Oral préparé sur l'espèce humaine de Robert Antelme

ORAUX EAF

 

 

 Lecture du texte

Robert Antelme, L'espèce humaine, 1947

« À nous-mêmes ce que nous avions à dire commençait alors à nous paraître inimaginable», écrit Robert Antelme pour montrer la difficulté de parler au retour de la déportation. Et pourtant, L’Espèce humaine tente de mettre en mots une tentative bien réelle de la déshumanisation. Dehors, la vallée est noire. Aucun bruit n'en arrive. Les chiens dor¬ment d'un sommeil sain et repu. Les arbres respirent calmement. Les insectes nocturnes se nourrissent dans les prés. Les feuilles transpirent, et l'air se gorge d'eau. Les prés se couvrent de rosée et brilleront tout à l'heure au soleil. Ils sont là, tout près, on doit pouvoir les toucher, caresser cet immense pelage. Qu'est-ce qui se caresse et comment caresse-t-on ? Qu'est-ce qui est doux aux doigts, qu'est-ce qui est seulement à être caressé ? Jamais on n'aura été aussi sensible à la santé de la nature. Jamais on n'aura été aussi près de confondre avec la toute-puissance de l'arbre qui sera sûrement encore vivant demain. On a oublié tout ce qui meurt et qui pourrit dans cette nuit forte, et les bêtes malades et seules. La mort a été chassée par nous des choses de la nature, parce que l'on n'y voit aucun génie qui s'exerce contre elles et les poursuive. Nous nous sentons comme ayant pompé tout pourrissement possible. Ce qui est dans cette salle apparaît comme la maladie extraordinaire, et notre mort ici comme la seule véritable. Si ressemblants aux bêtes, toute bête nous est devenue somptueuse ; si semblables à toute plante pourrissante, le destin de cette plante nous paraît aussi luxueux que celui qui s'achève par la mort dans le lit. Nous sommes au point de ressembler à tout ce qui ne se bat que pour manger et meurt de ne pas manger, au point de nous nive¬ler sur une autre espèce, qui ne sera jamais nôtre et vers laquelle on tend ; mais celle-ci qui vit du moins selon sa loi authentique - les bêtes ne peuvent pas devenir plus bêtes - apparaît aussi somptueuse que la nôtre « véritable» dont la loi peut être aussi de nous conduire ici. Mais il n'y a pas d'ambi¬guïté, nous restons des hommes, nous ne finirons qu'en hommes. La distance qui nous sépare d'une autre espèce reste intacte, elle n'est pas historique. C'est un rêve SS de croire que nous avons pour mission historique de changer d'espèce, et comme cette mutation se fait trop lentement, ils tuent. Non, cette maladie extraordinaire n'est autre chose qu'un moment culminant de l'histoire des hommes. Et cela peut signifier deux choses : d'abord que l'on fait l'épreuve de la solidité de cette espèce, de sa fixité. Ensuite, que la variété des rapports entre les hommes, leur couleur, leurs coutumes, leur formation en classes masquent une vérité qui apparaît ici éclatante, au bord de la nature, à l'approche de nos limites : il n'y a pas des espèces humaines, il y a une espèce humaine. C'est parce que nous sommes des hommes comme eux que les SS seront en définitive impuissants devant nous. C'est parce qu'ils auront tenté de mettre en cause l'unité de l'espèce qu'ils seront fina¬lement écrasés. Mais leur comportement et notre situation ne sont que le grossissement, la caricature extrême - où personne ne veut, ni ne peut sans doute se reconnaître - de comportements, de situations qui sont dans le monde et qui sont même cet « ancien monde véritable» auquel nous rêvons. Tout se passe effectivement là-bas comme s'il y avait des espèces - ou plus exactement comme si l'appartenance à l'espèce n'était pas sûre, comme si l'on pouvait y entrer et en sortir, n'y être qu'à demi ou y parvenir pleinement, ou n'y jamais parvenir même au prix de générations -, la division en races ou en classes étant le canon de l'espèce et entretenant l'axiome toujours prêt, la ligne ultime de défense : « Ce ne sont pas des gens comme nous. » Eh bien, ici, la bête est luxueuse, l'arbre est la divinité et nous ne pou¬vons devenir ni la bête ni l'arbre. Nous ne pouvons pas et les SS ne peuvent pas nous y faire aboutir. Et c'est au moment où le masque a emprunté la figure la plus hideuse, au moment où il va devenir notre figure, qu'il tombe. Et si nous pensons alors cette chose qui, d'ici, est certainement la chose la plus considérable que l'on puisse penser: « Les SS ne sont que des hommes comme nous» [...] nous sommes obligés de dire qu'il n'y a qu'une espèce humaine.

 

 

Plan de l'étude :

  • I- Le Choc des contrastes : la condition humaine au camp
  • A) La nature
  • B) L'homme II-Le "rêve du SS": diviser
  • A) La division
  • B) L'horreur euphémisée. III-L'espèce humaine d'après Antelme
  • A)La démonstration de l'absurde
  • B)L'humanité qui anéantit le mal

 

Problématique: Quelle argumentation Antelme développe t'-il afin d'opposer sa conception humaniste de l'espèce humaine à l'idée nazi de races différentes?

Introduction :

Il existe une littérature riche et bouleversante, sur le plan humain et philosophie qui est née du taumatisme des camps de concentration. De nombreux auteurs comme Primo Levi, auteur de Si c'est un homme, Georges Semprun, L'écriture ou la vie et ici, Robert Antelme avec l'Espèce humaine, ont relaté leur expérience des camps avec comme unique désir de laisser à l'homme toute sa dignité. Dans ce combat épuisant contre la barbarie nazie, leur arme principale était le langage et leur intelligence. Robert Antelme affirme dans l'Espèce humaine qu'à la différence de l'animal, l'humanité ne se définit pas suivant des races. il y a une espèce humaine, et le grand crime nazi a été de vouloir instaurer des catégories entre les hommes comme s'il y avait eu des races inférieures et une race suprieure(la race aryenne).

  • Questions sur l'introduction:
  • Quels autres auteurs en dehors d'Antelme ont fait naître une littérature née de traumatisme des camps de concentration?
  • Citez au moins deux auteurs et deux œuvres différents
  • Quel est le point commun de ces trois auteurs: George Semprun? Primo Lévi? Robert Antelme?
  • Quelle est la nature de leur combat?
  • Quelle est leur arme principale?
  • Comment dans son ouvrage Antelme différencie t'-il l'homme de l'animal?
  • Quelle est la caractéristique essentielle de l'humanité?
  • En quoi cette caractéristique s'oppose t'-elle diamétralement à l'idée  nazie?
  • Quel est a priori le danger du concept de race chez les nazi?

 

 

I)

A) - etrange beauté de la nature : " les prés [...] rosés] soleil [...] brilleront" "somptueuse," ""luxueux" "divinité" " doux" => Tout ce champ lexical de la beauté constitue un PARADOXE. On est mal à l'aise car la nature semble totalement indifférente à l'horreur du camp de concentration.

-étrange calme de la nature : "aucun bruit" " les chiens dorment" => ce calme contraste avec la violence du camp

- force et santé de la nature -"sommeil sain et repu" "nourissent" " transpirent" "gorgées d'eau" "santé de la nature" "puissance de l'arbre" => Nouveau constraste par rapport a la maladie, la faim, la mort qui sont les conditions existentielles au camp.

  • I - Questionnaire
  • A -
  • Comment Antelme met-il en avant les oppositions du texte suivant:
  • l'indifférence de la nature et l'horreur des camps de concentration

  • Le calme de la nature et la violence du camp

  • La force et la santé de la nature avec les conditions existentielles du camp, maladie, faim, mort.

  • Relevez toutes les expressions du texte qui justifient ces trois effets de contrastes.

 

B) Le détenu au camp contemple cette nature saine et vigoureuse. Il tente d'oublier sa mort prochaine "Jamais on n'aura été aussi sensible à la santé de la nature" : cette hyperbole est pathétique. Le condamné s'accroche à des images de vie.

"Jamais on n'aura été" : anaphore, l'expression hyperbolique revient 2 fois comme un chant, une prière. "se confondra avec la toute puissance de l'arbre qui sera encore vivant demain" => Antelme rêve d'être immortel comme l'arbre... "plante pourrisante" = métaphore de l'agonie du détenu "maladie extraordinaire" = métaphore de leur horrible condition humaine, peut être aussi métaphore des races considérées comme inférieures par les nazis : Juifs, Noirs, handicapés, homosexuels, Tziganes.

  • B - Questionnaire
  • Quel effet la contemplation de la nature sur les détenus du camp a t'-elle?
  • Relevez une hyperbole qui traduit bien le pathétique de la situations Relevez la phrase qui montre que le condamné s'accroche à des images de vie
  • Que souligne l'anaphore «jamais on n'aura été»?
  • Quelle phrase traduit le rêve d'immortalité d'Antelme?
  • Relevez la métaphore de l'agonie du détenu
  • Que traduit l'expression «maladie extraordinaire»?

 

II)

A) la division: "c'est un rêve de SS de croire que nous avons pour mission historique de changer d'espèce" => "rêve de SS" est un oxymore qui pourrait être remplacé par un cauchemar inventé par des barbares Antelme signifie qu'ils sont à l'origine du délire ayant engendré la division entre les hommes. => l'argument du temps est invoqué (mission historique) Les nazis croient qu'avec l'avenement du IIIème Reich, le monde sera purifié des mauvaises races.

"nous avons pour mission historique de changer" => Antiphrase qui désigne la pensée nazi décrétant que les Juifs, les Tziganes etc sont en train de sortir de l'humanité et que leur basique décadence touche à sa fin. Il revient donc aux nazis de "tuer" des hommes. "effectivement" : qui a un effet, une réalité => ce qui aurait dû rester au conditionnel, du domaine du fantasme barbare acquiert du camp une réalité : là bas, on a divisé les hommes entre eux "comme si [...] comme si [...] => l'anaphore maintient le jugement dans le fantasme, l'hypothèse délirante "la division en races ou en classes état le canon de l'espèce" => Antelme reprend le vocabulaire pseudo-scientifique des nazis

  • II -
  • A -
  • Quelle est cette figure de rhétorique «rêve de SS»?
  • Que signifie t'-elle?
  • De quoi les SS sont-ils responsables?
  • Quelle est leur mission historique?
  • Relevez l'antiphrase qui désigne la pensée nazie
  • Que met en évidence l'anaphore: «comme si... comme si»?
  • Relevez le vocabulaire pseudo-scientifique des nazis

 

B)

"les arbres respirent" "les fleurs transpirent" => personnification de la nature qui prend d'emblée un aspect monstrueux. "la vallée est noire" "aucun bruit" => tout semble mort, étouffé, caché. C'est comme si l'on ne voulait pas voir, pas dire (euphémisme...) Apres Auschwitz et le traumatisme de la seconde guerre mondiale, une question se pose : peut-on continuer à écrire ? en Effet, les écrivains n'ont plus confiance en l'art ni dans le langage. La plus atroce des barbaries a eu lien en Allemagne pays au demeurant très cultivé. Le XXème siècle a aussi nié le grand rêve de la philosophie des Lumieres qui pensait que grace au savoir, aux Humanités, l'homme allait être de plus en plus heureux. Or, la modernité, a démontré le contraire. Alors on se méfie de l'art et le philosophe allemand Adorno décrete " plus de poésie après Auswitchz" Certains cesseront d'écrire. D'autres continueront mais en écrivant le texte le plus neutre possible.

  • B - Questionnaire
  • Relevez les expressions qui reflètent la personnification de la nature
  • Quelle est la place de l'écriture face à la montée du nazisme?
  • Peut-on affirmer qu'elle a une fonction cathartique?
  • Comment comprenez-vous la citation du philosophe allemand Adomo «plus de poésie après Auschwitz»

 

III)

A) " si semblables " si ressemblant" : Antelme enchaine les comparaisons à l'aide du verbe ressembler il ne faut pas s'y tromper : la comparaiso est fausse c'est de l'anitphrase. Antelme n'adhère en rien à ces arguments. "nous sommes au point de ressembler" " nous sommes au point de nous niveler sur une autre espèce => nouvelle anaphore qui fait ressortir l'inanité du propos. "sur le point" : veut dire non loin mais sans y être. Et pour Antelme JAMAIS l'homme ne sera au niveau de l'aniaml. "on tent" : veut dire s'approcher mais non rejoindre. l'homme ne rejoindra jamais l'animal"

  • III - Questionnaire
  • A -
  • Analysez les antiphrases: «si semblables» «si ressemblant»:  que traduisent-elles?
  • Antelme adhère t'-il à ces arguments?
  • Que veut nous faire comprendre Antelme?
  • Quel est son message?
  • Citez pour justifier votre réponse

 

B)

"nous ne pouvons pas (devenir bête) et les SS ne peuvent pas nous y faire abriter" => Antelme souligne l'impuissance des nazis dans leur folle entreprise. Leur "rêve" n'est qu'un délire. "c'est au moment où le masque a emprunté la figure la plus hideuse, au moment où il va devenir notre figure, qu'il tombe" => Antelme dit que c'est au moment où il est sur le point de ne plus être un homme dans le camp, tant la douleur est forte, qu'il accède à toute son humanité. Pour le martyre, il est devenu encore plus homme. Cette métaphore de la tombée du masque est l'image de l'échec des nazis.

  • B -
  • Comment le rêve des nazis est-il perçu?
  • Comment l'échec des nazis se traduit-il dans le texte?
  • Relevez et analysez la métaphore de la tombée du masque

 

Conclusion:

Ce texte à la fois violent et bouleversant frappe sa confiance en l'espèce humaine. Antelme pense que l'humanité, la philosophie humaniste, triomphera de la barbarie. Dans une démonstration par l'absurde, il ne prend les arguments du "rêve SS" afin de faire réagir le lecteur.

  • Conclusion: Questionnaire
  • Ce texte est-il représentatif de la philosophie d'Antelme?
  • Estimez-vous que ce passage soit l'exact reflet de la conception d'Antelme sur l'espèce humaine?
  • De son humanisme?

 

Ouverture:

 

Georges Semprun, l'écriture où la vie: L'écriture de soi est plus à même de soulever le problème du témoignage de l'horreur et de sa réception par le public.

 

 

 

 

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 16/05/2019

Les commentaires sont clôturés