Commentaire Zadig, l'ermite Voltaire

 

 

 

Première partie de l'entretien sur ZADIG » DE VOLTAIRE : l'ermite

- Support : « Zadig » de Voltaire
Chapitre 18 : « l’ermite »

On découvre les aventures de Zadig parfois malheureuses de cet homme toujours intègre. Dans notre extrait, les connotations morales domient avec les concepts du bien, du mal, de la liberté humaine et de la volonté divine

Ce chapitre est essentiel au sens de l'oeuvre car le sous titre "la destinée" nous informe sur la portée du conte philosophique

Problématiques possibles :

  • En quoi est-ce un texte argumentatif?
  • En quoi ce texte est-il un apologue religieux?

 

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TEXTE:

Tandis que le Babylonien parlait, il aperçut que le vieillard n'avait plus de barbe, que son visage prenait les traits de la jeunesse. Son habit d'ermite disparut ; quatre belles ailes couvraient un corps majestueux et resplendissant de lumière. O envoyé du ciel ! ô ange divin ! s'écria Zadig en se prosternant, tu es donc descendu de l'empyrée pour apprendre à un faible mortel à se soumettre aux ordres éternels ? Les hommes, dit l'ange Jesrad, jugent de tout sans rien connaître : tu étais celui de tous les hommes qui méritait le plus d'être éclairé. Zadig lui demanda la permission de parler. Je me défie de moi-même, dit-il ; mais oserai-je te prier de m'éclaircir un doute : ne vaudrait-il pas mieux avoir corrigé cet enfant, et l'avoir rendu vertueux, que de le noyer ? Jesrad reprit : S'il avait été vertueux, et s'il eût vécu, son destin était d'être assassiné lui-même avec la femme qu'il devait épouser, et le fils qui en devait naître. Mais quoi ! dit Zadig, il est donc nécessaire qu'il y ait des crimes et des malheurs ? et les malheurs tombent sur les gens de bien ! Les méchants, répondit Jesrad, sont toujours malheureux : ils servent à éprouver un petit nombre de justes répandus sur la terre, et il n'y a point de mal dont il ne naisse un bien. Mais, dit Zadig, s'il n'y avait que du bien, et point de mal ? Alors, reprit Jesrad, cette terre serait une autre terre, l'enchaînement des événements serait un autre ordre de sagesse ; et cet ordre, qui serait parfait, ne peut être que dans la demeure éternelle de l'Être suprême, de qui le mal ne peut approcher. Il a créé des millions de mondes, dont aucun ne peut ressembler à l'autre. Cette immense variété est un attribut de sa puissance immense. Il n'y a ni deux feuilles d'arbre sur la terre, ni deux globes dans les champs infinis du ciel, qui soient semblables, et tout ce que tu vois sur le petit atome où tu es né devait être dans sa place et dans son temps fixe, selon les ordres immuables de celui qui embrasse tout. Les hommes pensent que cet enfant qui vient de périr est tombé dans l'eau par hasard, que c'est par un même hasard que cette maison est brûlée : mais il n'y a point de hasard ; tout est épreuve, ou punition, ou récompense, ou prévoyance. Souviens-toi de ce pêcheur qui se croyait le plus malheureux de tous les hommes. Orosmade t'a envoyé pour changer sa destinée. Faible mortel ! cesse de disputer contre ce qu'il faut adorer. Mais, dit Zadig... Comme il disait mais, l'ange prenait déjà son vol vers la dixième sphère. Zadig à genoux adora la Providence, et se soumit. L'ange lui cria du haut des airs : Prends ton chemin vers Babylone.

 

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Commentaire littéraire du chapitre 18, Zadig, Voltaire

Annonce du plan :

Dans le but de répondre à notre question, en quoi ce texte est-il argumentatif? nous verrons dans un premier temps que cet extrait du chapitre 18 est un apologue religieux, dans une second temps, nous en étudierons l'argumentation et analyserons en dernier point la philosophie de l'Ange, de Voltaire comme une étape intellectuelle bien en deça de sa maturité dans Candide


I ) Un apologue religieux

On peut parler d'apologue religieux car dans ce chapitre de Zadig, il y a un personnage qui symbolise le passage du terrestre au céleste, l'humanité à la divinité = "son visage prenait les traits de la jeunesse", "celle des créatures divines" Le vieux sage "barbe blanche", "ermite", vieillard" incarne la jeunesse éternelle = un modèle, un archétype = celui du vieux sage. La divinité est connotée par les "belles ailes, "corps majestueux et resplendissant de lumière.

Nous avons un registre merveilleux mais le champ lexical de la religion domine : "ange divin", "ciel", "empyrée", "ordres éternels", "être suprême". C'est un exemplum = un sermon religieux. Cela suggère la croyance de Zadig et celle-ci est évoquée par ses apostrophes "ô", deux ocurrences et ses pratiques religieuses de prières et de prosternation. On peut citer à cet égard : "se prosternant", "te prier", "à genoux, adora....se soumit". Dans cet extrait nous pouvons anticiper un enseignement moral qui est suggéré par les impératifs "souviens-toi", "cesse", "prend".

L'Ange aborde la question de Dieu. Qui est-il? Quelques réponses sont transcrites à travers les champs lexicaux = par exemple, celui de l'immensité, "immense", "champs infinis", "embrasse tout", "tout est...", ou encore le vocabulaire de la multitude avec "millions de mondes", "variété".... Le champ lexical de la religion est présent tout au long du passage.

Cela nous permet de définir Dieu comme l'Etre suprême, le Créateur, le Puissant, le Bien = : « ordre, qui serait parfait (…) demeure éternelle de l’Etre suprême » , "Etre suprême, de qui le mal ne peut approcher » , « sa puissance immense » , « tout de que tu vois (…) devait être dans sa place et dans son temps ». Sans Dieu tout serait chaos et les hommes perdraient leur père car il est celui qui punit et récompense.

Les marques distinctives de l'Ange = « corps majestueux et resplendissant de lumière », "Ange divin", "Ciel".

Le créateur s'oppose à sa créature qui est définie dans toute sa faiblesse et son impuissance de "faible mortel", dans toute son incertitude " m'éclaircir d'un doute", "je me défie de moi-même". La nature humaine est dépeinte de manière peu flatteuses, le mal domine l'homme "un petit nombre de justes répandus sur la terre", l'homme est présomptueux, il croit savoir lorsqu'il ignore : « les hommes (…) jugent de tout sans rien connaitre », « les hommes pensent que … et que … mais »


II ) l'argumentation du dialogue

On peut parler d'un texte argumentatif. Un dialogue s'instaure entre Zadig et l'Ange.

Zadig face à la créature divine :

Nous noterons que Zadig a été choisi "était de tous les hommes celui qui méritait le plus d'être éclairé". Il a un rôle à remplir que l'Etre suprême lui dicte "Orosmade t'a envoyé pour changer sa destinée".

Ils se tutoient alors qu'au début ils se vouvoyaient

Zadig est telle une créature face au créateur : il se prosterne et demande la permission.

Il est malgré tout la créature choisie par Dieu donc en ce sens il se distingue des autres hommes car il est l'élu. Pourquoi l'est-il? Car il est celui qui mérite "le plus d'être éclairé". Cela signifie qu'il représente l'idéal du philosophe éclairé. En ce sens il est un héros par sa supériorité par rapport aux hommes, il est supérieur et différent malgré son appartenance au genre humain, il se différencie par ses dispositions intellectuelles, humaines et sa religiosité (soumis à Dieu).

Deux points de vue à étudier :

L'Ange

Selon l'Ange, le mal est une nécessité = tout est en fait calculé et testé. Il faut que la mal existe de toute nécessité "pour éprouver un petit nombre de justes" ainsi sont justifiées les punitions, sentences et épreuves "tout est épreuve ou punition". L'argument par l'absurde nous dévoile que sans le mal nécessaire "cette terre serait une autre terre". L'homme est face à un Dieu qui récompense et punit, qui le teste et le met à l'épreuve. D'où le devoir pour l'homme d'obéir aux ordres éternels. Ses vérités sont affirmées de manière assez globale à l'aide du présent de vérité générale ainsi que le suggèrent les expressions, "il n'y a point de hasard", "tout est... ou ", "les méchants sont toujours malheureux".

Les arguments permettant d'étayer la thèse de l'Ange sont par analogie, hypothèses, logiques et par l'absurde

Pour illustrer l'argument logique = Si seul le Bien existait "nous serions dans la demeure éternelle de l'Etre suprême"

Pour les arguments par analogie = « il n’y a ni… ni… »

Par hypothèse = "Si... et si...".

Zadig

Toutes les objections de Zadig sont interrogatives puis il finit par se soumettre =

(« oserai-je te prier de m’éclaircir un doute », puis il se "soumit".


III ) La philosophie de l’Ange, de Leibniz, de Voltaire…

Nous sommes loin de l'enseignement de Candide. Voltaire jeune s'inspire de la philosophie de Leibniz. L'enseignement de l'Ange est celui auquel Zadig doit se soumettre, il doit cesser "de disputer contre ce qu'il faut adorer", il faut comprendre qu'il n'y a pas de hasard et que tout s'ordonne selon un plan divin. Zadig doit donc se soumettre à la volonté divine.

Dans Candide, Voltaire s'insurge contre l'optimisme leibnizien qui s'illustre à travers "tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes". Pangloss représente Leibniz dans Candide, il est le réprésentant des discours vides de sens, tautologiques, des démonstrations théoriques redondantes. Cependant dans Zadig, Voltaire affirme par l'intermédiaire de l'Ange que le meilleur des mondes possibles est celui où règne le mal de toute nécessité car de tout mal naît un Bien.


Conclusion :

Le chapitre 18 de Zadig est essentiel pour comprendre l'évolution de la pensée de Voltaire : c'est un extrait dans lequel le philosophe encore jeune adhère à la philosophie de la destinée qui évoluera avec Candide pour s'éloigner de Leibniz. Le point commun des deux apologues philosophiques, Zadig et Candide = des récits d'apprentissage.

Zadig est l'élu de Dieu et Candide trouvera la sagesse en lui-même (chapitre 30 : il faut cultiver son jardin).

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 17/05/2019

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