Art de Yasmina Reza, analyse littéraire de l'oeuvre

 

Image illustrative de l'article « Art » Carré blanc sur fond blanc, de Kazimir Malevitch (1918)

Auteur Yasmina Reza
Pays d'origine Drapeau de la France France
Lieu de parution Paris
Éditeur Actes Sud
Collection Actes Sud - Papiers
Date de parution 10 octobre 1994
Nombre de pages 62
ISBN 9 782869 434103
Date de la 1re représentation 28 octobre 1994
Metteur en scène Patrice Kerbrat
Lieu de la 1re représentation Comédie des Champs-Élysées

 

Art de Yasmina Reza

« Art »  est une pièce de théâtre écrite en 1994 par Yasmina Reza.

Historique

 

La première représentation de « Art » a eu lieu le 28 octobre 1994, interprétée par Pierre Vaneck (Marc), Fabrice Luchini (Serge) et Pierre Arditi (Yvan), dans une mise en scène de Patrice Kerbrat à la Comédie des Champs-Élysées. La pièce est reprise à Paris et en tournée, en 1998, avec Pierre Vaneck (Marc), Jean-Louis Trintignant (Serge) et Jean Rochefort (Yvan).

  • Le spectacle reçoit, en 1995, deux Molières (meilleur auteur et meilleur spectacle privé).

« Art » a été traduit dans trente-cinq langues et mis en scène à Londres, Berlin, Chicago, Tokyo, Lisbonne, St-Pétersbourg, Bombay, Johannesburg, Buenos Aires, Tunis ou Bratislava.

  • Parmi de nombreuses récompenses de théâtre, la pièce reçoit un Tony Award en 1998 après avoir été coproduite par Sean Connery à Broadway.

 

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Les personnages (par ordre d'apparition)

 

Marc

 

Rationnel et sceptique face à l'art contemporain, Marc a une belle situation, exerce le métier d'ingénieur dans l'aéronautique et incarne la classe moyenne confortable sûre d'elle. Face à Serge, il affirme d'abord son point de vue sans retenue ne se souciant pas de l'avis de son ami, certain d'être approuvé, mais la réaction de son ami le perturbe.

Serge

 

Dermatologue, Serge gagne bien sa vie, et se paye le luxe de hanter les galeries, intéressé par l'art. Pressé, un peu snob, il est aussi certain de son goût que Marc de son dégoût.

Yvan

 

Yvan est représentant dans une papeterie. Tourmenté, incertain, Yvan est le médiateur, toujours prêt à éviter un conflit. Rendu nerveux par son mariage approchant, il tente de ménager la chèvre et le chou, et tient le rôle délicat du fer entre le marteau et l'enclume.

Résumé

 

Marc est invité par son ami Serge à venir voir sa nouvelle acquisition, une toile d'environ 1m60 sur 1m20 peinte en blanc, avec de fins liserés blancs transversaux, que Serge vient d'acheter 200 000 francs. Atterré par cet achat, ne comprenant pas que son ami ait pu dépenser une somme pareille pour un tableau blanc, Marc donne d'abord son point de vue sans retenue, ne se souciant pas de l'avis de Serge. Puis il va trouver Yvan, leur ami commun, pour lui faire part de son incompréhension à propos de ce geste. Yvan, lui, ne pense rien de ce tableau. L’approche de son mariage le rend nerveux. Il ne veut surtout pas contrarier ses deux amis. Serge et Marc commencent à se disputer et entraînent Yvan dans leur confrontation.

Les trois amis vont alors s’entre-déchirer autour de ce tableau blanc en invoquant tous les arguments qui tournent autour de l’art moderne et de l'art contemporain. L'affrontement ira bien au-delà de la seule question de l'art... Celui-ci ne laissera personne indemne. Serge ira jusqu'à dire ce qu’il pense vraiment de la femme de Marc, et Marc jusqu'à dire à Yvan d’annuler son mariage considérant qu'il fait une erreur. À force, Marc et Serge iront jusqu'à se battre. Finalement, pour sauver leur amitié, les trois amis vont sacrifier le tableau en dessinant dessus, puis vont le restaurer ensemble.

Source

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Les différentes formes de comique

dans Art de Yasmina Reza

 

Contre toute attente, cette pièce de Yasmina Reza n’a pas pour thème l’art  contemporain mais l’amitié. C’est ce qui est au cœur de la pièce même si la  toile d’art constitue un véritable personnage, le quatrième de cette pièce.

Plusieurs types de comiques sont à l’œuvre ; c’est ce que nous nous  proposons de montrer dans cette courte étude.

 

Pour commencer il faut rappeler que le rire n’est concevable qu’en groupe. Il  peut être communicatif mais constitue avant tout un moyen de communication,  d’échange entre les individus. Il exige et entraîne tout à la fois la complicité de l’autre ou des autres.

Dans le cadre d’une pièce de théâtre, les choses sont un peu particulière  parce que, eu égard à la double énonciation, il y a toujours un spectateur de ce  comique : le public lui-même. Si bien que, même lorsque le personnage est  seul sur scène, il y a toujours déjà un complice de son comique dans la salle en  la personne une et multiple du public.

Art est une pièce comique même si les enjeux, eux, ne le sont pas.  En effet, ce qui est en jeu est l’amitié de 15 ans de trois adultes :  Serge, Marc et Yvan.

Le litige, élément déclencheur de la remise en question de ces liens  d’amitié, réside dans l’achat par l’un d’eux d’une toile d’art contemporain, un  monochrome blanc, de grande taille, signée Antrios et surtout fort onéreuse.  C’est Serge, dermatologue, divorcé, qui vient d’en faire l’acquisition au point  d’être ruiné.

Ses deux amis vont à tour de rôle devoir se positionner face à cette toile.  Leurs réactions, diverses, feront naître des conflits interpersonnels, exhumant  de vieilles rancœurs, des non-dits ou encore des rapports de force implicites  qui, dès le départ, avaient rendus leur amitié un peu bancale. 

 

Le  comique de situation est particulièrement notable lorsque la  toile, objet du litige qui galvanise toutes les tensions, fait des allers et  venues dans la pièce principale de l’appartement de Serge. Portée avec une  forme de sacralité par son acquéreur, cette toile, sera cachée avec le même sens  de l’ésotérique au regard réprobateur de celui qui n’en comprend pas le sens.  Serge dira à Marc qu’il ne mérite pas de voir la toile. Il n’est pas à  la hauteur. Seuls les initiés pourront la contempler. Yvan seul est, à ce titre,  jugé apte. Or cet homme, le farfadet, est tolérant au point de dire à l’un qu’il  trouve la toile touchante et d’approuver les moqueries de l’autre sur le même  objet. Finalement, le public est comme pris à partie et doit trancher, ce qu’il  ne saurait faire.

 

Le comique de geste,  farcesque, est mis en œuvre dans la dernière séquence de la pièce quand les  hommes en viennent aux mains pour régler leurs comptes. Yvan, pleutre, perturbé  par l’imminence de son mariage et le délitement constaté des liens qui unissent  ses deux amis, prend par mégarde un coup violent à l’oreille qui fera  basculer la tension. Sa souffrance paraît toutefois exagérée et deviendra  l’objet de la moquerie des deux autres, les réunissant là où les coups allaient  les séparer. A cette occasion l’apparition d’une souris (en réalité un  rat) laissera penser que le personnage souffre d’hallucinations alors qu’il  n’en est rien. Le rat existe bel et bien ; il est d’ailleurs question à  trois reprises de cet animal dans la pièce : Serge est comparé à un rat  d’exposition, le rat passe dans la pièce et Yvan se plaint que, célibataire, il  était seul comme un rat.

Plus subtile, le fait que ces hommes se servent de la nourriture pour  apaiser leurs tensions ou simplement différer les vraies explications. Le nœud  du problème à savoir que Marc soit jaloux de l’œuvre, est renvoyé à la fin de la  pièce par ce procédé qui se répète (des olives et des noix de cajou entre autres  seront picorées et il sera question de se rendre au restaurant)

 

Le comique de mots est  à l’œuvre dans toute la pièce mais de façon assez mécanique. Les répétitions des  propos des uns puis des autres rend la chose un peu fastidieuse mais le comique  passe aussi par cette mécanisation de ce qui, par définition, est tout sauf  mécanique : le langage et par extension les conversations.

Les échanges sont assez rapides, truculents et cette efficacité accentue  l’absurdité du fond : un tableau blanc avec des liserés blancs vendu et  donc acheté deux cent mille francs.

 

Le comique de  caractère : trois hommes incarnent trois personnalités très  différentes.

Marcest sans doute la figure la plus intéressante. Il incarne la  science, la rigueur, la rationalité mais aussi l’absence d’imagination. La toile  qui est exposée chez lui témoigne de ce souci de la concrétude des choses :  le tableau est un paysage, qui dévoile peut-être une forme de misanthropie et  appartient au genre figuratif ; pour apprécier la toile, Marc a besoin de  voir ce qu’elle représente. Sa dépendance aux pilules, fussent-elles des gélules  d’homéopathie, montre qu’il est nerveux, anxieux. Il n’y a chez lui aucun  laisser-aller ; il se prend très au sérieux et tout lui tient à cœur au  point qu’il en devient tyrannique (car que lui importe finalement que son ami  ait acquis une toile aussi onéreuse). Plus encore, il est fondamentalement  jaloux de cette œuvre et de l’importance qu’elle a prise dans la vie de son ami  Serge. L’œuvre l’a remplacé aux yeux de ce dernier et voyant que Serge prend une  forme d’indépendance en matière de goût, d’initiative, de choix de vie Marc  s’agace tant il croyait incarner pour lui un modèle, une référence indépassable.  Il y a finalement chez lui quelque chose de très enfantin, de puéril dans l’idée  de ne pas supporter qu’un ami cesse de vous prendre pour le centre du monde.  L’image de Serge renvoie à Marc est celle d’un autre remplaçable, substituable,  donc non nécessaire. C’est cette vision qui l’afflige plus que le tableau  lui-même. Marc fait rire dans son rigorisme mais la fragilité que l’on ressent à  la fin de la pièce nous le rend plus sympathique et partant moins drôle :  le spectateur est pris de pitié pour cet homme qui crie de façon maladroite sa  peur de l’abandon.

Sergen’est pas à proprement parler un personnage comique : vexé  quand Marc se moque de son achat, donc de lui, il fait preuve d’un peu  d’arrogance, d’assurance mais se révèle finalement assez sympathique :  cette position médiane (entre l’antipathie et la sympathie) fait que ce n’est  pas lui qui cristallise le comique dans la pièce.

Yvanincarne un comique populaire : il est un valet là où les deux  autres sont des bourgeois. Sa lâcheté en fait un être risible d’autant plus  comique qu’il semble ne pas avoir de consistance. C’est Sganarelle dans Dom  Juan. Il vit dans l’ombre de ses amis mais tient à leur amitié en ce  qu’elle est valorisante et eux tiennent à lui parce qu’il amuse ; sa  légèreté cache en fait un sentiment d’infériorité et une peur de la solitude. Sa  tirade dit beaucoup du personnage : pour se faire entendre de ses deux  amis, il lui faut se mettre en scène parce qu’il est un homme de peu de poids.  Son retard est par ailleurs impardonnable aux yeux des deux autres ; aussi  le récit de ses mésaventures peut-il contribuer à attirer leur  bienveillance.

 

Le rire des  personnages :

Le rire de Marc est clairement un rire de supériorité, ce qui lui  sera d’ailleurs reproché par Serge tandis que Serge et Yvan rient ensemble du  caractère farfelu de cette acquisition, de cette folie que Serge a faite, mais  qui ne porte pas à conséquence, sinon pour l’état de ses propres finances. Serge  s’est fait plaisir, a osé acquérir cette toile et Yvan rit de cela avec lui.  Marc, lui rira contre lui comme l’on rit d’un fou dont on n’a pas pitié et  auquel on se sent supérieur parce qu’on est plus raisonnable donc plus  intelligent que lui.

Le rire de Marc apparaît donc comme une sanction, alors que celui d’Yvan  constitue une forme d’encouragement, de complicité. C’est ce qui explique que  Serge ne rie pas avec l’un mais volontiers avec l’autre. Notons par ailleurs que  Marc et Yvan riront également ensemble de Serge. Les rapports de force  sont exemplifiés à travers ces façons de rire et les acteurs du rire eux-mêmes.  Yvan reste dans une position instable, voire intenable quand les deux autres  hommes sont réunis.

Les personnages ne rient plus à partir du moment où une solution est  trouvée : quand Serge donne à Marc un stylo (prétendument) indélébile afin  qu’il dessine quelque chose sur la toile blanche (c’est-à-dire qu’il tue en  quelque sorte son ennemi, la toile elle-même) alors le rire laisse place à  l’émotion. Serge donne à Marc une belle preuve d’amitié ; Marc parvient,  quant à lui, à voir quelque chose sur le tableau et à apprivoiser cet ennemi  contre lequel il se sentait impuissant. Le rire ne revient qu’à partir du moment  où le public sait que les bases qui renouvellent la relation amicale sont  bancales. C’est alors un rire noir, une sorte d’ironie tragique qui se  mettent en place : quoi que l’on fasse, l’amitié n’est jamais exempte de  rapports de force, de mensonges, de bassesses…C’est ce qui caractérisent les  rapports humains.

Source

 

Le bac de français

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Date de dernière mise à jour : 31/10/2018

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