Le romantisme : Nerval, El Desdichado et Le voyageur contemplant une mer de nuages, Friedrich

DNBAC

 

 

 

LE ROMANTISME à travers "EL DESDICHADO" de NERVAL et LE VOYAGEUR CONTEMPLANT UNE MER DE NUAGES de FIEDRICH, par AUJEAN ORIANE et AUCLAIR SARAH (1L 2015-16)

 
     EL DESDICHADO

 
Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule 
Etoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le 
Soleil noir de la Mélancolie.
 
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La 
fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

 

 

 Comme le disait Chateaubriand « L’homme est suspendu dans le présent, entre le passé et l’avenir, comme sur un rocher entre deux gouffres : derrière lui, devant lui, tout est ténèbres.» Ces propos caractérisent bien le romantisme, courant à la fois littéraire et artistique. Apparu au XVIIIème siècle en Allemagne et en Grande Bretagne, il se développa au XIXème siècle en France. Il se définit comme une réaction du sentiment contre la raison et exalte le mystère et le fantastique en cherchant l'évasion et le ravissement dans le rêve, le morbide et le sublime, l'exotisme et le passé, où idéal et cauchemar se confondent, sublimés par une sensibilité passionnée et mélancolique. Ses valeurs et ses idées ne tardèrent pas à influencer d'autres domaines, en particulier la musique, la peinture et la poésie. 
 

 
 

     Nous allons voir en quoi le sonnet "El desdichado" de Nerval et Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Freidrich  appartiennent au mouvement romantique.
  
   Tout d'abord, ces oeuvres appartiennent ou mouvement romantique car elles sont toutes deux à la quête d'une personnalité. En faisant débuter son poème par « je suis », Nerval cherche en effet à affirmer son identité. Cependant, dès le premier vers, il se qualifie par trois adjectifs « le Ténébreux, le Veuf, l’Inconsolé ». Ce groupe ternaire évoque une rupture. L'utilisation du singulier montre  qu'il est seul, il ressent un manque. En outre, la répétition de l’article défini « le » et les majuscules donnent une résonance à l’identité qui est vue comme absolue, comme si le poète pensait être le seul, voire le plus important. La substantivation des adjectifs rendue possible par l'emploi de l'article présente ainsi le poète comme un singleton, un être unique par son désespoir et sa différence et confine à l'universalité. Nerval joue en outre sur le jeu des oppositions des ombres et des lumières, complété par des sonorités plus claires et d'autres plus sombres, ce qui met en valeur sa personnalité contrastée et antithétique. Le poème est également construit sur une contradiction et son rythme est très irrégulier, les tirets, notamment, signe graphique qui chez Nerval fonctionne comme un silence, soulignent une identité dissonante qui se cherche et s'angoisse. De même au vers 11, l'aposiopèse ouvre sur une évocation inachevée, un monde de non-dit, empli de réminiscences. Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que l’identité n’apparaît pas comme donnée mais comme une quête. Le décor harmonieux du vers 8 est intéressant dans sa symbolique, puisqu’il allie un végétal masculin « le pampre » à un autre féminin « la rose ». Cette association signifie que la reconquête de soi s’effectue dans l’alliance et aboutit à la création d’une fleur nouvelle. C'est dans la troisième strophe que Nerval effectue une mise en question de son identité: « suis-je Amour ou Phébus?...Lusignan ou Biron ? » ; à travers ces questions rhétoriques, Nerval met en débat sa propre personnalité. Par les noms Amour et Phébus, le poète fait allusion à Aphrodite et à Apollon : la déesse de la beauté et de l'amour et le dieu du soleil, de la musique, de la divination et de la poésie. Tandis que les noms «Lusignan » et «Biron » sont ses lointains aïeux supposés.  

 

Dans Le voyageur comtemplant une mer de nuages, le personnage au centre du tableau est aussi en quête de soi. En effet, les lignes de force du tableau convergent vers le personnage au centre de toute représentation. Le moment du coucher du soleil est symboliquement un moment de reflexion, de calme et de paix intérieure, il ouvre à l'invisible, à l'imaginaire et au sacré. On remarque que même les nuages caressent les pics rocheux, en les effleurant, comme pour inviter au recueillement et à l'apaisement de l'âme humaine. La recherche d’une élévation spirituelle qui est le thème majeur du courant Romantique est évoquée par Fiedrich: le premier plan sombre représente l’immédiat (l’ici-bas) notre oeil suit les paliers successifs des nuages et des rochers, pour atteindre l’au-delà, l’aboutissement d’une existence, le sommet de la montagne nimbé d’une lumière immatérielle qui incarne la présence divine. Face à elle, le voyageur ne peut l’atteindre que par le regard et l’esprit. Le voyageur est donc dans une quête spirituelle et identitaire.
Ces auteurs montent bien dans leur œuvre des personnages à la quête d'une identité qu'elle soit spirituelle ou physique. 
 
 

   De surcroît, les auteurs mettent en valeur ce mal du siècle représentatif du romantisme. Gérard De Nerval évoque en effet les personnages du passé et de l'aristocratie qui le passionnaient. Il mêle également trois époques: la mythologie, l'histoire et le Moyen-âge. Il écrit " j'ai deux fois vainqueur...": il se compare au héros de la mythologie. Il s'imagine que ce héros a existé. L'errance entre le passé et le présent se voit par l'alternance des temps verbaux, le présent : " je suis ", et le passé composé : " j'ai rêvé ". Il a du mal à se situer, il ressent un certain "désenchantement" (voir le titre du sonnet) : le monde est mauvais, la société corrompue, et toute tentative d'y remédier est vaine. Dans la dernière partie du poème, on retrouve également des références mythologiques : Nerval fait allusion à Orphée qui partage donc le même sort que lui, celui d'un amour perdu à jamais. En écrivant « j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron », le poète métaphorise les moments les plus pénibles de sa vie.  De plus, le terme " Pausilippe "  au vers 6  est une colline à l'Ouest de Naples : Virgile, un grand poète, y serait enterré, il y a donc des références à la mort très importantes. En outre, il y a une grande absence de couleur avec les termes "ténébreux, soleil noir... ",  et des sonorités très sourdes. L'ensemble du poème est plutôt sombre, le champ lexical de la mort est omniprésent dans le poème : « le ténébreux » (vers 1), « le soleil noir » (vers 4), « la nuit du tombeau » (vers 5) et « la grotte » (vers 11). Ces termes dominants s'opposent cependant à des termes plus doux et agréables «étoile» (vers 3) et «la rose» (vers 8) ce qui nous montre encore une fois qu'il ne pense qu'au passé, à la mort il n'est pas à l'aise dans ce siècle qui ne semble pas être le sien. Il est très triste et mélancolique, on peut le voir aussi grâce à l'oxymore «le soleil noir de la Mélancolie », la mélancolie étant une des caractéristiques des romantiques. 
 


Friedrich semble lui aussi ne pas être à sa place au XIXème siècle. En effet dans son tableau qui reprèsente ce qu'il ressent, la nature àaun effet de contraste avec une société dans laquelle le romantique ne s’intègre pas et ne parvient pas à s’intégrer. Musset dans son roman La confession d'un enfant du siècle expliquait qu'il se sentait comme un malade, qu'un sentiment de malaise inexprimable l'envoutait. Au début de son roman, il déclare même: «Derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir », cette phrase semble parfaitement en accord avec le tableau de Friedrich et définit très bien ce qu'on appelle "le mal du siècle".  La nature sauvage offre au peintre un refuge et une source d'inspiration, en lui permettant de dire ses sentiments en toute liberté et grâce à cette nature, il atteint une certaine forme de supériorité. On peut voir également l'importance du culte du moi face au désenchantement du monde. Friedrich ne prèsente aucune autre présence humaine que celle du voyageur, il est seul face à cette immensité. La solitude de l'artiste face à l'incompréhension du reste du monde est donc symptomatique de ce mal du siècle propre au romantisme.
 

 
 


     Enfin, ces deux œuvres sont romantiques parce qu'elles mettent en évidence une fascination pour une nature sauvage et mystérieuse.  Nerval mêle en effet le champ lexical des astres « Etoile » (vers 3) « soleil» (vers 4) « constellé », à celui de la nature « mer » « fleur » «pampre » « rose » « grotte » « l’achéron ». La nature est omniprésente dans son poème, le poète décrivant surtout les paysages d’Italie. Cette fascination de la nature est encore plus prononcée dans le tableau de Friedrich. En effet, les couleurs douces à l'arrière plan du tableau, le jeu des lumières dans les nuages et les contrastes entre le premier et le second plan renforcent la beauté de cette nature mystérieuse. Le voyageur semble contempler l'ailleurs et le lointain aux couleurs appaisantes. Friedrich allégorise la nature, en effet dans ce tableau une relation entre l'homme et la nature se crée, le voyageur semblant être en symbiose avec la nature et vice versa. Le miroir des nuages de l'Allemagne du nord nous montre l'agitation que ressent le voyageur par rapport à ses sentiments. La nature semble vouloir inviter la voyageur à avancer, elle semble ouverte et sans obstacle. Son immensité lui montre que tout est plus beau et plus acceuillant ici dans cette nature sauvage, vide de toute vie humaine. Si nous regardons le tableau de plus près, nous observons que le chaos des rochers forment des éperons périlleux qui semblent signifier l'ineffable pureté des lointains, le vertige, la transgression de la règle sociale, et par contraste le besoin intime de liberté, l’immensité et le sentiment de l'immuable. La nature devient ainsi un lieu de repos et de recueillement ; en s’y arrêtant, on oublie la société et toute trace de vie mondaine. En outre la nature est, pour les romantiques, l’incarnation la plus tangible de Dieu. C’est par elle que le divin manifeste le mieux sa grandeur. Enfin, le rythme des saisons invite à méditer sur la fuite du temps ; l’éternité de la terre pousse à s’interroger sur la brièveté de l’existence humaine ; le spectacle des ruines, sur la mort et la vanité de la gloire. La nature se révèle ainsi riche en enseignements pour les romantiques.
     

 

Pour conclure, ces œuvres sont représentatives du romantisme en ce qu'elles proposent une vision d'artistes en quête d'identité et d’élévation spirituelle. Elles montrent également le mal-être que ressentent ces hommes "venu[s] trop tard dans un monde trop vieux" (Musset).

Nathalie Leclercq

Le bac de français

Date de dernière mise à jour : 28/04/2021

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