Le thème de l'amour dans Madame Bovary, Flaubert

Flaubert

 

Un roman d'amour

Introduction:

"L'histoire, l'aventure d'un roman, écrivait Flaubert à Goncourt, ça m'est égal". Le sujet, et la psychologie de Madame Bovary jouent néanmoins aussi leur partie, même si l'esthétique du romancier appelle à les mettre entre parenthèses. Il y a bien en effet une héroïne qui donne son nom au roman et dont on découvre les aspirations, les goûts, et les hommes principalement qui partageront sa vie. Tout au long du roman, Emma essaie désespérément d’atteindre l’amour ; un amour dans la sphère d’idéal ; un amour qu’elle a connu en lisant des œuvres romanesques, l’ ayant rendue victime exemplaire du romantisme. Les autres personnages sont aussi contaminés à leur façon par ce sentiment.

Flaubert a-t-il écrit avec Madame Bovary un roman d'amour?

Il y a bien dans ce roman des rêves d'amour et des amours sincères. Cependant ce roman sur l'amour en montre clairement les limites, non sans ironie.

 

I-Rêves d'amour et amours sincères

A- Emma, ou le besoin d'amour

→Emma nourrie de ses lectures romantiques, rêve d'amours semblables dans la vie réelle

→elle attend de Charles qu'il réponde à ces attentes

Elle croit en l'amour et dans les passions et est déçue par son mari dont la platitude n'éveille en elle que le mépris et la lassitude.

Au contraire, ses aventures amoureuses et adultères la sortent de l'ennui et du regret de n'être plus chez le vicomte :"Elle se croyait dans les romans de sa jeunesse, en plein Walter Scott."

Elle a l'énergie de Don Juan pour rejoindre ses amants, la nuit pour Rodolphe, à Rouen pour Léon, l'énergie pour mentir à son mari à ce sujet.

→D'ailleurs, quand Rodolphe la quitte, elle se jette dans le mysticisme, l'amour de Dieu,  avec autant d'énergie:  "Il existait donc à la place du bonheur des félicités plus grandes, un autre amour au-dessus de tous les amours, sans intermittence ni fin, et qui s'accroîtrait éternellement!" II,14

B- Autres amours sincères:

*ceux de madame Bovary mère pour son fils à qui elle procure tout le nécessaire pour qu'il fasse ses études de médecine dans de bonnes conditions et qu'elle vient voir régulièrement qd il est marié; elle est jalouse de l'amour que Charles ressent pour sa femme.

*ceux du père Rouault pour sa fille Emma: on est touché par son cri déchirant:" Ma fille! Emma! Mon enfant! Expliquez-moi…?"

*ceux de Félicité et Justin pour Emma →Flaubert valorise dans ce roman l'amour sincère des humbles, celui qui ne fait pas de bruit.

C- Charles, un mari béatement amoureux,

inconscient de la rupture entamée avec Emma- "il la croyait heureuse" (I,7)- il vit dans un état de bonheur quasi complet depuis son mariage, ce que révèle le champ lexical du bonheur à la fin du ch 7 livre 1:"pesanteur sereine", "bonheur", "grand amusement",  "il s'émerveillait".

C'est de chagrin qu'il meurt, refusant de croire en une véritable liaison entre sa femme et Rodolphe:" Ils se sont peut-être aimés platoniquement, se dit-il." On lit plus loin, alors que Charles a offert à boire à Rodolphe:" Charles se perdait en rêveries devant cette figure qu'elle avait aimée.[…] il aurait voulu être cet homme."(III,11)

→C'est d'ailleurs aussi un père aimant pour Berthe qui lui rend sa tendresse jusqu'à ses derniers moments: "Papa, viens donc! dit-elle. Et croyant qu'il voulait jouer, elle le poussa doucement."

amour filial donc entre le père et la fille, mais non avec la mère qui est d'abord déçue d'avoir une fille puis souvent la repousse, est effrayée par sa laideur, →elle ne l'élève pas et la confie à la mère Rollet.

Transition:

On voit ici des limites à l'amour dans Madame Bovary, elles envahissent en réalité le roman…

 

Flaubert

II- Les limites de ces affections

A- Emma vit en décalage

→"Elle songeait quelquefois que c’étaient là pourtant les plus beaux jours de sa vie, la lune de miel, comme on disait. Pour en goûter la douceur, il eût fallu, sans doute, s’en aller vers ces pays à noms sonores où les lendemains de mariage ont de plus suaves paresses."

Les adverbes "pourtant" et "plus" montrent ce décalage entre ce qu'Emma attend de l'amour conjugal après "la lune de miel" et ce qu'elle vit avec Charles; de même le conditionnel passé deuxième forme , "il eût fallu", exprime ce regret, cette déception d'Emma.

→dans le cadre de son amour pour Rodolphe, Emma semble se regarder aimer et être aimée, comme dans un miroir. Elle a besoin d'une aventure pour se sentir héroïne de roman d'aventure.    →"Elle se répétait : « J’ai un amant ! un amant ! » se délectant à cette idée comme à celle d’une autre puberté qui lui serait survenue. Elle allait donc posséder enfin ces joies de l’amour, cette fièvre du bonheur dont elle avait désespéré. Elle entrait dans quelque chose de merveilleux où tout serait passion, extase, délire…"II,9

 

 B- un pari pour Rodolphe et Léon

Amour illusoire avec Rodolphe puis Léon ds la mesure où c'est d'abord un pari pour eux!

→"Il n'y a plus qu'à chercher les occasions." se dit Rodolphe en II,8

→"Il fallait […] se résoudre enfin à la vouloir posséder. "pense Léon en III,1

→Dès lors on peut douter de la sincérité de leurs paroles amoureuses, tournées en ridicule lors des comices agricoles pour Rodolphe, hyperboliques pour Léon lors de leurs retrouvailles: "je me traînais le long des quais", déclare-t-il à Emma, "m'étourdissant aux bruits de la foule sans pouvoir bannir l'obsession qui me poursuivait."

C- une triste histoire d'amour…

Histoire d'amour qui se termine par le désaveu des amants, par un suicide, par la mort de Charles, par l'évocation de Berthe qui doit travailler ds une filature de coton.

D- L'ironie du narrateur

L'ironie du narrateur n'épargne pas les sentiments des personnages, lui qui les poursuit jusque dans ce moment tragique qu'est l'enterrement d'Emma: "et il [Charles] ne tarda pas à s'apaiser, éprouvant peut-être comme tous les autres, la vague satisfaction d'en avoir fini." Quant au père Rouault, il "se mit tranquillement à fumer une pipe…" Au début de l'histoire, la peinture de son amour paternel est d'ailleurs entachée: il marie sa fille avec Charles non seulement parce qu'il l'estime mais aussi pcq "sans doute" "il ne chicanerait pas trop sur la dot"  →L'ironie dans chacun des cas s'en prend à la petitesse des deux hommes.

cette ironie place tout près d’Emma l’amour véritable dont elle est incapable de reconnaître la présence. C’est l’amour candide en la personne de Justin qui pleure agenouillé sur la tombe d’Emma et celui de Charles qui sacrifie tout pour la rendre heureuse. Emma n’a jamais remarqué l’amour de Justin qui marquera pour toujours la vie de l’adolescent.

L'ironie du narrateur s'attaque aussi aux "idées" que les ps se font de l'amour et des paroles qu'ils imaginent pour le dire, loin de toute sincérité.

Conclusion:

Madame Bovary, un livre sur l'amour? Oui, certes, mais lequel? Un amour magnifié dans les premières lectures d'Emma et ds ses livres saints mais rabaissé ou désavoué dans le quotidien des personnages.

Source

Pour aller plus loin 

Date de dernière mise à jour : 19/11/2018

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