Baudelaire, l'ennemi, commentaire

 

 

 

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Les Fleurs du Mal

Section Spleen et Idéal

Baudelaire

 

L'ennemi : analyse littéraire

 

 

L’ennemi

Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j’ai touché l’automne des idées,
Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

– Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le coeur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

Baudelaire, Les Fleurs du Mal

 

 

 

Introduction

Nous allons étudier une poésie de Baudelaire intitulée «L'ennemi », tirée de Spleen et Idéal des Fleurs du mal en date de 1857. Au carrefour des routes poétiques, héritier du romantisme et précurseur du symbolisme, Baudelaire fut vers le milieu du XIXe siècle, le chef de file de la nouvelle poésie, véritable révélation pour la poésie moderne.

De sa vie, nous retiendrons qu'elle fut toute entière liée à deux sentiments contradictoires, l'extase de la vie et l'horreur de la vie. On peut véritablement affirmer que c'est cette dualité en Baudelaire qui nous a donné le poète incomparable qu'il demeure.

«L'ennemi » est un sonnet publié en 1855 extrait des Fleurs du mal, recueil poétique majeur paru en 1857. Cette poésie fait partie de la section Spleen et Idéal dans laquelle le poète déplore la fuite du temps et ses effets, la destruction de la vie humaine, partant de la création poétique. Malgré l'article définit que comporte le titre, le lecteur ne sait pas encore de quel ennemi il s'agit.

Annonce du plan :

Nous étudierons l'image du temps comme reflet de l'état d'esprit du poète par la métaphore filée sur le thème des saisons et des climats, puis la domination du temps.

Problématiques :

Analyser la ou les métaphore(s) du poème
 Que représente l’Ennemi pour le poète ?

 

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Développement :

 

I – L'image du temps : reflet de l'état d'esprit du poète

Etude de la métaphore filée sur le thème des saisons et des climats

 

Le passé

Le poème s'articule autour d'une métaphore filée sur le thème des saisons et des climats. Le poète s'implique directement dans cette description et c'est de sa vie dont il décrit les étapes, dont il eest question.

Dans un premier temps, l'accent est mis sur le passé. La jeunesse est comparée à un été bouleversé par les intempéries : «ténébreux orages », et « tonnerre et la pluie ». Ces premières années de vie se sont construites en ombre et en lumière « ça et là », « ténébreux », « brillant », tantôt avec des lueurs d'espoir mais très vite, il est accablé par le poids du spleen. En une seule phrase au vers 1, le poète évoque en fait sa propre vie ainsi que le suggèrent les possessifs «ma », vers 1, «mon » vers 4. Le passé est également évoqué par les temps passés comme le passé simple qui marque une période terminée, vers 1, «fut ». Le passé composé accentue l'étendue du ravage « ont fait », vers 3. La constatation est désabusée : nous avons une formule restrictive, des termes évocateurs de destruction : « ténébreux orage » est repris par «tonnerre » et «pluie ». Le dernier vers de la première strophe développe ainsi une métaphore La création est évoquée par un jardin et par les fruits «qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils ». Le jardin devient symbole des souvenirs de cette période tumultueuse. On note la présence d'une ponctuation forte.

Les virgules et les points mettent l'accent sur le choix d'une alternance en ABAB et non ABBA. Cela accentue l'idée de passage d'épisodes heureux, « soleil », « vermeil », « orage » et « ravage ».

 

Le présent

Au passé succède le présent. Il est annoncé par « voilà que » au vers 4. Le deuxième quatrain évoque l'automne et traduit la résignation du poète. « L'automne des idées » annonce le dépérissement des forces créatrices du poète : c'est le déclin d'une vie. Ainsi la mort progressive de l'imagination est comparée à une saison. Cet état crée des nécessités : « il faut ». Nous noterons enfin l'opposition entre « fruits vermeils » et « tombeaux ».

Le premier vers du premier tercet cependant suggère un élan d'espoir : «Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve ». Le poète espère un printemps : « fleurs nouvelles ». A cette époque de l'année, les fleurs bourgeonnent, la nature renaît. Baudelaire espère qu'à nouveau son inspiration et ses idées renaîtront. Il a la volonté d'être comme la nature, constamment renouvelé. Cette renaissance est apparentée à une purification, comme un rite « lavé », « mystique ».

 

L'avenir

Le futur et le conditionnel, « trouveront », « ferait » suggèrent l'espoir de pouvoir créer encore. Mais l'image du futur aussitôt se ternit. Le constat du dernier tercet est tragique. Il y a un retour au présent. Deux occurrences du terme douleur avec exclamation «Ô douleur ! Ô douleur ! »

L'emploi du présent à une portée générale. Le temps a raison du poète : « le temps mange la vie ». L'ennemi est connu, c'est le temps destructeur et vampire, « mange », « ronge », « croît et se fortifie ».

Le temps écrase le poète. Ce dernier semble subir dans la néantisation sans pour autant se confondre avec le Spleen, on étire encore le malaise et on décuple le supplice.

 

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II – Domination du temps

 

Le mal existentiel Baudelairien se confond avec le tragique du temps. La fatalité est irréversiblement en marche. Le temps accroît le malaise du spleen. Ce dernier se caractérise par les sensations d'oppression et d'étouffement, voire d'enlisement de l'esprit dans une impuissance chronique. Plus profondément c'est le sentiment affligeant d'une usure de toutes les forces physiques et morales, d'une dévitalisation de l'être réduit à n'être plus rien que matière inorganique.

On peut qualifier le spleen de malaise existentiel avec ses plus explicites manifestions et son cortège de fantasmes terrifiants. Dans le dernier tercet, Baudelaire pense sa souffrance au sens d'un supplice, mi cannibalisme, mi vampirisme que le temps infligerait en permanence à l'être soumis et impuissant « le temps mange la vie ». Le mal baudelairien culmine dans un état de démission de psychologie totale. Il ressort que le spleen à partie liée avec le temps, « cet obscur ennemi », avec la matérialité du temps, la durée. Subir le spleen, c'est subir la contrainte d'une durée corruptrice et dévastatrice. Le spleen devient synonyme de catastrophe en permanence. C'est ce même temps spleenétique dont par le Baudelaire dans « le goût du néant », « Et le temps m'engloutit minute par minute ». On constate le double postulat de son être déchiré entre la soif d'une idéalité et d'une pureté perdues et l'enlisement dans les tourments du quotidien qu'il nomme spleen. C'est à vocable anglais qu'il a donné mission de traduire le pluralisme de ses souffrances. Le temps est par essence satanique éloignant l'homme chaque jour davantage de sa part divine.

Comment surmonter ce terrorisme de la durée qui est la violence même du spleen ? Comment tuer le temps pour gommer le spleen ? L'idéal, rare, bref, fragile qui s'oppose à l'opaque lourde et longue matérialité du spleen est représenté au vers 2. Le monde de l'idéal est perçu comme l'anti-monde du spleen. Ainsi le temps spleenétique est l'opposé du temps idéal

 

 

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Conclusion

Le poème est fondé sur la dualité du spleen et de l'idéal, temps spleenétique et temps de l'idéal. Le premier est supplice d'abondance néfaste, l'autre est par essence périssable donc torture de privation et de frustration. Baudelaire subit le flux porteur d'instants extatiques et de séquences morbides entre spleen et idéal parce que l'un relève du temps, l'autre de l'instant, la dualité est radicale. Nous retrouvons ce drame existentiel baudelairien dans l'Horloge.

 

Date de dernière mise à jour : 17/05/2019

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