Les objets métonymiques dans Madame Bovary

Flaubert

 

 

Les objets

Introduction:

Dans leur journal, les frères Goncourt notaient à propos de Madame Bovary: "Les accessoires y vivent autant et presque au même plan que les gens." Ce jugement révèle bien une dimension centrale du roman, mais plutôt qu'un défaut, c'est ce qui en constitue l'originalité et la force, même si ces caractéristiques ne pouvaient que surprendre et décevoir les contemporains.

Quelle utilisation Flaubert fait-il des objets dans son roman ? Ils sont un éclairage incontournable sur les personnages. Ils leur disputent même la vie, sont dotés d'un pouvoir certain.

 

I- Des objets qui en disent long sur leur propriétaire

A- objets de comparaison…

-signe de l'insignifiance de Charles: sa casquette

"une de ces coiffures d'ordre composite[…] une de ces pauvres choses enfin et dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile." → imbécilité de Charles? *Il afflige en effet sa femme dont on perçoit la pensée à travers le DILibre: "La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient dans leur costume ordinaire, sans exciter d'émotion, de rire ou de rêverie."

*il ne comprend d'ailleurs pas que sa femme le trompe et ne veut pas le croire: "Charles n'était pas de ceux qui descendent au fond des choses…"

- signe d'assurance et de tranquillité: la cage d'osier du chardonneret, métaphore de Homais

"Sa figure n'exprimait rien que la satisfaction de soi-même, et il avait l'air aussi calme dans la vie que le chardonneret suspendu au-dessus de sa tête dans une cage d'osier…"

→Homais, sûr de lui, de son savoir, de sa femme et de ses enfants, de l'opinion publique ("l'opinion publique le protège.") +enfermé dans son positivisme et son admiration aveugle des Lumières.

- signe de conquêtes: la tête de cerf dans le bureau de Rodolphe

"Rodolphe s’assit brusquement à son bureau, sous la tête de cerf faisant trophée contre la muraille." → Emma n'est-elle pas un trophée sur le tableau de chasse de Rodolphe qui ne doute pas que "avec trois mots de galanterie, cela vous adorerait…"? "Oui, mais comment s'en débarrasser ensuite?"

B- objets métonymiques

-Ils sont comme un membre de leur propriétaire, qu'on assimile à eux.

*les bocaux de Homais qui le rendent hystérique qd Justin prend une bassine située à côté de la bouteille d'arsenic.

*le tour de Binet, le parapluie de Bournisien, les cigarettes d'Emma.

-Parfois d'ailleurs, ces objets portent ombrage à la réputation des personnages: le coffre-fort de Lheureux signifie aussi la ruine de ceux à qui il a vendu à crédit, la bouteille d'arsenic de Homais dont il a trahi la présence par sa colère causera la mort d'Emma.

 -leur présence est parfois obsédante comme le tour de Binet dont le bruit récurrent fait horreur à Emma: "oh! finissez! murmura-t-elle, croyant entendre le tour de Binet."

Transition: Prolongement des personnages, les objets prennent parfois vie et semblent les dominer dans certaines occasions.

II- Le pouvoir des objets

A- des objets qui prennent vie

→sous l'impulsion des verbes qui les accompagnent

-"Les chemises sur les poitrines bombaient comme des cuirasses!" (I,4)

-"des bannettes d'arbustes […] bombaient leurs touffes de verdure inégales…" (I,8)

B-parfois plus vivants que les humains

Ces objets, telle la pièce montée du mariage de Ch et E, semblent même parfois plus vivants, plus originaux et plus authentiques que les humains qui les possèdent, rongés par l'ennui, la vanité ou des besoins plus primaires.

→Ainsi la longue description de la pièce montée où se balance "un petit Amour" à "une escarpolette de chocolat" est suivie du simple "Jusqu'au soir, on mangea."

Autres exemples: -"une statue de femme drapée jusqu'au menton regardait immobile la salle pleine de monde": étrange paradoxe qui associe une capacité intellectuelle et un mouvement à quelque chose de figé, comme pour dire à nouveau ce pouvoir des choses, du rien (même étymologie des mots chose et rien: res) dans le roman de Flaubert.

-le fiacre, objet galopant, emporte les deux amants et les cache. "Les bourgeois ouvraient de grands yeux ébahis devant cette chose […] une voiture à stores tendus,
et qui apparaissait ainsi continuellement, plus close qu'un tombeau et ballottée comme un navire."

C- parfois porteurs des désirs de leur propriétaire

-ces objets justement, par leur vie et leur richesse, portent parfois les désirs des personnages.

*La pièce montée toujours, avec son "donjon en gâteau de Savoie", rappelle la conception qu'Emma se fait de la vie: celui de la vie courtoise et chevaleresque romancée du Moyen-Age et du début de l’époque moderne, acquis lors de ses lectures au couvent et dont parle le chapitre 6 de la première partie.

*le porte-cigare ramassé à la sortie du bal porte avec lui le désir d'Emma d'y retourner.

Conclusion:

Les objets semblent prendre le dessus sur l'homme dans Madame Bovary, l'étouffer par sa présence, décider de son destin.

Ce qui explique "la prédilection de Flaubert pour les détails (la « vision myope »)" évoquée par Bernard Vouilloux, professeur à Paris IV dans un entretien. Les frères Goncourt avaient déjà relevé ce trait dans Madame Bovary où le milieu des choses aurait autant de relief que les sentiments et les passions de sorte qu'il les étouffe presque. Il y a cependant de la part de Flaubert la volonté d'insérer les détails dans une totalité dont ils participent, dans une architecture d'ensemble (le « beau »).

Source

bac de français

Date de dernière mise à jour : 27/07/2021

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