. C’est une fable qui remet en question la nature humaine et ses tendances  au mal au sens de préméditation, manipulation… Tout comme dans « le loup et l’agneau », La Fontaine prend  le parti des plus faibles et des plus démunis.

Date de dernière mise à jour : 17/05/2019

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