Antigone, Anouilh,le Choeur

 
 
 
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Les corrigés du bac : le choeur, Antigone d'Anouilh

 

Antigone, Jean Anouilh

 
 
***  Citation
"Comprendre ; toujours comprendre. Moi, je ne veux pas comprendre"  Antigone
 
 
Biographie
 
 
Jean Anouilh (1910 - 1987)
 
Jean Anouilh est né en 1910 à Bordeaux et mort en 1987.  Il est fils d'un père tailleur et d'une mère musicienne, professeur de piano.  Sa passion pour le théâtre et les auteurs classiques nait très vite. Il fit des étude au collège Chaptal.  A dix huit ans il fut impressionné par la représentation de Siegfried de Jean Giraudoux.  Son cursus scolaire se poursuit par des études de droit à Paris avant de travailler dans une agence de publicité comme secrétaire de Louis Jouvet.  Dès 1932, il écrit sa première pièce, l'Hermine puis en 1937, le Voyageur sans bagages, 1938, la sauvage. A compter de cette date, sa notoriété est faîte et sa vie tracée. Il se marie ensuite avec la comédienne Monelle Valentin avec qui il aura une fille. C'est en 1942, sous l'occupation qu'il écrira Eurydice. En 1944, il fait naître Antigone dont le succès public est manifeste mais les polémiques autour de la pièce sont nombreuses.  Dès lors et même après la guerre, les écrits se multiplient, L'invitation au château en 1947, puis en 1948, Ardèle oui la Marguerite, 1953, L'Alouette., puis trois nouvelles pièces en 1959, L'Hurluberlu ou  le réactionnaire amoureux, le petit Molière et Becket ou l'honneur de Dieu, cette dernière connut un grand succès.  
Il se tournera après l'échec de La grotte en 1961 vers la mise en scène et montera successivement Tartuffe de Molière, Richard III de Shadespeare.  A compter de cette date, ses publications se font moins nombreuses mais écrira encore quelques pièces malgré tout dans les années soixante dix.
 
 
 
Analyse du choeur d'Antigone : première partie de l'entretien
 
Antigone
 
 « Le choeur », Anouilh
 
 
 Lecture du texte
 
 
       LE CHŒUR
 
  Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n’a plus qu’à se dérouler tout seul. C’est cela qui est commode dans la tragédie. On donne le petit coup de pouce pour que cela démarre, rien, un regard pendant une seconde à une fille qui passe et lève les bras dans la rue, une envie d’honneur un beau matin, au réveil, comme de quelque chose qui se mange, une question de trop qu’on se pose un soir;.. C’est tout. Après, on n’a plus qu’à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul. C’est minutieux, bien huilé depuis toujours. La mort, la trahison, le désespoir sont là, tout prêts, et les éclats, et les orages, et les silences, tous les silences; le silence quand le bras du bourreau se lève à la fin, le silence au commencement quand les deux amants sont nus l’un en face de l’autre pour la première fois, sans oser bouger tout de suite, dans la chambre sombre, le silence quand les cris de la foule éclatent autour du vainqueur _ et on dirait un film dont le son s’est enrayé, toutes ces bouches ouvertes dont il ne sort rien, toute cette clameur qui n’est qu’une image, et le vainqueur, déjà vaincu, seul au milieu de son silence…
 
     C’est propre, la tragédie. C’est reposant, c’est sûr… Dans le drame, avec ces traîtres, avec ces méchants acharnés, cette innocence persécutée, ces vengeurs, ces terre-neuve, ces lueurs d’espoir, cela devient épouvantable de mourir, comme un accident. On aurait peut-être pu se sauver,le bon  jeune homme aurait peut-être pu arriver à temps avec les gendarmes. Dans la tragédie on est tranquille. D’abord, on est entre soi. On est  tous innocents en somme! Ce n’est pas parce qu’il y en au un qui tue et l’autre qui est tué. C’est une question de distribution. Et puis, surtout c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, la sale espoir; qu’on  est pris, qu’on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on n’a plus qu’à crier, _ à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit et qu’on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien; pour se le dire à soi, pour l’apprendre, soi. Dans le drame, on se débat parce qu’on espère en sortir. C’est ignoble, c’est utilitaire. Là, c’est gratuit. C’est pour les rois. Et il n’y a plus rien à tenter,enfin!
 
 
Introduction du commentaire :
 
Nous allons étudier « le choeur » d’Antigone de Jean Anouilh, auteur contemporain. Cette pièce est inspirée de la tragédie de Sophocle, 442  avant Jésus Christ. Créon, nouveau roi de Thèbes et frère de Jocaste ordonne des funérailles solennelles pour Étéocle, mais interdit d'ensevelir Polynice assimilé à un traître mais Antigone s'oppose à cette décision.  Il avertit par un édit que quiconque osera enterrer le corps du renégat sera puni de mort. Personne n'ose désobéir à Créon qui interdit la sépulture à Polynice, personne sauf Antigone qui défend les lois non écrites du devoir moral.  Elle affronte et s'oppose à l'autorité royale, convaincue que la loi divine devait l'emporter sur les décrets        humains, décida de rendre les honneurs funèbres à son frère. Très vite, Antigone est prise sur le fait par les gardes du roi. Créon est obligé d'appliquer la sentence de mort à Antigone.  Ce passage intervient au moment de non retour de la pièce et le choeur représente cette suite inéluctable de l'action.
 
Le choeur entre alors en scène et prononce sa tirade sur la tragédie que nous tenterons de définir comme genre littératire très particulier.
 
Annonce du plan :
 
Dans un premier temps, nous étudierons la tragédie, nous tenterons d'en donner une définition en mettant en avant sa mécanique et les concepts qui y sont associés, à savoir, la fatalité et la nécessité avec la notion de destin,  puis nous mettrons l'accent sur le rôle et la fonction que le choeur remplis dans la tirade et en général, nous verrons en quoi et comment la tragédie est désacralisée et s'oppose au drame . En dernier lieu, nous analyserons l'art poétique d'Anouilh et son niveau de langage.
 
Problématique :
 
  Quelle est la fonction du choeur dans ce passage d'Antigone?
 
 
I - Définition de la tragédie
 
 
   La mécanique de la  tragédie :
 
 
Fatalité et nécessité
 
Dès qu'Antigone est arrêtée par les gardes de Créon, le choeur nous informe de ce qu'est la tragédie  « c’est propre la tragédie », « c’est reposant… dans la tragédie on est tranquille ». Nous sommes de manière immédiate imprégnés par la mécanique qui constitue en propre la tragédie dans son essence : les ingrédients tragiques sont la nécessité et la fatalité. Aucune place n'est laissée à la contingence. La tyrannie inévitable, irréversible du mécanisme tragique s'affirme avec force et de manière impitoyable ainsi que le suggère le champ lexical : « le ressort est bandé, cela n’a plus qu’à se dérouler tout seul…C’est minutieux, bien huilé ». L'irrémédiable dénouement est mis en marche telle une machine infernale, tout se déroule comme cela doit se dérouler, aucune surprise, tout est pré-défini, tout se sait à l'avance et c'est là le vrai caractère de la tragédie et l'homme ne peut rien y faire si ce n'est ressentir son impuissance face à elle comme face à un monstre cruel et impitoyable. Notre humaine condition de mortel se heurte à ce rouage de la fatalité et le temps qui passe nous le fait encore sentir davantage. L 'homme doit subir et vivre sa fatalité, ce qui doit arriver arrive de toute nécessité.  « Un regard », « une envie d’honneur », « une question de trop », et la tragédie se déclenche à un moment où on l’attend la moins. Ce qui renforce le tragique, car, cela ne dépend pas de nous .
 
La logique du destin :
 
La seule logique est celle du destin. Antigone sait qu'elle doit mourir pour avoir violer le décret de Créon et préféré offrir une sépulture, prisonnière de sa mortalité, son heure est arrivée et  l'espoir n'est plus. Tout comme le choeur, elle dénonce le sale espoir.  L'homme doit accepter son sort et le dénouement rapporté par le choeur mettra en avant ce repos tranquille de la fatalité et de l'emprise de son conditionnement, résignation et acceptation sont les deux mots clés pour éviter la révolte inutile face à un tel mécanisme.  « tous ceux qui avaient à mourir sont morts ». Antigone a fait son choix, elle désobéit et sait qu'en ne respectant l'interdit elle doit mourir, il n'y a plus ni idéal, ni espoir. L'absurde domine à ce niveau.  Le chœur l’avoue, « pourquoi les personnages agissent-ils? Pourquoi les personnages parlent-ils? Pour rien ». Il suffit d'accepter en toute lucidité, Antigone fait partie de cette catégorie de personnages de la pièce qui sait ce qui l'attend, elle doit mourir pour ne pas briser la chaîne du mécanisme tragique. 
 
 
  II - Rôle et fonction du chœur
 
Le choeur, une fonction moderne et didactique
 
Le choeur est emprunté à la tragédie antique, il devait exposer les opinions de l'auteur ici, au contraire, son rôle premier est didactique, il intervient pour nous donner une définition très précise de la tragédie dans son opposition au drame qui admet la contingence. La fatalité au contraire nous soumet à la nécessité, rien ne peut être autrement : "C'est cela qui est commode dans la tragédie", "c'est propre la tragédie".  Le registre est familier, "commode, petit coup de pouce, laisser faire, tout seul...".
 
Grâce au choeur, on sait qui va mourir, qui va vivre. Il a donc une fonction informative. Antigone sait qu'elle va transgresser l'interdiction de Créon, Créon a conscience des conséquences de son édit mais il souhaite donner une leçon, montrer l'exemple à la population.  Notre héroine sait tout à fait qu'elle va tenter d'ensevelir Polynice et qu'elle va mourir pour avoir violé l'interdit du roi.   « Elle aurait bien aimé vivre. Mais il n’y a rien à faire. Elle s’appelle Antigone et il va falloir qu’elle joue son rôle jusqu’au bout. » Le Messager lui, sait déjà aussi. « C'est lui qui viendra annoncer la mort d'Hémon tout à l'heure. C'est pour cela qu'il n'a pas envie de bavarder ni de se mêler aux autres. Il sait déjà... ». On a donc une catégorie de personnages qui savent et une autre au contraire qui ne sait rien.
La nourrice d'Antigone, les gardes, le page, Eurydice, ne savent rien. Ils jouent simplement leur rôle.
 
 
Une tragédie désacralisée
 
Le Chœur commente ainsi  toute la pièce : « C'est cela qui est commode dans la tragédie. On donne un petit coup de pouce pour que cela démarre... C'est tout. Après on n'a plus qu'à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul ». Nous avons une métaphore filée de la fatalité tragique, c'est une mécanique bien remontée, " ressort bandé, se dérouler tout seul, cela démarre tout seul... ". Nous avons l'idée de la fatalité ancienne, la fatalité divine qui dans la tragédie glisse vers la notion moderne de la nécessité sans référence aux Dieux, la tragédie est donc désacralisée.
 
 
La tragédie par opposition au drame
 
Le chœur fait alterner des précisions sur la tragédie pour son caractère irrémédiable jusqu’à la mort. Dans le drame au contraire tous les retournements de situations avec le suspens sont possibles.  La tragédie est pure, propre du fait de sa fatalité tandis que le drame est impur, il relève du hasard, l’évènement aurait pu ne pas arriver. L’évènement dans la tragédie, ne peut pas ne pas se passer, ce qui renforce son caractère inexorable. Une autre différence oppose ces deux genres littéraires, tandis que les personnages sont gentils, innocents et dépourvus d’espoir, ils  sont traîtres, méchants dans le drame qui symbolise le possible, l’espoir a par conséquent sa place. Les personnages sont évoqués à travers les expressions suivantes : "les amants", les vainqueurs", "la foule " ainsi qu'une allusion par deux fois à Antigone "la petite Antigone".  Le choeur fait aussi référence au roi "c'est pour le roi". 
 
 
III -L’art poétique d’Anouilh
 
  
 
D' Anouilh à Sophocle
 
 
Nous savons que le choeur nous vient de la tragédie antique cependant la fonction qu'Anouilh lui fait remplir est très modernisée. En effet, il n'est pas limité à une fonction informative, nous communiquer les opinions de l'auteur mais élargit à un rôle plus didactique. Il s'agit ici de nous enseigner la véritable définition de la tragédie. La questions du choeur est donc remise en question. Anouilh affirme son art poétique, les images, comparaisons sont nombreuses, nous pouvons ainsi citer : « un regard pendant une seconde à une fille qui passe », « une envie d’honneur un beau matin ». D'autres figures de style comme les anaphores mettent en relief l'aspect mécanique de la tragédie : « Et les silences, tous les silences, le silence quand le bras du bourreau se lève à la fin, le silence, au commencement quand les deux amants sont nus l’un en face de l’autre pour la première fois… les silences quand les cris de la foule éclatent autour du vainqueur, et le vainqueur, déjà vaincu, seul au milieu de son silence ». La fatalité tragique se traduit par une métaphore filée "ressort bandé", "cela démarre tout seul...".
 
 
 
Le niveau de langue
 
 
 
Les métaphores, les symboles, les images sont empruntés au champ lexical de la vue et au monde de la technique. Certaines images relèvent du modernisme, « on dirait un film dont le son s’est enrayé ».  Le champ lexical de la vue et du monde de la technique domine.
 
Le chœur utilise de façon fréquente les récurrences « on », pronom indéfini , « c ‘est », « gueuler ».Le niveau de langue à plusieurs caractéristiques. Il est relativement familier ainsi que le suggèrent les répétitions du verbe "être", du verbe "gueuler", certaines expressions sont à la limite du vulgaire, "on est pris comme un rat".  Les répétitions volontaires mettent en évidence les idées fortes du choeur, "on est tranquille dans la tragédie, on est tranquille".  Elles connotent la fatalité irréversible et accentuent l'impuissance de l'homme soumis et réduit à son sort.  L'énumération "la mort", "la trahison", "le désespoir", "les éclats", "les orages", "les silences" soulignent tous les ingrédients tragiques.  Les silences sont repris par "tous".  L'absence d'espoir est à son paroxysme, "parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, ce sale espoir", "il n'y a plus d'espoir", idée encore accentuée par l'image du rat prisonnier, "comme un rat" qui associe de manière irrémédiable la tragédie à la fatalité qui emprisonne l'homme et le plonge dans la souffrance et la mort.
 
 
Conclusion :
 
Le choeur d'Antigone s'éloigne par sa fonction didactique du modèle antique de la tragédie tout en s'en inspirant. C'est cet aspect élargi et modernisé qui familiarise le lecteur et le spectateur avec le genre littéraire tragique.
 
 
 
Ouverture :
 
Fonction didactique et fonction cathartique de l'écriture théâtrale tragique qui nous invite à nous identifier au personnage d'Antigone et qui nous rappelle la défintion aristotélicienne de la purification grâce à la terreur et à la pitié que suscite la fatalité tragique. 
 
« La tragédie (...) est une imitation faite par des personnages en action et non par le moyen de la narration, et qui par l'entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre. » Définition d'Aristote.
 
 
 
  
 
 
 
 

 

Date de dernière mise à jour : 17/05/2019

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