Flaubert, Madame Bovary, ch 12 deuxième partie, commentaire littéraire et oral EAF

ORAUX EAF

 

Oral EAF, Flaubert, Madame Bovary, Ch. 12 deuxième partie

 

Madame Bovary, Flaubert

Madame Bovary est un roman de Gustave Flaubert paru en 1857. Le titre original était Madame Bovary, mœurs de province. Au début, Flaubert ne voulait pas qu'on illustre son roman avec un portrait de femme pour laisser libre cours à l'imagination du lecteur.

 

La genèse de Madame Bovary

1 - A quelle date Flaubert commence t'-il son roman?

Flaubert commence le roman en 1851

2 - Pendant combien d'années y travaille t'-il?

Il y travaille pendant cinq ans, jusqu’en 1856.

3 - Dans quelle revue, le texte est-il publié?

le texte est publié dans la Revue de Paris sous la forme de feuilleton

4 - Que se passe t'-il en février 1857?

Flaubert, l'imprimeur et le gérant de la revue sont jugés pour "outrage à la morale publique et religieuse ainsi qu'aux bonnes moeurs".

5 - Flaubert est-il condamné?

Non, il est finalement acquitté grâce à ses liens avec la société du Second Empire et avec l'impératrice. A la même époque Baudelaire est poursuivi par le même tribunal après la publication des Fleurs du mal, il sera condamné.

6 - L'ouvrage de Flaubert connaît-il un grand succès?

Oui, le roman connaîtra un grand succès en librairie.

7 - Qui Flaubert côtoie t'-il dans les milieux littéraires?

Les Frères Goncourt, Baudelaire, Sainte-Beuve, Théophile Gautier

Le " bovarysme "

1 - Que signifie le "bovarysme"?

Le " bovarysme" est une insatisfaction à l'égard des choses du réel du fait d'une trop grosse tendance au rêve, à l'illusion et à l'idéalisation. C'est une échappatoire à la réalité, une mélancolie, un trouble de l'âme.

le bovarysme se définit comme un mal de vivre, un « spleen ».

« C'est, dit Georges Palante, le pouvoir qu'a l'homme de se concevoir autre qu'il n'est [...] : l'illusion bovaryque commence avec la substitution de l'être apparent ou imaginaire à l'être véritable.»

2 - Qui a initié le "bovarysme"?

Jules de Gaultier, en 1892

3 - Qui était Jules de Gaultier?

Un philosophe français influencé par Schopenhauer et Nietzsche. Il a ensuite influencé Georges Palante : philosophe et sociologue français.

4 - Quand le terme "bovaryser" est-il dans le dictionnaire?

En 2014, dictionnaire le Grand Robert. Il propose la définition suivante : "le fait de rêver à un autre destin plus satisfaisant".

5 - Citez un autre auteur qui a déjà décrit cet état d'âme dans la littérature

Honoré de Balzac, La Femme de trente ans. Flaubert s'en serait inspiré (dans cette hypothèse, Balzac serait l'inventeur du "bovarysme".

6 - Citez trois noms de personnages de la fiction qui sont passés dans la langue commune et désignent un type humain ou social ou encore psychologique.

Un Rastignac, un Don Juan, un tartuffe, une bovary

7 - Le bovarysme peut-il apparaître comme un symptôme de la modernité?

Oui, Madame Bovary, personnage flaubertien incarne un mythe littéraire et le bovaryme apparaît comme un symptôme de la modernité. On peut parler de dimension psychologique du "bovarysme". Baudelaire voyait un caractère hystérique dans le "bovarysme". Un mal moderne, une illusion romantique

8 - Comment se manifeste l'illusion romantique chez Emma Bovary?

Emma se nourrit des Méditations poétiques de Lamartine et des romans de Walter Scott. On retrouve dans le bovarysme d'Emma une version dégradée du romantisme.

9 - Peut-on dissocier le "bovarysme" de la condition de la femme au XIXe siècle?

On peut parler de femme objet condamnée à l'évasion, victime de désillusions, on le voit chez Emma qui en se mariant a perdu toute identité. Elle est seulement Madame Bovary.

10 - Quelle relation au monde Emma Bovary représente t'-elle?

Elle représente l'ennui dans sa vie quotidienne de petite bourgeoise provinciale dans un village Normand et l'échec dans son mariage avec Charles Bovary, officier de santé, en témoignent ses aventures adultères.

Emma se réfugie dans l'illusion d'un autre monde jusqu'à l'échec du rêve qui la mène au suicide.

11 - Peut-on parler d'une héroine tragique? En quoi?

Non pas vraiment car Emma Bovary ne ressemble pas au héros tragique en proie à une grande lucidité et toujours dans l'action. Elle incarne un personnage passif, nostalgique. Aucune prise de conscience ne sort de la rêverie, la déception devient synonyme de "petite mort".

12 - Quel roman de Georges Perec illustre le mieux ce bovarysme contemporain en 1965?

Le roman intitulé Les Choses, 1965

Extrait Des Choses de Perec

« Ils croyaient imaginer le bonheur [...]. Ils croyaient qu’il leur suffisait de marcher pour que leur marche soit un bonheur. Mais ils se retrouvaient seuls, immobiles, un peu vides. Une plaine grise et glacée, une steppe aride : nul palais ne se dressait aux portes des déserts, nulle esplanade ne leur servait d’horizon. » Georges Pérec, Les Choses, «J’ai lu ».

 

Le titre et le sous-titre

Que pouvez-vous dire du titre et du sous-titre?

Titre : Madame Bovary

Sous-titre : Moeurs de province

Madame Bovary est un personnage éponyme

Le sous-titre nous apprend que nous sommes dans la France provinciale au milieu du XIXe siècle.

Le titre nous enseigne que l'héroine est une femme manifestement privée de son identité, elle porte le nom de son mari. Son nom de jeune fille est Emma Rouault.

Comment vivait Emma avant de se marier avec Charles?

Elle vivait avec son père dans une ferme après avoir passé sa jeunesse dans un couvent. Emma se nourrissait durant cette période d'enseignement religieux, de livres romantiques. Sa vision de la vie est idéaliste. Elle s'ennuie à la ferme et rêve de rencontrer un homme. Charles Bovary sera une échappatoire à sa vie monotone, mais Emma va très vite s'ennuyer avec Charles, médecin de campagne sans grande personnalité.

 

Emma Bovary : un modèle typique de la femme du XIXe siècle?

Non Emma Bovary ne représente qu'une minorité des femmes de son époque.

La femme avait une éducation traditionnelle, la fidélité est la base du mariage et en ce sens on peut affirmer qu'Emma du fait de ses adultères successifs se distingue du modèle typique de la femme. Emma n'est pas une femme aimante, une mère attentive, elle fuit le foyer et s'égare dans ses aventures répétées pour fuir le quotidien de sa vie. En outre, Emma a accès aux économies de Charles, ce qui pour l'époque est inédit. Emma Bovary n'est donc pas représentative du modèle typique de la femme du XIXe siècle. Elle se détache de son rôle conventionnel, elle s'octroie une liberté que les femmes n'avaient pas à cette époque. 

Flaubert: sa vie et son œuvre:

1 - De quel siècle Flaubert est-il? 19e siècle.

Il est né le 12 décembre 1821 et est mort le 8 mai 1880

2 - Où est-il né? Rouen

3 - A quel milieu social appartient-il?

Il appartient à la petite bourgeoisie catholique

4 - Avec qui Flaubert fonde t'-il le journal manuscrit, Art et Progrès?

Avec Ernest Chevalier en 1834

5 - Qui rencontre t'-il dans les années 1836?

Elisa Schlésinger, à Trouville-sur-Mer.

6 - A quel ouvrage, cette rencontre a t'-elle donné lieu?

A l'Education sentimentale

7 - A t'-il marqué la littérature française?

Oui, du fait de la profondeur de ses analyses psychologiques, ses descriptions réalistes et le réalisme de son écriture.

8 - Citez trois ouvrages:

Mme Bovary, Salammbô, L'éducation sentimentale

9 - Quand l'ouvrage l'éducation sentimentale a t'-il été rédigé?

Septembre 1864

Il comporte des éléments autobiographiques comme par exemple la rencontre de Mme Arnoux qui fait allusion à Elisa Schlésinger, ou encore le personnage principal, Frédéric qui reflète les expériences de jeunesse de Flaubert.

10 - De qui le cœur du récit est-il tiré?

Du roman de Ste Beuve, Volupté. Balzac avait déjà traité le sujet dans le Lys dans la vallée mais Flaubert l'a réécrit. Les règles narratives sont nouvelles. Il réinvente ainsi la notion de Roman d'apprentissage

11 - Flaubert a t'-il fait des études?

Oui, des études de droit à Paris mais sans conviction.

12 - Quelle est son ambition?

Se consacrer à l'écriture. Il le fera après la mort de ses parents. Il vivra de ses rentes, son père lui laisse en héritage une fortune de 500 000 francs.

13 - Qui rencontre t'-il à Paris?

Victor Hugo, Maxime Du Camp.

14 - Avec qui Flaubert entretient-il une correspondance considérable?

Avec la poétesse Louise Colet avec qui il a vécu une liaison amoureuse sur 10 ans.

15 - Qui est le père littéraire de Flaubert?

Balzac. Il est très marqué par les productions littéraires de Balzac, il reprend les thème du Lys dans la vallée dans l'Education sentimentale et s'inspire de la Femme de trente ans dans Madame Bovary.

 

Le réalisme de Flaubert

Flaubert est-il considéré comme le chef de file du réalisme?

Oui, il est considéré comme le représentant du réalisme dans le sens ou il étudie la réalité historique et sociale tout comme Balzac mais il rejette ce titre réducteur de chef de file. Dans une lettre adressée à George Sand, il affirme " Notez que j'exècre ce qu'on est convenu d'appeler le réalisme bien qu'on m'en fasse un des pontifes."

Plutôt que transcription du réel, Flaubert revendique une transfiguration du réel par l'écriture.

 

Questions sur le naturalisme et le réalisme

Créé en même temps que le romantisme (De Balzac à Stendhal), le réalisme ne prend vraiment son essort que dans la période 1850-1900 (par Flaubert et Maupassant) et se retrouve dans le naturalisme créé par Zola.

1) Réalisme et Naturalisme (à travers l'histoire)

- Les romans emprunts de réalisme s'identifient à l'époque traversée: des révolutions de 1848 (qui se retrouve dans "L'Education sentimentale" de Flaubert, du coup d'état de L-N Bonaparte (conteste de "La Fortune des Rougon" de Zola) ou de la politique stable du 2ème Empire (1852 à 1870).

-Les Années 1850-1900 virent la vraie naissance du capitalisme moderne: Zola le décrit à travers les grands magasins dans "Au bonheur des dames" paru en 1883, et à travers la bourse dans "l'Argent" paru en 1891. C'est une époque de fortes évolutions tant sociales (naissance de la classe ouvrière) qu' urbaines (à travers le Paris du Préfet Haussmann).

-C'est enfin le grand moment du positivisme, qui use de l'expérience scientifique comme fondement à tout savoir. Les romanciers écrivent aussi sur les avancées en médecine et en psychologie, Maupassant disserte sur la folie ("Le Horla" en 1887), les frères Goncourt s'expriment sur l'hystérie féminine ("Germine Lacerteux" en 1865), ou encore Zola sur les valeurs de l'hérédité, servant de base à ses "Rougon-Macquart" (de 1871 à 1893), période romanesque sous titrée "Histoire Naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire".

Réalisme et naturalisme :

  • A quel moment le naturalisme prend t'-il son essor?
  • Citez deux romans réalistes
  • Quelles sont les caractéristiques du réalisme?
  • Quelles en sont les sources?
  • Quel est le cadre historique?

 

2) Les clés du réalisme et du naturalisme:

-Les principes généraux de la vision réaliste naissent chez Balzac qui crée, avec "La comédie Humaine" le roman total, vrai "concurrence à l'Etat-civil" (préambule de 1842) et chez Stendhal qui crée le roman assimilé à "une glace qui déambule sur une grande-route" ("Le Rouge et le Noir" en 1830). Les 2 écrivains affirment retranscrire la réalité de manière fidèle.

-Le mot "réalisme survient, au début de manière péjorative pour enfin définir une nouvelle création de description, constituée autour de Gustave Courbet. Plus tard, Champfleury et Duranty se l'approprient en littérature en affirmant l'objectivité sur base romantique, et ses qualités de description. Le réalisme n'est cependant qu'au second plan comme courant en littérature: et même Flaubert, pourtant son affirmé (Chef de file, ne se disait-il pas comme non-réaliste).

-Par contre, le naturalisme a bien représenté une école littéraire, avec les frères Goncourt et Zola ("Thérése Raquin", en 1867, puis les "Rougon Macquart" à partir de 1871). Les écrits de ce dernier écrivain, Le Roman d'expérience (en 1880) et les Romanciers (1881) apportent leur fondement au naturalisme; ils revendiquent un réalisme extrémiste par leur expérimentation du modèle scientifique. Ils s'attirent toutefois des avis mesurés, chez Maupassant (exemple: la préface de "Pierre et Jean", en 1887) ou chez Huysmans "exemple: la préface de "A retours", en 1903).

Les clés du réalisme et du naturalisme :

  • Quels sont les deux écrivains qui posent les clés du réalisme?
  • Définissez "réalisme"
  • Le naturalisme a t'-il représenté une école littéraire?
  • Quels écrits sont à l'origine du fondement du naturalisme?
  • Quel réalisme les écrivains fondateurs revendiquent-ils?
  • De quel modèle s'inspirent-ils?

 

3) Les genres réalistes et naturalistes:

- Le roman est le genre le plus retenu: on estime qu'il décrit le mieux la réalité. Balzac avec "La Comédie Humaine", et Zola , avec les "Rougon-Macquart" racontent de grandes épopées familiales sur fond de social et d'histoire. Contrairement aux romantiques avec le roman sur fond d'histoire, les réalistes et les naturalistes s'intéressent eux au présent et tirent leur inspiration de la vie réelle (Stendhal écrit aussi son roman "Le Rouge et le Noir" en se basant sur un fait divers relaté dans un journal).

-Le descriptif a une grande importance, car il permet de décrire la réalité: il repète les "petits faits avérés" (Stendhal) et cela donne un effet de réalité.

-Enfin, se focaliser dans ce genre de romans, autorise des effets complexes, entre narrateur présent en permanence, image du démiurge qui crée tout un monde (Balzac), et le "se focaliser" propre à Zola, qui permet au narrateur de se dissimuler derrière ses personnages.

Les genres réralistes et naturalistes :

  • Parmi les genres réralistes et naturalistes, quel est le genre le plus reconnu? Pourquoi?
  • Que racontent Balzac et Zola dans la Comédie humaine et les Rougon Macquart?
  • Quelle est la base de l'inspiration de ces genres littéraires?
  • Quelle est la place du descriptif?

 

4) Les Thèmes réalistes et naturalistes:

-Le réalisme s'attaque d'abord au romantisme, qu'on accuse d'éloigner de la réalité. Flaubert dans "Madame Bovary", décrit les effets néfastes de l'illusion romantique sur l'héroisme de son roman). Par contre, réalistes et naturalistes revendiquent la réalité des villes, politique et sociale. Les héros de ces romans sont ordinaires, qu'ils soient de la classe bourgeoise de Flaubert ou de la classe ouvrière de Zola

- Zola décrit aussi, dans les "Rougon-Macquart" le monde des prostituées, l'alcool et le crime.

-C'est la réalité que les romans décrivent. C'est pourquoi le réalisme a souvent été qualifié d' inesthétique et parfois même manquant de moralité et apportant la subversion: en 1857; un procés a même été intenté contre Flaubert "Madame Bovary" sous l'accusation suivante: "Atteinte à la morale des gens et aux bonnes moeurs".

Les thèmes réalistes et naturalistes :

  • A quoi le réalisme s'attaque t'-il?
  • Donnez un exemple
  • Que revendiquent les réalistes et les naturalistes?
  • Citez trois thèmes recurrents chez Zola
  • Le réalisme est -il associé à la moralité ou au manque de moralité?
  • Que pouvons-nous dire à ce propos sur Madame Bovary?

 


Flaubert, Madame Bovary (1857)


Introduction et situation du texte

            Nourrie de littérature Emma Bovary rêve d’une vie faite de grands sentiments, de luxe, loin du quotidien et de son époux, Charles, médecin de campagne avec qui elle s’ennuie.

Elle se sent enfermée dans la médiocrité de sa vie provinciale à Yonville, près de Rouen.  Elle fait la connaissance de Rodolphe et devient sa maîtresse. Bien vite elle sera déçue par cette évasion hors du quotidien par l’adultère. 


Lecture du texte

Mais, avec cette supériorité de critique appartenant à celui qui, dans n’importe quel
engagement, se tient en arrière8, Rodolphe aperçut en cet amour d’autres jouissances à exploiter. Il jugea toute pudeur incommode. Il la traita sans façon. Il en fit
quelque chose de souple et de corrompu. C’était une sorte d’attachement idiot plein
d’admiration pour lui, de voluptés pour elle, une béatitude qui l’engourdissait ; et
son âme s’enfonçait en cette ivresse et s’y noyait, ratatinée, comme le duc de Clarence dans son tonneau de malvoisie9.
Par l’effet seul de ses habitudes amoureuses, Mme Bovary changea d’allures. Ses
regards devinrent plus hardis, ses discours plus libres ; elle eut même l’inconvenance de se promener avec M. Rodolphe, une cigarette à la bouche, comme pour
narguer le monde ; enfin, ceux qui doutaient encore ne doutèrent plus quand on la
vit, un jour, descendre de l’Hirondelle10, la taille serrée dans un gilet, à la façon d’un homme.

 Et Mme Bovary mère, qui, après une épouvantable scène avec son mari,
était venue se réfugier chez son fils, ne fut pas la bourgeoise la moins scandalisée. Bien d’autres choses lui déplurent : d’abord Charles n’avait point écouté ses
conseils pour l’interdiction des romans ; puis, le genre de la maison lui déplaisait ;
elle se permit des observations, et l’on se fâcha, une fois surtout, à propos de Fé-
licité.
Mme Bovary mère, la veille au soir, en traversant le corridor, l’avait surprise dans la
compagnie d’un homme, un homme à collier brun, d’environ quarante ans, et qui,
au bruit de ses pas, s’était vite échappé de la cuisine. Alors Emma se prit à rire ;
mais la bonne dame s’emporta, déclarant qu’à moins de se moquer des mœurs, on
devait surveiller celles des domestiques.
— De quel monde êtes-vous ? dit la bru, avec un regard tellement impertinent
que Mme Bovary lui demanda si elle ne défendait point sa propre cause.
— Sortez ! fit la jeune femme se levant d’un bond. — Emma !… maman !… s’écriait
Charles pour les rapatrier.
Mais elles s’étaient enfuies toutes les deux dans leur exaspération. Emma trépignait en répétant :
— Ah ! quel savoir-vivre ! quelle paysanne !
Il courut à sa mère ; elle était hors des gonds, elle balbutiait :
— C’est une insolente ! une évaporée ! pire, peut-être !
Et elle voulait partir immédiatement, si l’autre ne venait lui faire des excuses.
Charles retourna donc vers sa femme et la conjura de céder ; il se mit à genoux ;
elle finit par répondre :
— Soit ! j’y vais.
En effet, elle tendit la main à sa belle-mère avec une dignité de marquise, en lui
disant :
— Excusez-moi, madame.


Gustave Flaubert, Madame Bovary (Deuxième partie, Ch.12)

8. Le narrateur explique ici que Rodolphe, ne mettant aucun sentiment dans sa relation avec Emma, garde un regard très distant
sur leur liaison et n’y voit que la satisfaction de plaisirs sensuels.
9. George Plantagenêt, duc de Clarence, condamné à mort en 1478 pour avoir comploté contre son frère le roi Édouard IV d’Angleterre, aurait choisi de mourir noyé dans un tonneau de vin de malvoisie.
10. Nom de la diligence de Yonville qui va jusqu’à Rouen.

 

Commentaire littéraire et oral EAF

Problématique

Quelles visions nous donne ce passage des tentatives d’émancipation d’Emma et quelles en sont les limites ? 

Plan possible pour un commentaire

I – Les visions des tentatives d’émancipation d’Emma

II – les limites de l’émancipation

Analyse

I – Les visions des tentatives d’émancipation de Madame Bovary

Les visions des tentatives d’émancipation d’Emma sont suggérées par le narrateur qui sans intervenir directement, offre une vision critique, voire ironique sur les rêveries et exaltations romanesques d’Emma.  Cette dernière croit vivre la grande vie dans l’aspiration à la passion adultère, mais elle sombre très vite dans la désillusion. Elle connaîtra la trahison, l’abandon alors qu’elle croyait vivre l’émancipation par l’adultère.  Au lieu de cela Rodolphe la laisse et lui fait sentir qu’elle est un poids pour lui. Emma sombre en dépression et trouve un nouvel amant qui lui dérobe l’argent du ménage et l’entraîne dans des dettes. Ne voulant pas en informer Charles, elle se suicide à l’arsenic. 

Pour toutes ces tentatives d’émancipation d’Emma, le narrateur nous donne plusieurs points de vue sur Emma, il y en a essentiellement trois. 
Dans un premier temps, il y a le point de vue de Rodolphe qui comme on le sait est très froid, grand séducteur et surtout sans scrupule.  Il voit dans la liaison amoureuse avec Emma l’occasion d’un profit « jouissances à exploiter ».  Nous avons donc un point de vue masculin de l’adultère, celui de l’amant qui nous renvoie à une Emma trop dans l’illusion, trop dans ses livres et dans les rêves car en fait elle n’est qu’un objet sexuel pour Rodolphe qui abuse de sa naiveté.  En aucun cas, Emma n’est libérée des entraves de son mariage, ni même émancipée, elle n’a aucun contrôle sur sa vie et n’a aucune liberté intérieure. Elle n’affirme rien de ce qu’elle est bien au contraire, elle est le contraire d’Indiana, elle n’affronte pas sa situation de femme et d’épouse. Elle fuit.  Elle passe d’un mari avec qui elle s’ennuie à un amant qui la manipule « il la traita sans façon ». 

Dans un second temps, l’émancipation d’Emma fait l’objet des points de vue des habitants d’Yonville.  Leur analyse reste extérieure mais elle est néanmoins péjorative et critique « inconvenance ». Emma est jugée pour ses adultères et mal jugée.  A présent, elle est comme totalement exclue du monde environnant dans lequel elle vit, elle s’en distingue et n’appartient plus à ce même village des bourgeois d’Yonville, comme si elle n’était plus des leurs.  Elle se démarque, elle n’appartient plus au milieu traditionnel, traditionnaliste et est jugée sur les apparences ainsi que le suggèrent les expressions suivantes « regards », « discours », « allure ». 

Enfin, il y a le point de vue la mère de Charles Bovary. Elle semble scandalisée par les adultères de sa belle fille.  C’est le point de vue privilégié par le narrateur car il permet de mettre en avant les critiques de Mme Bovary mère vis-à-vis d’Emma.  Pour mettre en avant ses paroles, nous avons du discours indirect libre « Charles n’avait point écouté ses conseils pour l’interdiction des romans : puis le genre de la maison lui déplaisait ». 

Les comportements d’Emma font ainsi l’objet de différents points de vue et ils relatent les effets provoqués dans la petite ville de province.

L’attitude d’Emma choque, elle provoque, elle porte atteinte à la pudeur, elle n’est pas digne d’une femme mariée. Ces jugements sont représentatifs des points de vue de la société sur la place de la femme. Emma n’est pas comprise des autres femmes, elle est juste jugée. Le combat féministe n’est pas engagé.  L’immoralité est ce qui ressort de ses promenades avec Rodolphe, sa liberté n’est pas revendiquée, Emma est et reste une « inconvenante ».  L’opinion publique domine et tranche. Emma n’a pas réussi tout comme Indiana à retrouver sa liberté intérieure, sa tentative pour affirmer sa liberté de femme face à la morale traditionnelle n’est pas bien perçue, le message n’est pas entendu.  Il n’y a en fait qu’une sorte de provocation publique. 

  • Questionnaire possible
  • Dans sa tentative d’émancipation par l’adultère, Rodolphe a un point de vue sur les intentions d’Emma. Quel est-il ? 
  • Que voit-il dans liaison amoureuse avec Emma ?
  • A t’-il un point de vue masculin sur cette émancipation de la femme ? 
  • Quel est le point de vue des habitants d’Yonville ?  Cette vision est-elle traditionnelle ? Citez pour justifier votre réponse
  • Montrez qu’Emma n’est jugée que sur les apparences
  • Comment la mère de Charles Bovary perçoit-elle sa belle fille et ses adultères ? Quel regard porte t’-elle sur cette femme ? 
  • Sa liberté est-elle vraiment revendiquée à travers ses adultères successifs ?
  • Parvient-elle à un degré de liberté intérieure ? Peut-on la comparer à Indiana de G. Sand ?
  • Que pensez-vous de cette tentative d'émancipation d'Emma?
  • Quel autre ouvrage sur la libération et l'émancipation de la femme avez-vous lu? 
  • Citez au moins un ouvrage = G. Sand, Indiana. 
  • Indiana dans G. Sand représente la résistance dans l'effort d'émancipation qui aboutit à une liberté intérieure. Ce n'est pas le cas chez Emma Bovary. Son effort d'émancipation échoue. 

 

II – les limites de l’émancipation

Si l’on compare Emma à Indiana c’est dans le but de montrer l’échec de cette tentative d’émancipation qui n’aura eu pour effet que d’isoler davantage le personnage. 

Son émancipation se heurte à beaucoup de limites. En effet, elle se retrouve enfermée dans un milieu étriqué avec une belle mère traditionnelle, Mme Bovary mère, autrement appelée « bourgeoise » ou « bonne dame » appartenant à un certain statut social et ayant une grande moralité et une certaine respectabilité.  Emma n’est pas à la hauteur des convenances dues au rang de sa belle mère. Elle symbolise la morale et Emma la déchéance morale, l’inconvenance.  Elle s’est écartée du droit chemin donc la belle mère représente pour Emma tout ce qu’elle déteste et à quoi elle tente d’échapper.  Charles et Madame Bovary mère renvoient à Emma la même image, la même vie, la même médiocrité. 

Ils symbolisent tout ce qu’Emma n’est pas, la morale sociale. Emma n’y voit que de la médiocrité qui la brime, du mépris et du rejet.  La belle mère fait figure d’autorité, Charles en est dépourvu. Elle est la seule  à faire figure d’autorité morale.  C’est pourquoi les deux femmes sont antagonistes, elles se détestent ainsi que le suggèrent les expressions et phrases suivantes : « elles s’étaient enfuies toutes les deux dans leur exaspération » ; « Emma trépignait en répétant » / « elle était hors des gonds, elle balbutiait »)  « à moins de se moquer des mœurs ».

Elle sait attaquer sa belle fille pour son immoralité « lui demanda si elle ne défendait point sa propre cause », et son manque de sérieux. 

En retour Emma n’a aucun respect pour sa belle mère et ses valeurs trop étriquées, elle manifeste volontiers son insolence et son impertinence à son égard dans le seul but de la provoquer. Mais elle n’échappe pas pour autant à son statut, elle ne peut fuir ses codes sociaux et appartenir à un autre monde, elle ne peut pas être plus libre, être elle-même, fuir sa réalité. 

  • Questionnaire possible
  • A quelles limites Emma se heurte t'-elle dans son émancipation?
  • Que symbolise Madame Bovary mère pour Emma? 
  • Montrez par quelques phrases et expressions du texte que les deux femmes se détestent
  • Emma peut-elle vraiment fuir son destin à travers les adultères répétés? Selon vous, son destin était-il tracé en épousant Charles? 
  • Pouvait-elle espérer une certaine forme de liberté?
  • Aura t'-elle jamais connu une certaine liberté intérieure? 
  • Le narrateur a t'-il condamné son héroine? 

 

Conclusion

Même les amants d’Emma ne cautionnent pas ses revendications de liberté par l’adultère. Rodolphe lui-même parle « d’attachement idiot » comme si les rêves d’Emma s’en allaient et avec eux, la vraie vie à laquelle elle aspire. Flaubert est ironique avec son héroine, il la fait chuter de très haut, elle s’engourdit dans le malaise de sa vie. Le pessimisme domine. Emma est punit pour son adultère jusqu’au suicide.  Trop de sentiments exaltés, trop d’ivresse auront aboutis au contraire de ce qu’elle voulait. Elle n’est pas plus libre, ni plus libérée, elle est juste de son vivant condamnée à mourir dans son destin tragique.  Elle est devenue victime et en particulier de ses amants de qui elle attendait la libération de sa vie médiocre. Elle perd son âme, « son âme s’enfonçait en cette ivresse et s’y noyait ».  Emma au contraire d’Indiana ne ressort pas émancipée, libérée ni grandie de ses expériences. Elle perd au contraire toute dignité.  Aliénée par son mariage, elle devient victime de ses amants, victime de la société. Le narrateur condamne son héroine. Elle ne sortira pas émancipée mais mourra dans son carcan social.  Elle retourne à son mariage ennuyeux, acceptant la « paix du ménage » avec de plates excuses. 

Ouverture

Echec de l’émancipation d’Emma mais derrière l’aliénation de la femme adultère et privée de liberté intérieure, ne retrouvons pas la condamnation de Flaubert, celle du monde de son époque avec son moralisme et ses codes sociaux et religieux ? 

 

Lectures cursives
 Le procès de Madame Bovary (1857)

Le procès de Madame Bovary : Flaubert est poursuivi par un tribunal correctionnel à cause de son livre, Madame Bovary, 1857, il est poursuivi pour outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs.

Son roman est publié en feuilleton dans un revue de Paris et c’est après dès le 29 janvier 1857 que Flaubert est poursuivi en justice (glorification de l’adultère), il sera finalement acquitté.  Baudelaire sera également condamné pour les l’écriture des Fleurs du mal, Hugo contraint à l’exil.

Le contexte historique est celui de Napoléon III, la censure était conseillée pour un écrivain car les productions littéraires sont très contrôlées, les livres sont interdits

L’avocat défend la moralité du roman en invoquant l’idée que l’héroine est punie dans l’histoire car elle ne respecte pas le schéma traditionnel du mariage

plaidoirie de Maître Sénard,

« M. Flaubert a voulu peindre la femme qui, au lieu de chercher à s’arranger dans la condition qui lui est donnée, avec sa situation, avec sa naissance ; au lieu de chercher à se faire à la vie qui lui appartient, reste préoccupée de mille aspirations étrangères puisées dans une éducation trop élevée pour elle ; qui, au lieu de s’accommoder des devoirs de sa position, d’être la femme tranquille du médecin de campagne avec lequel elle passe ses jours, au lieu de chercher le bonheur dans sa maison, dans son union, le cherche dans d’interminables rêvasseries [...]. Mais elle est bientôt rencontrée par un homme comme il y en a tant, comme il y en a trop dans le monde, qui se saisit d’elle, pauvre femme déjà déviée, et l’entraîne. [...]
C’est que chez lui les grands travers de la société figurent à chaque page ; c’est
que chez lui l’adultère marche plein de dégoût et de honte. Il a pris dans les relations habituelles de la vie l’enseignement le plus saisissant qui puisse être donné à une jeune femme. Oh ! mon Dieu, celles de nos jeunes femmes qui ne trouvent pas dans les principes honnêtes, élevés, dans une religion sévère de quoi se tenir fermes dans l’accomplissement de leurs devoirs de mères, qui ne le trouvent pas surtout dans cette résignation, cette science pratique de la vie qui nous dit qu’il faut s’accommoder de ce que nous avons, mais qui portent leurs rêveries au dehors, ces jeunes femmes les plus honnêtes, les plus pures qui, dans le prosaïsme de leur ménage, sont quelquefois tourmentées par ce qui se passe autour d’elles, un livre comme celui-là, soyez-en sûrs, en fait réfléchir plus d’une. »

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 26/07/2021

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