L'Assommoir, Zola, un roman naturaliste

 

 

 

 

 

 

Affiche d’une adaptation théâtrale américaine de 1879 de L'Assommoir par Augustin Daly.

 
 

Naturalisme de Zola : réalités, symboles et critique sociale

 

Objet d'étude

 « Le roman et la nouvelle au XIXe siècle : réalisme et naturalisme »

Problématique et objectifs

A travers des textes représentatifs de l'écriture naturaliste du romancier, il s'agit d'étudier comment l'écrivain opère la transfiguration d'une réalité particulière en symboles, le plus souvent porteurs d'une critique sociale. critique de la société corrompue du second Empire.

 
 
L'assommoir de Zola
 
L'Assommoir est un roman d'Émile Zola publié en 1876, septième volume de la série Les Rougon-Macquart. C'est un ouvrage totalement consacré au monde ouvrier et, selon Zola, « le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l'odeur du peuple ». L'écrivain y restitue la langue et les mœurs des ouvriers, tout en décrivant les ravages causés par la misère et l'alcoolisme. À sa parution, l'ouvrage suscite de vives polémiques car il est jugé trop cru. Mais c'est ce réalisme qui, cependant, provoque son succès, assurant à l'auteur fortune et célébrité.
 

Le titre

Le sujet principal traité par le livre est le malheur causé par l'alcoolisme. Dans le roman, un des principaux lieux de débauche est l'Assommoir, débit de boissons tenu par le père Colombe. Le nom du marchand de vin est ironique, la colombe étant symbole de paix alors que le cafetier et ses boissons apportent la violence et le malheur chez ses clients. Au milieu du café, trône le fameux alambic, sorte de machine infernale dont le produit, un alcool frelaté, assomme ceux qui en boivent. Au fil du roman, l'alambic devient le monstre dévorant ses victimes. C'est cette machine qui va chaque fois enlever un peu plus de bonheur à Gervaise. D'abord Lantier, puis Coupeau, et enfin elle-même qui, ruinée, devra vendre son commerce - sa réussite - puis sombrera dans la misère pour finalement mourir de faim. « Gervaise est représentative de toute une classe sociale dont Zola brosse le portrait littéraire et scientifique. Le monde ouvrier que donne à voir Zola est un monde de misère si réaliste que l’on croirait pouvoir le toucher du bout des doigts. ».

La place de l'Assommoir dans les Rougon Macquart

L'Assommoir est le septième roman de la fresque Les Rougon-Macquart.Ce roman à scandale est le premier qui traite la condition ouvrière au 19ième siècle.Le personnage principal Gervaise est la fille d’Antoine Macquart et de Joséphine Gavaudan. Elle est la sœur de Jean et Lisa Macquart. Cependant, ces informations ne peuvent être connues par la seule lecture du roman, mais par l'arbre généalogique publié par Zola et par le premier roman de la série, La Fortune des Rougon. Dans celui-ci, on trouve, entre autres, des explications sur l'infirmité de Gervaise (alcoolisme d'Antoine Macquart et violence vis-à-vis de sa femme, enceinte de Gervaise), ainsi qu'un début de description du penchant de Gervaise pour l'alcool, buvant de l'anisette avec sa mère. L'action de L'Assommoir commence après que Lantier a emmené Gervaise et leurs enfants à Paris. Très peu de passages mentionnent la vie de Gervaise en province, à Plassans, et pratiquement rien n'est dit de sa famille, si ce n'est qu'elle aurait une sœur charcutière à Paris, Lisa Macquart, qui est un personnage important dans Le Ventre de Paris.

Les thèmes principaux

Dans L'Assommoir, Zola décrit la vie de la classe ouvrière, au jour le jour, dans un grand souci de vérité. Le réalisme du tableau donne toute sa force à la dénonciation de la misère du peuple. Pour Zola, « C’est de la connaissance seule de la vérité que pourra naître un état social meilleur ». Les ravages de l’alcoolisme sont au cœur du récit, thème que Zola s’attache à creuser, noircissant même sans doute la réalité L’auteur dépeint la diversité du monde ouvrier : diversité des métiers, diversité des types d’ouvriers. Repasseuses, blanchisseuses, cardeuses, chaînistes, boulonniers, zingueurs, serruriers apparaissent, entre autres, dans le quartier de la Goutte d’Or, et parmi eux de bons ouvriers (Goujet), de beaux parleurs, profiteurs (Lantier), des alcooliques (Coupeau, Bibi-la-Grillade), de vieux ouvriers abandonnés (le père Bru). Leur travail présente diverses facettes, et toutes ne sont pas noires : certes le linge que nettoient Gervaise et ses ouvrières porte une crasse sordide, certes la machine à forger les boulons prendra la place des forgerons, mais il n’en demeure pas moins que Gervaise est heureuse dans sa boutique et que Goujet manie le marteau avec noblesse. Zola montre des ouvriers fiers de leur ouvrage mais il dénonce l’impasse sociale dans laquelle ils se trouvent. Parmi les scènes de misère, un des sommets est atteint avec le martyre des enfants Bijard : le père, ivrogne, tue sa femme d’un coup de pied au ventre ; Lalie, leur fille aînée, élève son frère et sa sœur ; malade, elle meurt des sévices infligés par son père.

 

Questions sur Zola :

  • Qui est Zola?

Émile Zola est un écrivain et journaliste français

  • Quelles sont ses dates?

né à Paris le 2 avril 1840 et mort dans la même ville le 29 septembre 1902

  • De quel courant littéraire est-il le représentant?

Considéré comme le chef de file du naturalisme, c’est l'un des romanciers français les plus

  • Citez trois de ses œuvres

Germinal, Nana, L’Assommoir

  • Quelle est son œuvre majeure? Que pouvez-vous en dire?

Sur le plan littéraire, il est principalement connu pour Les Rougon-Macquart, fresque romanesque en vingt volumes dépeignant la société française sous le Second Empire et qui met en scène la trajectoire de la famille des Rougon-Macquart, à travers ses différentes générations et dont chacun des représentants d'une époque et d'une génération particulière fait l'objet d'un roman.

  • Quel engagement a marqué la fin de sa vie?

Les dernières années de sa vie sont marquées par son engagement dans l'affaire Dreyfus avec la publication en janvier 1898, dans le quotidien L'Aurore, de l'article intitulé « J'accuse » qui lui a valu un procès pour diffamation et un exil à Londres dans la même année.

Ce qu’il faut savoir :

Émile Zola (1840-1902)

D'abord journaliste (donc familier des enquêtes de terrain et des techniques de documentation journalistiques).

Premier roman : Thérèse Raquin (1867), 1er succès : L’Assommoir (1877), son plus grand triomphe : Germinal (1885).

Chef de file du Naturalisme que l'on définira en introduction comme un prolongement du réalisme adossé à des théories scientifiques.

Écrivain engagé (notamment en faveur des idéaux du socialisme). Voir aussi la défense du capitaine Dreyfus, injustement accusé de trahison, avec l'article « J'accuse » (1898).

 

 

Questions sur le naturalisme:

Recherches :

 

  • Donnez une définition du naturalisme
  • Donnez une définition du réalisme
  • Justifiez votre analyse en proposant des exemples d’œuvres littéraires pour les deux genres

 

Expliquez la notion d'hérédité et de déterminisme de milieu, déterminisme social

Déterminisme:

tout phénomène dépend d'un ensemble de conditions antérieures: les mêmes causes produisent les mêmes effets. On peut prévoir les effets.

Ex:

Un fils d'ouvrier sera fatalement ouvrier

Hérédité:

prédisposition

  • Avons-nous un héros ordinaire dans Germinal par exemple?

Oui; Un héros issu de la classe ouvrière.

Les réalistes et naturalistes présentent toujours des héros ordinaires.

  • Le naturalisme a t'-il représenté une école littéraire?

Oui, avec les frères Goncourt et Zola, Thérèse Raquin puis les Rougon Macquart

  • Quels sont les genres réalistes et naturalistes?

Ex: Zola; Rougon Macquart. Zola raconte les épopées familiales empreintes de social et d'histoire.

  • A quel mouvement littéraire s'oppose t'-il?

Au romantisme car il éloigne de la réalité. Ex: Flaubert, Mme Bovary

  • Quelle est la source d'inspiration des naturalistes et réalistes?

La vie réelle

  • Le descriptif a t'-il de l'importance?

Oui car il permet de décrire la réalité. Un roman naturaliste ou réaliste n'est pas esthétique. Il se contente de décrire et de rendre compte de la réalité.

 

Fiche bilan « Réalisme / Naturalisme »

On dira simplement que le Réalisme, en tant que mouvement littéraire, traduit la volonté des certains romanciers de donner la représentation la plus fidèle possible du monde réel. Cette esthétique romanesque apparaît après le Romantisme, essentiellement dans la seconde moitié du XIXe siècle (avec des auteurs comme Balzac et Flaubert), et s'élève contre ses excès (primauté du « je », idéalisation du réel, …) : pour le romancier réaliste, tout élément du réel, même le plus sordide, est digne de figurer dans le roman.

En résumé, le réalisme se caractérise par une volonté de représenter dans un texte littéraire la réalité dans toutes ses dimensions : humaine, psychologique, sociale, naturelle... Le réalisme s'établit autour des principes suivants:

Le romancier doit représenter le réel, tout le réel (même le plus insignifiant ou le plus repoussant), et uniquement que le réel, en fuyant notamment toute idéalisation romanesque.

Le romancier réaliste se doit d'être objectif (comme il propose une « copie » du réel, il ne doit, en théorie, pas y avoir de place pour la subjectivité).

Son œuvre doit s'appuyer sur une recherche documentaire la plus exhaustive possible.

La science est prise comme un modèle méthodologique à suivre (rigueur et objectivité) : positivisme scientifique (c'est l'idée que la science est seule capable de permettre la connaissance du monde et de le développement du progrès humain).

L'écriture réaliste utilise certains procédés aptes à créer l'illusion du réel.

Le Naturalisme peut se définir simplement comme un prolongement du Réalisme à la fin du XIXe siècle

. C'est une forme de réalisme avec des prétentions scientifiques très marquées. Il s'agit avant tout d'une méthode et non pas d'un style, ce qui explique que l'on retrouvera fréquemment les procédés réalistes que nous connaissons déjà. Plusieurs caractéristiques sont importantes :

La documentation prend une place prépondérante : souvent, la romancier naturaliste procède à des enquêtes sociologiques approfondies avant de rédiger son roman (p. ex. Zola avec ses très épais dossiers préparatoires)

Le naturalisme s'inspire des théories du philosophe Taine pour qui l'homme est conditionné par trois facteurs : la race, le milieu et le moment. On parlera de déterminismes biologiques (hérédité / « la race ») et de déterminismes sociaux et historiques (le « milieu » et le « moment »).

La naturalisme emprunte aussi ses idées à Claude Bernard et à la biologie : le romancier n'est plus seulement un « observateur », mais devient un véritable « expérimentateur » chargé, à la manière d'un scientifique, de formuler et de vérifier des lois concernant les comportements humains, les tempéraments, la société, ...

Source

 

Zola, l’Assommoir

Le naturalisme

L'alambic (chapitre II)

Et elle se leva. Coupeau, qui approuvait vivement ses souhaits, était déjà debout, s'inquiétant de l'heure. Mais ils ne sortirent pas tout de suite ; elle eut la curiosité d'aller regarder, au fond, derrière la barrière de chêne, le grand alambic de cuivre rouge, qui fonctionnait sous le vitrage clair de la petite cour ; et le zingueur qui l'avait suivie, lui expliqua comment ça marchait, indiquant du doigt les différentes pièces de l'appareil, montrant l'énorme cornue d'où tombait un filet limpide d'alcool. L'alambic, avec ses récipients de forme étrange, ses enroulements sans fin de tuyaux, gardait une mine sombre ; pas une fumée ne s'échappait ; à peine entendait-on un souffle intérieur, un ronflement souterrain ; c'était comme une besogne de nuit faite en plein jour, par un travailleur morne, puissant et muet. Cependant, Mes-Bottes, accompagné de ses deux camarades, était venu s'accouder sur la barrière, en attendant qu'un coin du comptoir fût libre. Il avait un rire de poulie mal graissée, hochant la tête, les yeux attendris, fixés sur la machine à soûler. Tonnerre de Dieu ! elle était bien gentille ! Il y avait, dans ce gros bedon de cuivre, de quoi se tenir le gosier au frais pendant huit jours. Lui, aurait voulu qu'on lui soudât le bout du serpentin entre les dents, pour sentir le vitriol encore chaud l'emplir, lui descendre jusqu'aux talons, toujours, toujours, comme un petit ruisseau. Dame ! il ne se serait plus dérangé, ça aurait joliment remplacé les dés à coudre de ce rousin de père Colombe ! Et les camarades ricanaient, disaient que cet animal de Mes-Bottes avait un fichu grelot, tout de même. L'alambic, sourdement, sans une flamme, sans une gaieté dans les reflets éteints de ses cuivres, continuait, laissait couler sa sueur d'alcool, pareil à une source lente et entêtée, qui à la longue devait envahir la salle, se répandre sur les boulevards extérieurs, inonder le trou immense de Paris. Alors, Gervaise, prise d'un frisson, recula ; et elle tâchait de sourire, en murmurant :
" C'est bête, ça me fait froid, cette machine... la boisson me fait froid... " 

Initiation au commentaire littéraire

L’Alambic : L'Assommoir

Gervaise a rencontré Coupeau alors qu’elle est abandonnée avec ses deux enfants par Auguste Lantier, son compagnon. Coupeau est un ouvrier Zingueur qui travaille dans un cabaret, « l’Assommoir » dans le quartier de la Goutte d’or. 

Dans cet extrait du chapitre II, ils prennent une " prune " à l'eau-de-vie. Tous deux ont souffert jadis de l'alcoolisme : le père de Gervaise battait sa mère, quand il avait trop bu. Le père de Coupeau est tombé d'un toit, alors qu'il était ivre. Pourtant, Gervaise éprouve une étrange fascination pour l'alambic du père Colombe qu'elle veut voir.

I -  Une scène naturaliste

Peinture réaliste d’une scène de cabaret : un portrait réaliste

- Scène de rencontre : Gervaise, blanchisseuse et Coupeau, zingueur. 

Zola nous fait le portrait d’un ivrogne type qui est accompagné de ses camarades de beuverie. La scène est reconstituée du point de vue de leurs gestes jusque dans leur langage.

Les gestes sont décrits avec minutie et un grand sens de l’observation : nous pouvons citer les expressions relatives à la posture empruntée et l’attitude générale :

" était venu s'accouder ", " rire de poulie mal graissée " " hochant la tête ", " les yeux attendris ", "les camarades ricanaient " .

Le langage repose sur des termes d’argot et des jurons, le tout donne au lecteur l’exacte réalité transcrite de la scène avec un accent mis sur les effets de réel.

juron (" Tonnerre de Dieu ! "), termes d'argot : " le vitriol " (= l'eau-de-vie), " les dés à coudre " (= les petits verres), " ce roussin de père Colombe " " un fichu grelot " (= un fameux bavard). Le lecteur a l’impression d’assister à la scène. 

L’esthétique réaliste : la description de l’alambic

L’esthétique réaliste se retrouve aussi dans la description du mécanisme de l’alambic.

Le fonctionnement est donné dans les détails et expliqué par Coupeau : " et le zingueur [...] lui expliqua comment ça marchait, indiquant du doigt les différentes pièces "

Coupeau montre ainsi : " l'énorme cornue ", " un filet limpide d'alcool ", " ses récipients ", les " enroulements sans fin de tuyaux « 

II - Une focalisation interne

L’alambic devient l’objet de tous les regards. 

Le regard de Gervaise

" elle eut la curiosité d'aller regarder, au fond, derrière la barrière de chêne, le grand alambic " : la curiosité est d’abord ce qui la motive, l’alambic reste malgré tout une sorte d’objet tabou toujours plus ou moins caché, « au fond, derrière ». L’alambic connote le déterminisme héréditaire, biologique de Gervaise : son alcoolisme. Il fait donc référence au passé.  Nous ressentons la peur diffuse de Gervaise sans doute mise en avant par les explications de Coupeau sur la couleur de l’alambic « cuivre rouge » tel le sang, « forme étrange », « mine sombre », « puissant et muet ». On voit que l’alambic est personnifié, la machine s’humanise pour s’apparenter à un travailleur »morne, puissant, muet ».  Gervaise ressent de la peur puis de la terreur : il y a une gradation « Gervaise prise d’un frisson, recula ». 

Le regard de Coupeau

Coupeau se fait ensuite le guide, il s’attarde devant la machine, succédant à Gervaise. « le zingueur… lui expliqua »

Le regard de Mes-Bottes

Il symbolise le regard de l’ivrogne obnubilé par l’alambic

" yeux attendris [...] elle était bien gentille ! " ainsi que le suggèrent les termes mélioratifs. 

" Il y avait, dans ce gros bedon de cuivre » «  filet limpide d’alcool » = Effet bienveillant de l’alambic qui éveille très vite chez Mes-Bottes le désir de s’enivrer : « aurait voulu qu'on lui soudât le bout du serpentin entre les dents "

III - De l’observation de la réalité, esthétique naturaliste au symbolisme quasi fantastique

Gradation : machine - monstre sinistre : Gervaise croit voir et entendre un monstre infernal  :  " enroulements sans fin de tuyaux ", " ronflement souterrain ", " besogne de nuit faite en plein jour ", " sourdement, sans une flamme "

L’image du feu domine, il connote le passé alcoolique de Gervaise comme une menace toujours présente. Zola évoque en outre le risque d’un alcoolisme propre au monde des ouvriers qui risque de s’étendre dans toute la capitale. 

La symbolique de l’alambic :

Alambic = le destin des deux  héros.  Puissance du déterminisme biologique sur la vie des personnages.  Dans l’Assommoir, l’alambic est la référence essentielle, le mythe narratif inventé par Zola tout comme la mine domine dans Germinal. 

 

Zola, l'assommoir, l'incipit romanesque et naturaliste

le texte :

Gervaise avait attendu Lantier jusqu'à deux heures du matin. Puis, toute frissonnante d'être restée en camisole à l'air vif de la fenêtre, elle s'était assoupie, jetée en travers du lit, fiévreuse, les joues trempées de larmes. Depuis huit jours, au sortir du Veau à deux têtes, où ils mangeaient, il l'envoyait se coucher avec les enfants et ne reparaissait que tard dans la nuit, en racontant qu'il cherchait du travail. Ce soir-là, pendant qu'elle guettait son retour, elle croyait l'avoir vu entrer au bal du Grand-Balcon, dont les dix fenêtres flambantes éclairaient d'une nappe d'incendie la coulée noire des boulevards extérieurs ; et, derrière lui, elle avait aperçu la petite Adèle, une brunisseuse qui dînait à leur restaurant, marchant à cinq ou six pas, les mains ballantes comme si elle venait de lui quitter le bras pour ne pas passer ensemble sous la clarté crue des globes de la porte.

Quand Gervaise s'éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lantier n'était pas rentré. Pour la première fois, il découchait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. Et, lentement, de ses yeux voilés de larmes, elle faisait le tour de la misérable chambre garnie, meublée d'une commode de noyer dont un tiroir manquait, de trois chaises de paille et d'une petite table graisseuse, sur laquelle traînait un pot à eau ébréché. On avait ajouté, pour les enfants, un lit de fer qui barrait la commode et emplissait les deux tiers de la pièce. La malle de Gervaise et de Lantier, grande ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d'homme tout au fond, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales ; tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient un châle troué, un pantalon mangé par la boue, les dernières nippes dont les marchands d'habits ne voulaient pas. Au milieu de la cheminée, entre deux flambeaux de zinc dépareillés, il y avait un paquet de reconnaissances du mont-de-piété, d'un rose tendre. C'était la belle chambre de l'hôtel, la chambre du premier, qui donnait sur le boulevard.

Cependant, couchés côte à côte sur le même oreiller, les deux enfants dormaient. Claude, qui avait huit ans, ses petites mains rejetées hors de la couverture, respirait d'une haleine lente, tandis qu'Étienne, âgé de quatre ans seulement, souriait, un bras passé au cou de son frère. Lorsque le regard noyé de leur mère s'arrêta sur eux, elle eut une nouvelle crise de sanglots, elle tamponna un mouchoir sur sa bouche, pour étouffer les légers cris qui lui échappaient. Et, pieds nus, sans songer à remettre ses savates tombées, elle retourna s'accouder à la fenêtre, elle reprit son attente de la nuit, interrogeant les trottoirs au loin.

Commentaire:

Introduction

  • Incipit : l’ouverture de L’Assommoir
  • Début de roman avec ce que cela suppose
  • informations et les repères nécessaires au lecteur
  • On peut donc se poser la question de savoir comment Zola met en avant les règles pour respecter l'incipit romanesque
  • Caractéristique du roman naturaliste où le narrateur s'efface et donne une impression de grande objectivité.
  • Importance de la description
  • Effacement du narrateur au profit du personnage ainsi mis en avant qui respecte les règles et les exigences de l'incipit naturaliste en laissant une très grande importance au symbolisme.
  • - Annoncer le plan en deux parties.

Plan :

I. L’incipit romanesque

II - l'incipit naturaliste

Conclusion :

On a donc une confrontation du personnage qui est déjà annonciatrice des thèmes à venir du roman. On voit dans le douzième chapitre, qu'elle va se prostituer devant l'hôtel Boncoeur. On peut ainsi affirmer que l'incipit présente une structure circulaire. L'espace suggéré est donc fermé, clos insistant de cette manière sur l'idée d'enfermement du personnage. La connotation est ici existentielle, elle laisse transparaître l'irréversibilité d'une situation sans issue et d'une mort inhumaine, misérable.

I - L'incipit romanesque

L'incipit de l'assommoir commence par l'évocation de l'héroine par son prénom "Gervaise".

Nous comprenons que c'est un effet volontaire de Zola pour attirer le lecteur sur ce personnage principal de manière assez familière.

Puis Lantier est ensuite nommé, un peu plus loin, ce qui autorise le lecteur à avoir un contact assez rapide et familier avec ces deux personnages. L'univers est déjà posé et ces deux protagonistes se dévoilent et nous comprenons qu'ils sont importants dans l'histoire

On comprend que l'action a déjà commencé car il y a usage du plus que parfait comme marque de l'antériorité

nous avons une Gervaise abandonnée par Lantier qui n'est pas rentré, "aux joues rouges", fiévreuse donc, voire même désespérée et très seule. Femme au foyer.

Lantier est son amant et ils vivent en ville, à Paris et de leur milieu social nous découvrons que Gervaise est ouvrière grâce à la précision suivante : " brunisseuse" : ouvrière qui polit le métal. On est donc dans le monde ouvrier. La réalité est accentuée par le réalisme très précis du quartier de Gervaise : " Hôtel boncoeur ", " le grand balcon ", " le Veau à deux têtes ", " Mont de Piété " : tous ces noms donnent une impression de réel.

Les enfants sont présents, la scène les décrivant est touchante. De l'ensemble des détails donnés par le narrateur toujours objectif nous avons une scène d'ensemble assez pathétique ainsi qu'une situation initiale ouverte au schéma narratif.

II, un incipit naturaliste

- Narrateur effacé au profit de Gervaise

- champ lexical de la vue qui traduit son angoisse. Elle attend de façon désespérée Lantier, jusqu'à 2 h du matin, "guettait", "avoir vu", "regarder", "yeux".

La focalisation est interne ce qui renforce la délégation de point de vue de la part de Zola, en effet Gervaise est centrée du regard sur l'intérieur de sa chambre : focalisation interne.

L'aspect réaliste est ainsi renforcé. Le récit est ainsi ancré dans le réel ainsi que le suggère l'expression : "elle croyait l'avoir vu".

Son sentiment d'abandon est si extrême que les larmes l'envahissent et la submergent, elle éclate en sanglots. Sa solitude est encore renforcée par le fait qu'elle se retrouve sans un ami, esseulée sur Paris. Nous avons la description d'une famille ouvrière sous le second empire, l'histoire est donc bien réelle. Elle est sociale.

Le réalisme est présent et accentué par le retour en arrière : le passé de Gervaise, garantie pour le lecteur. Nous avons une allusion à Paris avec " le Grand balcon", balcon célèbre qui a existé dans le quartier de Paris avant 1860. A cette époque les masses populaires se voyaient repoussées vers la périphérie de Paris.

Le réalisme est aussi accentué par la description de la chambre, misérable, déjà meublée très modestement avec une simple commode, une table, un lit de fer et une malle. La précarité transparaît par l'intermédiaire du champ lexical "table où le pot à eau ébréché traînait", "un tiroir manquait", "un chapeau d'homme enfuit sous des chaussettes sales". Il y a aussi un certain laisser aller : On voit Gervaise en chemise et en savates. La misère est présente, "châle troué, "les dernières nippes".

Nous avons une description très réaliste de la manière dont vivaient les ouvriers à l'époque de Zola avec l'idée d'hérédité propre au naturalisme. Les héros sont ordinaires et ils incarnent une réalité historique et sociale, celle du monde ouvrier qui n'a jamais échappé aux règles de l'hérédité

 

Réflexion problématisée :

« Le naturalisme de Zola se limite-t-il à la reproduction fidèle de la réalité de son temps et au respect d'une méthodologie empruntée aux sciences ? »

Objectif 

: Opérer un bilan sous la forme d'une réflexion problématisée qui permet d'initier les élèves au raisonnement dialectique, première approche de la démarche qui sera mise en œuvre dans l'exercice de la dissertation qu'on abordera plus tard dans l'année.

Activités 

: Élaboration d'un plan dialectique en commun avec recherche d'exemples dans les textes étudiés en lecture analytique et dans les textes théoriques complémentaires.

I – Zola cherche à reproduire fidèlement la réalité de son temps en s'inspirant des méthodes scientifiques du XIXe

a – La reproduction fidèle de la réalité du second Empire

Le romancier naturaliste est un « observateur » Importance de la documentation (cf. document 1).

Exploration de la réalité sociale du second Empire

 :  l'univers de la mine et des ouvriers

Tous les milieux et toutes les classes sociales sont représentés (aristocrates, bourgeois, courtisanes, ouvriers, militaires, …).

b – Les procédés réalistes mis en œuvre par Zola

Choix des sujets et des personnages :

intrigues et personnages communs puisés directement dans la réalité (une courtisane, des ouvriers, ...)

Abondance et précision des détails dans la description

 : p. ex. détails anatomiques dans la description de Nana , précision des chiffres dans la description du puits de la mine dans Germinal par exemple

Ancrage référentiel

 : p. ex. mention de lieux réels et allusion à des événements historiques

Usage d'un lexique spécialisé et souvent technique à même de décrire précisément la réalité : p. ex. celui de la mine 

Descriptions visuelles mêlant des plans d'échelles différentes

(plans d'ensemble, plans rapprochés, gros plans, …) 

c – La méthode scientifique du romancier

La méthode naturaliste est influencée par les théories de Taine concernant les déterminismes

. Zola veut étudier les influences de l'hérédité, du milieu social et de la période historique

Les déterminismes prennent la forme d'une fatalité implacable à laquelle l'homme ne peut échapper

II – Mais son écriture naturaliste s'accompagne le plus souvent d'une transfiguration du réel en symboles porteurs d'une critique sociale.

a – Le recours à l'épique, au fantastique et à un imaginaire souvent monstrueux

Le plus souvent chez Zola, dépassement du réalisme par une transfiguration du réel :

Nana: Grandissement épique de Nana qui se transforme en une divinité vengeresse, capable d'enserrer Paris entre ses cuisses de neiges. Métamorphose de la courtisane en une mouche d'or surnaturelle, capable de contaminer tout le second Empire par sa pourriture.

Germinal : Personnification de la mine en monstre dévorateur qui engloutit les mineurs. Vision infernale et épique de la mine.

b – La dimension symbolique

Le réel transfiguré se change en symbole

Nana => symbole du peuple /  Nana = la « Mouche d'or » => symbolise le second Empire (apparence extérieure de beauté et de morale, mais pourriture à l'intérieur) / Nana => symbolise la force des pulsions animales présentes dans chaque homme.

les mineurs de Germinal => symbole de tous les ouvriers miséreux et exploités à la fin du XIXe / le « Voreux » = monstre dévorateur => symbole du Capital.

c – La critique sociale

Les symboles zoliens sont porteurs d'une critique sociale

 : critique du second Empire dénonciation du Capital et de l'exploitation des ouvriers

 

Zola, les Rougon-Macquart et le Second Empire

1 - Émile Zola (1840-1902)

D'abord journaliste (donc familier des enquêtes de terrain et des techniques de documentation journalistiques).

Premier roman : Thérèse Raquin (1867), 1er succès : L’Assommoir (1877), son plus grand triomphe : Germinal (1885).

Chef de file du Naturalisme que l'on définira en introduction comme un prolongement du réalisme adossé à des théories scientifiques.

Écrivain engagé (notamment en faveur des idéaux du socialisme). Voir aussi la défense du capitaine Dreyfus, injustement accusé de trahison, avec l'article « J'accuse » (1898).

2 – Les Rougon-Macquart

Cycle romanesque de Zola (20 romans) qui rappelle l'ambition de la Comédie humaine de Balzac.

Histoire d'une famille sur plusieurs générations pendant le second Empire. Famille frappée par une tare héréditaire.

Arbre généalogique (cerclés de jaune : les personnages et les œuvres étudiées dans la séquence)

 

3 – Le second Empire

1852 (coup d'état de décembre 1851) - 1870 (effondrement en septembre 1870 lors de la défaite de Sedan face aux Prussiens). Napoléon III.

Régime caractérisé par :

Le développement industriel et l'essor du capitalisme entraînant de profondes mutations sociales, économiques, urbaines, … : modification du paysage urbain de Paris (grands travaux d'Haussmann), apparition des grands magasins, des banques, essor de la Bourse, essor des chemins de fer, exploitation des ouvriers de plus en plus nombreux et misérables et débuts du syndicalisme,...

Le positivisme (foi inébranlable dans le Progrès et la science supposés capable d'améliorer la marche de l'humanité)

Ordre sévère et moral en apparence : censure (procès de Baudelaire et de Flaubert), refus de l'opposition politique (exil de Victor Hugo) ; mais en réalité, moeurs dissolues des classes au pouvoir (luxe démesuré des « fêtes impériales », ambition, vénalité, règne des demi-mondaines, …)

Zola veut décrire fidèlement la réalité du second Empire : le romancier s'appuie ainsi sur un travail important de documentation et d'enquête. Les textes de la séquence parcourent trois univers :

le demi-monde des courtisanes : réalité sociale incontournable du second Empire. Les prostituées de haut-vol, officiellement entretenues par des hommes de pouvoir, connaissent une période faste  :  Nana

le monde misérable des ouvriers exploités, notamment dans les mines : la révolution industrielle génère une inégalité sociale croissante, les ouvriers (hommes, femmes et enfants), privés de droits, travaillent 14 heures par jours, six jours sur sept, pour des salaires misérables (cf. : La découverte du « Voreux »).

 

 

Émile Zola - La Fortune des Rougon - 1871 - Préface

 

        Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d'êtres, se comporte dans une société, en s'épanouissant pour donner naissance à dix, à vingt individus qui paraissent, au premier coup d'œil, profondément dissemblables, mais que l'analyse montre intimement liés les uns aux autres. L'hérédité a ses lois, comme la pesanteur.

        Je tâcherai de trouver et de suivre, en résolvant la double question des tempéraments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement d'un homme à un autre homme. Et quand je tiendrai tous les fils, quand j'aurai entre les mains tout un groupe social, je ferai voir ce groupe à l'œuvre comme acteur d'une époque historique, je le créerai agissant dans la complexité de ses efforts, j'analyserai à la fois la somme de volonté de chacun de ses membres et la poussée générale de l'ensemble.

        Les Rougon-Macquart, le groupe, la famille que je me propose d'étudier a pour caractéristique le débordement des appétits, le large soulèvement de notre âge, qui se rue aux jouissances. Physiologiquement, ils sont la lente succession des accidents nerveux et sanguins qui se déclarent dans une race, à la suite d'une première lésion organique, et qui déterminent, selon les milieux, chez chacun des individus de cette race, les sentiments, les désirs, les passions, toutes les manifestations humaines, naturelles et instinctives, dont les produits prennent les noms convenus de vertus et de vices. Historiquement, ils partent du peuple, ils s'irradient dans toute la société contemporaine, ils montent à toutes les situations, par cette impulsion essentiellement moderne que reçoivent les basses classes en marche à travers le corps social, et ils racontent ainsi le second empire à l'aide de leurs drames individuels, du guet-apens du coup d'état à la trahison de Sedan.

        Depuis trois années, je rassemblais les documents de ce grand ouvrage, et le présent volume était même écrit, lorsque la chute des Bonaparte, dont j'avais besoin comme artiste, et que toujours je trouvais fatalement au bout du drame, sans oser l'espérer si prochaine, est venue me donner le dénouement terrible et nécessaire de mon œuvre. Celle-ci est, dès aujourd'hui, complète; elle s'agite dans un cercle fini; elle devient le tableau d'un règne mort, d'une étrange époque de folie et de honte.

        Cette œuvre, qui formera plusieurs épisodes, est donc, dans ma pensée, l'histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second empire. Et le premier épisode : la Fortune des Rougon, doit s'appeler de son titre scientifique : Les Origines.

 

Émile Zola, Paris le 1er juillet 1871

 

 

Questions concernant la préface de La Fortune des Rougon

1. Reformulez le projet romanesque de Zola à partir de la lecture du 1er paragraphe et du deuxième paragraphe. [Zola se propose de raconter l'histoire d'une famille sur plusieurs générations en étudiant les influences conjuguées de l'hérédité (forme de déterminisme biologique) et du milieu (déterminisme social).]

2. Dans le 3ème paragraphe, quel portrait Zola donne-t-il de la famille Rougon-Macquart dont il veut raconter l'histoire ? [D'un point de vue héréditaire, les Rougon-Macquart se caractérisent par la transmission d'une tare héréditaire de génération en génération à partir d'une tare originelle. D'un point de vue historique et social, les Rougon-Macquart sont issus du peuple et illustrent le mouvement d'ascension sociale revendiquée par les classes populaires au XIXe et la soif de jouissance de ce siècle. D'un point de vue symbolique, les Rougon-Macquart incarnent le second Empire.]

3. Expliquez la formule « Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire » qui formera le sous-titre du cycle romanesque des Rougon-Macquart. [La formule renvoie à l'analyse de l'évolution d'une même famille selon trois aspects : l'hérédité (déterminisme biologique : adjectif « naturelle »), le milieu (déterminisme social) et le moment (déterminisme historique : le « second Empire »).]

Questions sur Le Roman expérimental

1. Expliquez les termes d'« observateur » et d'« expérimentateur » ? [Le terme d'observateur renvoie à l'idée d'un romancier réaliste qui observerait la réalité de son temps pour la reproduire le plus fidèlement possible (voir le terme « photographe »). Le terme d'expérimentateur ajoute une dimension supplémentaire : à partir de l'observation du réel, le romancier formule des hypothèses (notamment concernant les lois qui régissent l'homme et la société) puis réalise une expérience (le roman en est le « procès-verbal ») pour les vérifier.]

2. En quoi  le contenu d'un roman devient-il une véritable expérience scientifique pour Zola ? [Le roman est une sorte de laboratoire qui permet au romancier expérimentateur de vérifier la validité des lois qui déterminent les hommes et régissent les comportements en société. Les personnages du roman naturaliste seraient donc des sortes de cobayes.]

3. Quels sont les objectifs de cette « expérience » ? [La connaissance de l'homme.]

 

 

 

La découverte du « Voreux » (Germinal (1885), Émile Zola )

*** Initiation au commentaire littéraire

 

Dans son œuvre Germinal, Zola décrit les conditions effroyables dans lesquelles travaillent les ouvriers dans les mines à la fin du XIXe siècle. L'extrait proposé met en scène Étienne Lantier, ouvrier sans ressources, qui découvre  le « Voreux », le plus grand puits de la mine qui deviendra son lieu de travail.

 

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   Il ne comprenait bien qu'une chose: le puits avalait des hommes par bouchées de vingt et de trente, et d'un coup de gosier si facile, qu'il semblait ne pas les sentir passer. Dès quatre heures, la descente des ouvriers commençait. Ils arrivaient de la baraque, pieds nus, la lampe à la main, attendant par petits groupes d'être en nombre suffisant. Sans un bruit, d'un jaillissement doux de bête nocturne, la cage de fer montait du noir, se calait sur les verrous, avec ses quatre étages contenant chacun deux berlines pleines de charbon. Des moulineurs, aux différents paliers, sortaient les berlines, les remplaçaient par d'autres, vides ou chargées à l'avance des bois de taille. Et c'était dans les berlines vides que s'empilaient les ouvriers, cinq par cinq, jusqu'à quarante d'un coup, lorsqu'ils tenaient toutes les cases. Un ordre partait du porte-voix, un beuglement sourd et indistinct, pendant qu'on tirait quatre fois la corde du signal d'en bas, "sonnant à la viande", pour prévenir de ce chargement de chair humaine. Puis, après un léger sursaut, la cage plongeait silencieuse, tombait comme une pierre, ne laissait derrière elle que la fuite vibrante du câble.

-  C'est profond ? demanda Étienne à un mineur, qui attendait près de lui, l'air somnolent.

- Cinq cent cinquante-quatre mètres, répondit l'homme. Mais il y a quatre accrochages au-dessus, le premier à trois cent vingt.

   Tous deux se turent, les yeux sur le câble qui remontait.

   Étienne reprit:

-  Et quand ça casse ?

-  Ah! quand ça casse...

   Le mineur acheva d'un geste. Son tour était arrivé, la cage avait reparu, de son mouvement aisé et sans fatigue. Il s'y accroupit avec des camarades, elle replongea, puis jaillit de nouveau au bout de quatre minutes à peine, pour engloutir une autre charge d'hommes. Pendant une demi-heure, le puits en dévora de la sorte, d'une gueule plus ou moins gloutonne, selon la profondeur de l'accrochage où ils descendaient, mais sans un arrêt, toujours affamé, de boyaux géants capables de digérer un peuple. Cela s'emplissait, s'emplissait encore, et les ténèbres restaient mortes, la cage montait du vide dans le même silence vorace.

Extrait du chapitre 3 de la première partie de Germinal - Emile Zola

 

 

La découverte du « Voreux » (lecture analytique)

Objectifs

: Il s'agit de montrer que la description réaliste, en se transformant en vision monstrueuse et épique, se charge d'une dimension symbolique et critique.

En quoi cette description dépasse-t-elle le simple réalisme ?

I – Une description réaliste

a – La visée réaliste

Visée réaliste évidente dans le choix de la description de la réalité sociale ouvrière du XIXe.

Description précise, presque didactique, du fonctionnement d'une mine.

Plusieurs effets de réels sont à noter :

Présence d'un vocabulaire spécialisé et technique (celui de la mine) : « cages de fer », « verrous », « berlines », « moulineurs », « bois de taille », ...

Précisions des chiffres :  « cinq cent cinquante-quatre mètres » l.13, « trois cent vingt » l.14, ...

Discours direct (les mineurs s'expriment comme ils le feraient dans le vie réelle) : « Et quand ça casse ? »

Expression empruntée au langage des mineurs : « sonnant à la viande » l.9

b – La focalisation interne

Le « Voreux » est décrit à travers le regard et la subjectivité d'Étienne

: verbe « il ne comprenait ... » qui indique que l'on accède aux pensées du personnage, modalisateur  « il semblait ne pas les sentir passer » l.2, verbe indiquant le foyer de perception l.15 « les yeux sur le câble qui remontait », …

La description se limite à ce que le personnage peut voir et entendre, et à ce qu'il connaît de la mine (voir les questions traduisant l'ignorance du personnage l.12 et 17).

C'est cette focalisation interne qui permettra de dépasser le simple réalisme en ouvrant vers un imaginaire monstrueux.

II – Qui se métamorphose en vision infernale

La réalité du puits se change en une vision monstrueuse.

a – Une  mine monstrueuse

Le nom du « Voreux » évoque d'emblée un monstre dévorateur. Cette métaphore est longuement filée par la suite : « avalait », « bouchées », « gosier », « viande », « chargement de chair humaine », « engloutir », « dévora », « gueule (…) gloutonne », « affamé », « digérer », « silence vorace ».

Un monstre insensible et froid : aspect machinal  d'une dévoration qui semble se répéter éternellement (imparfait itératif, préfixe re- l.19/20, …)

Le silence, connotant la mort, domine : « sans bruit » l.4, « silencieuse » l.10, « silence vorace » l.30

L'image de la descente (lexique associé à la profondeur et au vide) ainsi que l'obscurité évoquent une véritable plongée dans le néant, une descente aux enfers.

b – Le registre épique

Exagérations / hyperboles : verbes de la dévoration (« avalait », « engloutir », « dévora », …), insistance sur le nombre (« par bouchées de vingt et de trente », « cinq par cinq, jusqu'à quarante d'un coup », …), « boyaux géants capables de digérer un peuple », ...

Termes collectifs ou pluriels présentant les ouvriers comme une masse indifférenciée et passive : « des hommes » l.1, « des ouvriers » l.2, « groupes », « les ouvriers », « chargement de chair humaine », …

Accumulation : « cela s'emplissait, s'emplissait encore ... »

c – Une vision infernale révélatrice de la condition ouvrière du XIXe

Les mineurs  sont présentés comme une masse anonyme, passive et résignée, simple nourriture pour la mine : symboliquement, on peut y voir le destin des ouvriers du XIX condamnés à une vie très dure et miséreuse, exploités par le Capital (le terme « peuple », à la fin, invite à une lecture symbolique globale).

Enfin, on peut voir ici à l'oeuvre le déterminisme du milieu récurrent chez Zola, sensible dans la résignation des ouvriers et une forme de fatalisme qui prédomine dans le passage (actions machinales des ouvriers : « s'empilaient » / « cela s'emplissait », phrase inachevée « Ah! Quand ça casse. »)

Conclusion

: réalisme dépassé par l'imaginaire zolien (vision monstrueuse et épique de la mine) et la visée symbolique (le « Voreux » : symbole du Capital qui exploite les ouvriers) et critique (dénonciation de la condition ouvrière et du système capitaliste).

 

GERMINAL

Première partie chapitre 1 : l'arrivée d'Etienne

 

l'incipit du roman d'Émile Zola Germinal constitue une épanadiplose : le même personnage marche seul sur la même route

Lecture Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres. L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D'abord, il hésita, pris de crainte; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains. Un chemin creux s'enfonçait. Tout disparut. L'homme avait à droite une palissade, quelque mur de grosses planches fermant une voie ferrée; tandis qu'un talus d'herbe s'élevait à gauche, surmonté de pignons confus, d'une vision de village aux toitures basses et uniformes. Il fit environ deux cents pas. Brusquement, à un coude du chemin, les feux reparurent près de lui, sans qu'il comprît davantage comment ils brûlaient si haut dans le ciel mort, pareils à des lunes fumeuses. Mais, au ras du sol, un autre spectacle venait de l'arrêter. C'était une masse lourde, un tas écrasé de constructions, d'où se dressait la silhouette d'une cheminée d'usine; de rares lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq ou six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des charpentes dont les bois noircis alignaient vaguement des profils de tréteaux gigantesques; et, de cette apparition fantastique, noyée de nuit et de fumée, une seule voix montait, la respiration grosse et longue d'un échappement de vapeur, qu'on ne voyait point.

Germinal - extrait de la première partie chapitre 1 - Zola


Lecture analytique

Eléments biographique sur Zola.
L'incipit retrace,durant la nuit, l'arrivée à la mine d'Etienne Lantier qui vient d'être embauché.
Le personnage est ici encore anonyme et vu en situation de déplacement dans un contexte hostile.Le récit au passé suit l'évolution spatiale et temporelle de ce personnage encore inconnu du lecteur.
Comment Zola let-il en scène son personnage dans l'incipit?
 
1)L'évolution du personnage dans un univers hostile
 
Le texte est construit en fonction du déplacement du personnage grâce aux indications spatio-temporelles et à la récurrence des verbes de mouvement.
Ex: ligne 1 "dans la plaine rase" CCL( complément circonstanciel de lieu)
ligne 3 "grande route " voie empruntée + "10km" distance précisée.
La progression du personnage est montrée par des repères: "devant lui" ligne 5 ;"sur la gauche" ligne 22
Nous avons également des Toponymes (vrais lieux) "Montsou" l3 et 23
Le contexte temporel est présent dès le début : ligne 1"sous la nuit " ; ligne 12 "vers 2h" ; ligne 21 "depuis 1h"
les verbes de mouvement aussi : ex:"suivait"l2 ; "était parti" l12; "marchait" l13 ;"avançait" ligne 22
Zola accorde ici une importance au contexte spatio-temporel qui permet la mise en scène et l'entrée du personnage dans le roman.Les lieux traversés , le moment et la raison créent un univers inhospitalier qui conduit le lecteur à s'interroger sur le personnage et son devenir.
Il y a également la présence de connotations dépréciatives qui nous montrent que les lieux sont vides et obscures.ex:ligne 1:rase;l9 "terres nues" ; "aucune"
le champ lexical de l'obscurité :ligne 1 "sans étoiles"; ligne 5 "sol noir" ; ligne 11 "ténèbres"
Ce qui renforce la nudité ,ligne 7 :métaphore de la mer
Les éléments naturels ,hostiles "le ciel noir" "l'air" "vent froid" " souffle de vent de mai" "rafales" (mots en pluriels donnent de la puissance.
Il y a également la violence du froid: ligne 8 "lanière du vent d'est faisait saigner""glacer 19 ;"grellotant" ;etc. C'est un contexte violent , douloureux pour le personnage
de la ligne 5 à 11 nous avons un passage interne:ce point de vue permet au de mieux percevoir ce que le personnage ressent.
 
Transition:La marche du personnage semble le rapprocher progressivement du lecteur et Zola , en plaçant ce personnage en situation , va susciter , créer une attente.
 
2)Un personnage en situation
 
Le personnage est présenté au début du récit de manière indéterminée:"un homme"ligne 2
Cependant à la ligne 12 il y a l'emploi d'un déterminant qui donne de la  précision relativement au personnage "L'homme", il est progressivement plus accessible.
Nous avons accès à ses sensations ( de froid) : "contre ses flancs"ligne 16 ; "les mains gourdes" ligne 18
Le verbe voir et les verbes de sensation sont présents : "grelottait"
Le premier paragraphe met l'accent sur les perceptions du personnage qui sont visibles et progressivement des signes ajoutent encore des précisions: ex l'indigence,chômeur, coton amincie(ligne 13), petit paquet (l14)mains gourdes (l18)
A la ligne 23  les choses changent : il y a apparition de la lumière et évocation de la chaleur ", brasier" , elle se fait de façon soudaine
2 interprétations sont possibles :
un aspect rassurant de la chaleur
aspect inquiétant " feu , brasier" --> l'enfer (de ce travail)
L24/25 : le personnage hésite , on commence donc par de la crainte.
 
Conclusion
 
L'ouverture de Germinal met en place un personnage dont l'identité n'est pas encore révélée.Zola attise les attentes du lecteur , quant à la suite de l'histoire il lui permet d'élaborer différentes hypothèses:
Soit une suite réconfortante
soit une suite périlleuse
Par la mise en situation du personnage et l'accès à ses sensations il donne à voir le personnage.

 

 

Recherches complémentaires:

 

*** Travail personnel

  • L'incipit: les premières pages d'un roman par opposition à la dernière page appelée explicit ou excipit.
  • Fonctions de l'incipit:
  • Fonction informative: il renseigne sur le décor, la situation, le cadre spatio-temporel, les personnages....

  • Fonction ludique: Il divertit et incite le lecteur à poursuivre la lecteur

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 10/09/2023

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