Apollinaire, Zone, Alcools, commentaire

 

 

 

Apollinaire, Alcools, Zone, vers 1-24

Introduction

Ce poème fut publié en décembre 1912 dans la revue Les Soirées de Paris. C’est en fait le derniers poèmes écrits par Apollinaire avant la publication d’Alcools en 1913 ; ce poème, d’abord intitulé « Cri », a été mis en tête du recueil pour le placer sous le signe de la modernité et d’une esthétique nouvelle.

Le titre :

plusieurs niveaux de signification :

Etymologie :

ceinture

Marginalité : zone = bande de terrains vague qui entourait les fortifications de Paris ; lieu de marginalité sociale (cf sens moderne du mot) ; poème en marge du recueil Alcools ; poésie en marge de la poésie traditionnelle. Zone renvoie justement à des lieux inexplorés.

Urbanité et modernité : périphérie des villes. Renvoie à un urbanisme moderne comme le poème renvoie à une poésie de la modernité.

Poème qui peut se lire comme l’affirmation d’un art poétique, du moins pour le début que nous allons étudier ; dans son ensemble peut se lire comme un parcours autobiographique et poétique.

I- Une revendication de nouveauté

Dans la forme

Organisation du texte

- pas de forme fixe, ni de structure strophique : 3 vers isolés + un tercet + strophe de 8 vers + strophe de 10 vers. (ensemble du texte Zone construit sur cet effet crescendo/decrescendo). Les 3 premiers vers évoquent le thème de la nouveauté dans le contexte d’un paysage urbain. La première strophe évoque la religion et la modernité ; la troisième la vie urbaine.

Absence de ponctuation 

- Ôte au poème une certaine logique formelle ; force le lecteur à trouver son propre rythme et donc lui donne un plus grand rôle à jouer dans la lecture du poème. L’absence de ponctuation favorise aussi le libre jeu des associations.

Les vers 

: Vers libres :

longueurs variées : la longueur inhabituelle de certains vers rapproche la poésie de la prose (vers 11 de 15 syllabes, vers 13 de 18 syllabes), ce qui met à mal les repères rythmiques classiques ;

liberté de rimes : le plus souvent associations en distiques ; rimes pauvres (1/2, 5/6, 9-10, 11-12) suffisantes (3/4), assonances (10-11, 16-17).

Donc impression de liberté et de modernité formelle.

Le refus de la tradition

Paradoxe

des premiers mots en début de poème « à la fin » : poème qui se revendique comme une rupture, la fin d’une époque et d’un monde (monde ancien, antiquité grecque et romaine = références du monde classique).

Revendication ferme : « tu es las », formulation classique # « tu en as assez », formulation plus moderne, niveau de langue familier : crescendo dans la revendication.

Opposition forte de l’ancien (ancien, ancienne, antiquité, antique) et du moderne (moderne, neuve)

Temps verbaux et indices temporels du présent : ce matin x 3 ; matin, célébration du renouveau du jour.

L’intégration de la modernité

Célébration lyrique de la Tour Eiffel en ouverture, comme une muse nouvelle ; symbole de modernité souvent intégré dans la peinture contemporaine (Delaunay). Nouveauté de la forme, de la matière, et gratuité de la fonction : objet qui ne sert à rien.

Modernité des lieux, qui redoublent le « ici » de l’énonciation : hangars de Port Aviation, rue industrielle.

Modernité des objets : automobiles, hangars

Le monde industriel et professionnel : directeurs ouvriers belles sténo dactylographes

Nouveaux supports textuels : prospectus catalogues affiches journaux, livraisons à 25 cts

On sait que ces supports sont aussi intégrés à la peinture par artistes nouveaux : collages de journaux dans les tableaux de Braque et de Picasso, affiches peintes par Toulouse Lautrec, les Delaunay. Apollinaire transfigure ces supports du langage quotidien en supports d’un nouveau langage poétique : termes qui appartiennent aux registres littéraires : chantent, poésie, prose, « aventures policières » (qui rime avec divers qui rappelle l’origine de ces aventures qui est le fait divers) (NB : rime irrégulière masc/fem), portrait ; célébration de la variété de cette littérature nouvelle par redondance « mille titres divers » « plein de »  + pluriels.

Modernité du langage : intègre dans le poème des termes n’appartenant pas à des registres soutenus, peu usuels en poésie, prosaïques : automobiles, hangars etc utilisation aussi d’expressions neutres comme « il y a », « voilà ». « J’ai vu »  « j’aime »

Donc poème sous le signe de la nouveauté

II- Des éléments de continuité avec une certaine tradition lyrique

Les thèmes

Celui de la religion  (religion (x 2), christianisme, pape, église, confesser) : préoccupations d’ordre spirituel qui s’inscrivent dans une éternité ; paradoxe des associations religion/neuve/simple, moderne/pape : signifie peut-être que tout ce qui a trait au sacré et à la spiritualité s’inscrit dans l’éternité.

L’image de la « sirène qui gémit » se rattache aussi aux légendes antiques : polysémie du terme qui s’inscrit à la fois dans la modernité et dans le mythe (par personnification du verbe).

Le lyrisme :

présent dans le texte mais détourné :

Par l’énonciation à la seconde personne, « tu », qui met à distance le « moi » du poète », d’autant que le « tu » est ambigu : le poète s’adresse à lui mais aussi au « christianisme ».

L’expression des sentiments

est discrètement présente ds le besoin de confession, c-à-d d’un discours d’épanchement intime détourné sur le mode ironique, et aussi par l’expression du sentiment de honte ; les fenêtres sont alors comme un regard posé sur le poète (cf V. Hugo, la conscience) ;

le poète laisse entendre son désarroi au sein d’un monde pourtant célébré. De même la douleur du poète se donne à entendre ds les termes gémir ou criailler : projection de son état d’âme sur les éléments extérieurs. PE aussi lassitude de la répétition (quatre fois par jour, par trois fois)

L’écriture

Rimes

Alexandrins : v 1 avec diérèse, 19, 20

Utilisation classique de l’harmonie des sonorités :

Bergère ô Tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Donc le poète maintient la tension entre tradition et modernité

III-  Fonction de ce renouveau : la transfiguration poétique de la réalité quotidienne

Elle se fait par :

Les images

Transformation de l’inanimé en animé

par les métaphores et comparaisons animales (v2 : mét ; v 20 mét ; v22, comp) : la ville se transforme en élément vivant doté de sentiments ;

par les personnifications : v 2 ; v 9 ; v 11 ; v19

métaphore du v. 16 établit une correspondance entre le visuel et l’auditif (soleil/cuivre ; joie/soleil) ambiguïté sur les groupes de mots ds propre du soleil elle était

de façon générale, multiplication des sensations auditives.

b) les associations de termes

Termes revivifiés par associations étonnantes :

automobiles/anciennes qui s’oppose à Pape moderne et religion neuve 

autant de paradoxes qui nous amènent à reconsidérer le réel et à sortir des clichés ; « belles sténo-dactylographes » ; « grâce de cette rue industrielle » (oxymore ?)

comparaison religion et hangars de port aviation : association qui sera reprise par la suite dans le thème de l’ascension spirituelle propre au christianisme et de l’ascension aérienne symbole de la modernité : l’aviateur serait le christ de la modernité (cf tableau de Dali et représentation du christ sur la croix) ; cf vers 44, 47, 48etc).

c) Un nouveau regard sur le monde

La réalité devient un lieu autre insolite, nouveau. : transfiguration de l’espace ds ses trois dimensions, superposition du bucolique et de l’urbain (v 2), de l’animé et de l’inanimé, de la prose et de la poésie, du journalisme et de la littérature.

La poésie s’ouvre à la prose du quotidien qui du coup prend une dimension magique, féerique.

C’est une façon de montrer que la poésie est dans tout, qu’il s’agit de poser un regard nouveau sur le monde, qui décloisonne les éléments de la réalité.

Conclusion

Plusieurs niveaux de lecture pour ce poème :

Un art poétique : poème qui est l’acte de naissance de la modernité poétique : le ^poète est celui qui par la nouveauté du regard qu’il pose sur le monde fait jaillir la puissance poétique enfouie dans les objets les plus quotidiens de la modernité.

Une nouvelle forme de lyrisme autobiographique, les séductions de la nouveauté n’empêchent pas le poète de s’inscrire dans une tradition, un spiritualisme qu’avec humour le poète associe à cette modernité. Les nombreuses notations autobiographiques dans la suite du texte donnent une tonalité intime à cette déambulation du poète dans les rues de Paris.

Une collusion poésie/peinture : intégration des mêmes éléments de modernité ; libres associations qui apparentent ce texte à un tableau cubiste.

 

Source

www.lyc-international.ac-versailles.fr/IMG/doc/Apollinaire-Zonerevu.doc

 

 

Pour aller plus loin 

Date de dernière mise à jour : 08/10/2018

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