Rhinocéros, Ionesco, le monologue final, étude

 

Dnbac commentaires

 

  • Rhinocéros, : Eugène Ionesco

  • le monologue final de Bérenger

  • Pièce jouée pour la première fois en 1958

 

Descriptif :

Ce corrigé fait 3 pages word, il comprend une introduction, un développement en deux parties avec des transitions ainsi qu'une conclusion avec une ouverture.

 

Lecture du texte :

  • Rhinocéros, Ionesco
  • Acte III, le monologue final de Bérenger

Bérenger, se regardant toujours dans la glace.

Ce n’est tout de même pas si vilain que ça un homme. Et pourtant, je ne suis pas parmi les plus beaux! (Il se retourne.) Daisy! Daisy! Où es-tu, Daisy? Tu ne vas pas faire ça! (Il se précipite vers la porte). Daisy! (Arrivé sur le palier, il se penche sur la balustrade.) Daisy! Remonte! Reviens, ma petite Daisy! Tu n’as même pas déjeuné! Daisy, ne me laisse pas tout seul! Qu’est-ce que tu m’avais promis! Daisy! Daisy! ((Il renonce à l’appeler, fait un geste désespéré et rentre dans sa chambre.) Evidemment. On ne s’entendait plus. Un ménage désuni. Ce n’était plus viable. Mais elle n’aurait pas du me quitter sans s’expliquer. (Il regarde partout.) Elle ne m’a pas laissé un mot. Ça ne se fait pas. Je suis tout à fait seul maintenant. (Il va fermer la porte à clé, soigneusement, mais avec colère.) On ne m’aura pas, moi. (Il ferme soigneusement les fenêtres.) Vous ne m’aurez pas, moi (Il s’adresse à toutes les têtes de rhinocéros.) Je ne vous suivrai pas, je ne vous comprends pas ! Je reste ce que je suis. Je suis un être humain. Un être humain. (Il va s’asseoir dans le fauteuil.) La situation est absolument intenable. C’est ma faute, si elle est partie. J’étais tout pour elle. Qu’est-ce qu’elle va devenir ? Encore quelqu’un sur la conscience. J’imagine le pire, le pire est possible. Pauvre enfant abandonnée dans cet univers de monstres ! Personne ne peut m’aider à la retrouver, personne, car il n’y a plus personne. (Nouveaux barrissements, courses éperdues, nuages de poussière.) Je ne veux pas les entendre. Je vais mettre du coton dans oreilles. (Il se met du coton dans les oreilles et se parle à lui-même dans la glace.) Il n’y a pas d’autre solutions que de les convaincre, les convaincre, de quoi ? Et les mutations sont-elles réversibles ? Hein, sont-elles réversibles ? Ce serait un travail d’Hercule, au dessus de mes forces. D’abord, pour les convaincre, il faut leur parler. Pour leur parler, il faut que j’apprenne leur langue. Ou qu’ils apprennent la mienne ? Mais quelle langue est-ce que je parle ? Quelle est ma langue ? Este du français, ça ?  Ce doit bien être du français ? Mais qu’est-ce du français ? On peut appeler ça du français, si on veut, personne ne peut le contester, je suis seul à le parler. Qu’et-ce que je dis ? Est-ce que je me comprends, est-ce que je me comprends ? (Il va vers le milieu de la chambre.) Et si, comme me l’avait di Daisy, si c’est eux qui ont raison ? (Il retourne vers la glace.) Un homme n’est pas laid, un homme n’est pas laid ! (Il se regarde en passant la main sur sa figure.) Quelle drôle de chose ! A quoi je ressemble alors ? A quoi ? (Il se précipite vers un placard, en sort des photos, qu’il regarde.) Des photos ! Qui sont-ils tous ces gens-là ? M. Papillon, ou Daisy plutôt ? Et celui-là, est-ce Botard ou Dudard, ou Jean ? Ou moi, peut-être ! (Il se précipite de nouveau vers le placard d’où il sort deux ou trois tableaux.) Oui, je me reconnais ; C’est moi, c’est moi. (Il va raccrocher les tableaux sur le mur du fond, à coté des têtes des rhinocéros.) C’est moi, c’est moi. (Lorsqu’il accroche les tableaux, on s’aperçoit que ceux-ci représentent un vieillard, une grosse femme, un autre homme. La laideur de ces portraits contraste avec les têtes des rhinocéros qui sont devenues très belles. Bérenger s’écarte pour contempler les tableaux.) Je ne suis pas beau, je ne suis pas beau. (Il décroche les tableaux, les jette par terre avec fureur, il va vers la glace.) Ce sont eux qui sont beaux. J’ai eu tort ! Oh !  Comme je voudrais être comme eux. Je n’ai pas de corne, hélas ! Que c’est laid, un front plat. Il m’en faudrait une ou deux, pour rehausser mes traits tombants. Ca viendra peut-être, et je n’aurai plus honte, je pourrai aller tous les retrouver. Mais ça ne pousse pas ! (Il regarde les paumes de ses mains.) Mes mains ont moites. Deviendront-elles rugueuses ? (Il enlève son veston, défait sa chemise, contemple sa poitrine dans la glace.) J’ai la peau flasque. Ah, ce corps trop blanc, et poilu ! Comme je voudrais avoir une peau dure et cette magnifique couleur d’un vert sombre, une nudité décente, sans poils, comme la leur ! (Il écoute les barrissements.) Leurs chants ont du charme, un peur âpre, mais un charme certain ! Sine pouvais faire comme eux. (Il essaye de les imiter.) Ahh, ahh, brr ! Non, ça n’est pas ça ! Essayons encore, plus fort ! Ahh, ahh, brr ! Non, non, ce n’es pas ça, que c’est faible, comme cela manque de vigueur ! Je n’arrive pas à barrir. Je hurle seulement. Ahh, ahh, brr ! Les hurlements ne sont pas des barrissements : Comme j’ai mauvaise conscience, j’aurais du les suivre à temps. Trop tard maintenant ! Hélas, je suis un monstre, je suis un monstre. Hélas, jamais je ne deviendrai rhinocéros, jamais, jamais !  Je ne peux plus changer. Je voudrais bien, je voudrais tellement, mais je ne peux pas. Je ne peux plus me voir. J’ai trop honte ! (Il tourne le dos à la glace.) Comme je suis laid ! Malheur à celui qui veut conserver son originalité ! (Il a un brusque sursaut.) Eh bien tant pis ! Je me défendrai contre tout le monde ! Ma carabine, ma carabine ! (Il se retourne face au mur du fond où sont fixées les têtes des rhinocéros, tout en criant) Contre tout le monde, je me défendrai ! Je suis le dernier homme, je le renterai jusqu’au bout! Je ne capitule pas!

 

COMMENTAIRE

Sujet :

Vous ferez le commentaire de cet extrait de Rhinocéros de Ionesco, vous pouvez étudier le rôle de la parole impuissante et disloquée pour illustrer l’absurde au niveau du langage, puis la portée philosophique du texte.

 

Plan proposé de l'étude :

  • I - L'absurde au niveau du langage : l'enfermement de l'homme dans la parole
  • 1 - L'impuissance de la parole
  • 2 - Le malaise dans la communication des personnages
  • Transition
  • II - La portée philosophique du monologue
  • 1 - La portée existentielle
  • 2 - La loi de la majorité
  • Conclusion avec ouverture

 

INTRODUCTION

Dans le cadre de notre étude, nous verrons le monologue final de Bérenger. Ce passage est extrait de Rhinocéros de Ionesco, auteur dramaturge du Xxème siècle dont la thématique essentielle et dominante est l'absurde qui se manifeste à différents niveaux dans toute son oeuvre. Parmi les plus représentatives de ses tendances littéraires théâtrales “absurdes”, nous citerons, la cantatrice chauve et rhinocéros. Nous savons que le théâtre de l'absurde, terme qui nous vient de l'écrivain Martin Esslin en 1962, est un genre apparu dans les années 1940 qui a pour caractérique essentielle de rompre avec le genre classique comme le drame par exemple, ou encore la comédie. Le thème majeur est celui de l'absurdité de la vie et de la condition humaine en général qui conduit fatalement à la mort, autre concept au ressort absurde et à connotation existentielle. Concernant l'origine de cette pensée, nous pourrions dire qu'elle correspond à la chute de l'humanisme et qu'elle s situe aux alentours de la seconde guerre mondiale.

Le monologue final que nous nous proposons d'étudier a pour fonction de proposer un dénouement à la pièce de Ionesco.

Pour situer le cadre d'ensemble, nous dirons que le monologue prend forme au moment du départ de Dudart, personnage important de la pièce qui représente l'échec de l'intelligence face à la montée du totalitarisme envahissant. Dans le même temps, en opposition deux autres personnages de l'histoire échappent à cet état d'esprit totalitaire montant en rêvant d'amour et de bonheur à venir, il s'agit de Bérenger et de Daisy. Tous leurs efforts sont concentrés sur leur volonté de résistance face aux assauts des animaux pour sauver le monde en danger. Mais le départ de Daisy va ensuite marquer l'échec du sentiment d'amour face au totalitarisme triomphant. Bérenger se retrouve seul, il est en fait le dernier homme non transformé en rhinocéros et de fait il est le dernier espoir de sauver l'homme et le monde. Il se doit donc de défendre la cause humaine contre la montéé et l'invasion du rhinocérisme.

Dans le but de répondre à notre problématique :

 en quoi ce monologue est il absurde? Nous verrons dans un premier temps l'absurde au niveau du langage qui enferme l'homme dans la parole et en second lieu les implications et visées philosophiques de Ionesco, le sens profond du monologue.

 

I – L'absurde au niveau du langage : l'enfermement de l'homme dans la parole

1 – L'impuissance de la parole

Le paradoxe s'ouvre dans un premier temps sur la dislocation du langage. Bérender devient héros malgré lui mais il est confronté à l'impuissance du langage. L'absurde qui se situe au niveau du langage dépasse sa signification première, il connote l'absurde de la condition humaine qui, douée de parole, ne peut s'exprimer. L'homme aurait donc un langage disloqué voué au non-sens. Les mots échappent à l'homme, seul être doué de parole. Notre héros se laisse dominer par l'impuissance linguistique et émotive, ses émotions le submergent et dans le même temps que les mots, lui échappent au point que le monologue devient à lui seul, un non sens, une confusion. Pour traduire cet aspect de manière hyperbolique, Ionesco se sert d'une ponctuation abusive. Nous notons en effet un nombre important de points d'exclamation ainsi que des répétitions : “Crois moi Daisy! Daisy! Daisy...” Les points d'interrogation soulignent également l'étrange confusion du monologue, on peut à cet égard citer : “ Daisy, où es tu Daisy? Tu ne vas pas faire ça Daisy?” ou encore : “ Quelle est ma langue? Est-ce du français? “ Les phrases nominales renforcent encore de manière paroxystique l'impuissance du langage : “un ménage désuni”.

2 – Le malaise dans la communication des personnages

Le langage extrêmement confus rend le monologue étrange et incompréhensible et la communication entre les personnages impossible. Nous sommes dans le non-sens qui au niveau plus philosophique pourrait traduire le mal existentiel profond de Bérenger sombrant dans la plus parfaite et irréversible solitude. Sa parole, centrée sur elle-même nous renvoie au malaise du personnage qui se doit de prendre conscience et accéder à la lucidité de son état critique : il est le seul homme à ne pas s'être métamorphosé en rhinocéros, perdu au mileu d'une humanité transformée et victime de rhinocérite aigue. Il est donc porteur d'une humanité a priori perdue qu'il doit sauver en se prouvant qu'il est encore humain. Son recours : le langage, or le langage ne fonctionne plus, il ne remplit plus ses fonctions premières et l'absurde est à son paroxysme : «il n’y a pas d’autre solution que de les convaincre». Les rhinocéros n'entendent pas le langage des hommes, ils sont dépourvus de réflexion et de parole, c'est pourquoi, notre héros décide d'entrer en communication avec les animaux en barrissant. Il va parler «leur langue». En vain, l'échange attendu ne trouve pas de répondant. Il se retrouve seul face à lui même.

Transition

Nous sommes à ce niveau de notre étude confrontés aux thèmatiques inhérentes au théâtre de l'absurde qui trouvent leur expression la plus grande dans le non sens. La communication et donc l'intersubjectivité sont interdites à l'homme enfermé en lui-même.

 

II/ Le sens philosophique du monologue

1 - La portée existentielle

La question est celle de l'inversion des valeurs. L'absurde pousse Bérenger à vouloir faire en sorte que les rhinocéros redeviennent humains. Il tente de changer l'ordre des choses, ce qui n'est pas sans rappeler les interrogations philosophiques de nos penseurs qui déjà estimaient qu'il fallait mieux changer l'ordre de ses désirs plutôt que l'ordre du monde ( Descartes). Les connotations existentielles sont lourdes, l'angoisse est réelle et se traduit dans cette tentative désespérée. Il y va de la survie du peu d'humanité qu'il porte encore en lui, c'est une obligation morale d'humaniser les hommes devenus “animaux”. La question de l'autre est ainsi abordée dans ce qu'elle a de plus inaccessible, l'autre pourtant un autre moi- même, mon alter ego est perçu comme intouchable, fermé sur lui-même, je suis étranger à l'autre et je ressens pourtant une certaine proximité. Ma conscience qui m'ouvre à autrui est aussi celle qui me ferme sur moi-même et me fait me sentir seul et étranger. Nous trouvons la traduction de ce questionnement philosophique dans l'image du miroir. En effet, Bérenger cherche toujours à refléter son image dans le miroir car son image n'est plus réfléchie dans le regard des autres, cet autre moi-même. «Quelle drôle de chose ! Mais à quoi je ressemble alors?» Son identité semble perdue car aucun homme ne peut plus la refléter.

2 - La loi de la majorité

La question des valeurs et des repères devient dramatique, voire tragique pour Bérenger cherchant toujours son reflet. Mais le symbolisme du miroir nous fait comprendre que la loi dont il est ici question est celle de la majorité. La solitude est si pesante qu'un nouveau glissement des valeurs s'opère, Bérenger ne sait plus ce qu'est un homme et à plus forte raison, qui il est lui-même : «un homme n’est pas laid». Il regrette ainsi de n'être pas lui aussi métamorphosé en rhinocéros » ce sont eux qui sont beaux. J’ai eu tord! Oh! Comme je voudrais être comme eux». Le rhinocérisme est gagnant ce qui illustre le totalitarisme triomphant.

 

CONCLUSION

Notre héros est en fait à la lecture de ce passage essentiel de la pièce, un anti-héros. Le renversement des valeurs au niveau esthétique est très net, il s'agit de ranger au côté de la majorité, être beau c'est être transformé en rhinocéros. Le danger d'une majorité mal éclairée est ici à l'honneur et objet de critique de Ionesco. Ce combat pour l'humanité agonisante à l'image d'un monde en plein déclin illustre l'absurde de l'homme trahi par le conformisme et condamné à un mal existentiel profond.

 

Date de dernière mise à jour : 16/05/2019

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