Rabelais,Commentaires de la lettre de Gargantua à Pantagruel, livreII, ch. 8; Les idéaux humanistes. L'abbaye de Thélème

 
 

Questions possibles à l'oral de français sur Rabelais, lettre de Gargantua à Pantagruel, livreII, ch. 8

  • Par prepabac
  • Le 05/03/2017
  • Dans Les oraux de français

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Lettre de Gargantua à Pantagruel , François Rabelais : 1532, Livre II, chapitre VIII

Les idéaux humanistes
La vision de l'homme et du monde selon les humanistes
Première partie de l'entretien :
Lecture du texte :
Pour cette raison, mon fils, je te conjure d'employer ta jeunesse à bien profiter en étude et en vertu. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Epistémon : l'un, par de vivantes leçons, l'autre par de louables exemples, peuvent bien t'éduquer. J'entends et veux que tu apprennes parfaitement les langues, d'abord le grec, comme le veut Quintilien, puis le latin et l'hébreu pour l'Écriture sainte, le chaldéen et l'arabe pour la même raison; pour le grec, forme ton style en imitant Platon, et Cicéron pour le latin. Qu'il n'y ait aucun fait historique que tu n'aies en mémoire, ce à quoi t'aidera la cosmographie établie par ceux qui ont traité le sujet. Des arts libéraux, la géométrie, l'arithmétique et la musique, je t'ai donné le goût quand tu étais encore petit, à cinq ou six ans : continue et deviens savant dans tous les domaines de l'astronomie, mais laisse-moi de côté l'astrologie divinatrice et l'art de Lulle qui ne sont que tromperies et futilités. Du droit civil, je veux que tu saches par cœur tous les beaux textes, et me les commentes avec sagesse. Quant à la connaissance de la nature, je veux que tu t'y appliques avec soin : qu'il n'y ait mer, rivière ou source dont tu ne connaisses les poissons; tous les oiseaux de l'air, tous les arbres, arbustes et buissons des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de tout l'Orient et du Midi. Que rien ne te soit inconnu.
Puis relis soigneusement les livres des médecins grecs, arabes et latins, sans mépriser les talmudistes et cabalistes, et, par de fréquentes dissections, acquiers une parfaite connaissance de cet autre monde qu'est l'homme. Et quelques heures par jour, commence à lire l'Écriture sainte, d'abord en grec le Nouveau Testament et les Épîtres des Apôtres, puis en hébreu l'Ancien Testament. En somme, que je voie en toi un abîme de science : car maintenant que tu es un homme et te fais grand, il te faudra sortir de la tranquillité et du repos de l'étude et apprendre la chevalerie et les armes pour défendre ma maison et secourir nos amis dans toutes leurs affaires contre les assauts des malfaisants. Et je veux que rapidement tu mettes tes progrès en application, ce que tu ne pourras mieux faire qu'en soutenant des discussions publiques sur tous les sujets, envers et contre tous, et en fréquentant les gens lettrés, tant à Paris qu'ailleurs.
Mais parce que, selon le sage Salomon, la sagesse n'entre jamais dans une âme méchante, et que science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te faut servir, aimer et craindre Dieu, et en Lui mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et, par une foi faite de charité, t'unir à Lui de manière à n'en être jamais séparé par le péché. Prends garde aux tromperies du monde, ne t'adonne pas à des choses vaines, car cette vie est passagère, mais la parole de Dieu demeure éternellement. Sois serviable envers ton prochain, et aime-le comme toi-même. Respecte tes précepteurs, fuis la compagnie des gens à qui tu ne veux pas ressembler, et ne gaspille pas les grâces que Dieu t'a données. Et quand tu t'apercevras que tu disposes de tout le savoir que tu peux acquérir là-bas, reviens vers moi, afin que je te voie et te donne ma bénédiction avant de mourir. Mon fils, que la paix et la grâce de notre Seigneur soient avec toi. Amen.
D'Utopie, le dix-sept mars,
ton père, Gargantua.
Analyse de la lettre :
Lettre de gargantua à Pantagruel, Pantagruel, 1532, Livre II, chap. VIII
Problématique :
Dans quelle mesure peut-on dire qu’il s’agit d’un projet d’éducation humaniste ?
Introduction :
Après la découverte de l’imprimerie par Gutenberg en 1448, les textes latins et grecs deviennent accessibles à un plus grand nombre et permettent le développement des connaissances. Dès lors, l’éducation va devenir un point central de l’humanisme qui va s’opposer à la scolastique du Moyen-âge. Dans Pantagruel, Rabelais fait écrire par Gargantua une lettre à son fils dans laquelle il lui indique le programme d’éducation qu’il doit suivre. Ce traité d’éducation est la description encyclopédique d’un homme complet en « savoir et vertu ». On l’a souvent caractérisé de programme humaniste, bien qu’il ne faille pas oublier qu’il s’agit de l’éducation d’un géant !
I) Progresser en savoir
A) Les principes de l’enseignement dispensé
1) l’éducation d’un père
-programme à l’intérieur d’une lettre : marques de la présence de l’énonciateur, du destinataire (« mon fils » l.1)
-éducation voulue par un père pour son fils. Marque de la puissance du pater familias puisqu’il décide de tout
Utilisation de verbes de volonté ; impératifs ; subjonctif présent « que je vois en toi un abîme de science » l.2
2) Les caractéristiques de cet enseignement
-une éducation qui n’oublie pas la notion de plaisir : « donné le goût » l.13
-éducation fondée sur un double enseignement : enseignement théorique basé sur la lecture (champ lexical), /enseignement pratique fondé sur l’expérience
Chiasme l.4 « Tu es à Paris, tu as ton précepteur […] l’un par un enseignement oral, l’autre par de louables exemples peuvent te former. »
Même idée développée : « relis » l.23 et « par de fréquentes dissections » l.24
B) Des connaissances encyclopédiques
-champ lexical de l’enseignement et de la connaissance ; variété des domaines concernés.
-nom du précepteur : Épistémon = science, savant…
-anaphore en « ni » l.19 et en « tous » l.20 : nécessité de balayer toutes les connaissances du monde.
-image pour marquer la grandeur de la connaissance à atteindre : « les métaux cachés au ventre des abîmes » l.21 : ses connaissances doivent même dépasser ce qui est connu jusqu’à lors. (lexique du secret).
-connaissance double : microcosme (§6) et macroscopique (§5)
La nécessité de se constituer en homme de sciences ne doit pas laisser de côté le fait que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
II) Progresser en vertu
A) Nécessité de la vertu
-présentée au travers de 2maximes « sagesse n’entre pas en âme malveillante » ; « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
(Utilisation du présent de vérité général ; reprise de la parole de Salomon → arguments d’autorité pour expliquer la nécessité de la foi.)
Elles expriment l’idée selon laquelle la connaissance est dangereuse si elle n’est pas associée à la foi.
-Dieu → image suprême du père… auquel il est associé
B) Les caractéristiques de la foi présentée
-foi fondée sur la charité, sur le respect du prochain : énoncée à travers la paraphrase des évangiles.
-donner une finalité à cette éducation
-antithèse entre Dieu et les hommes l.43
On voit donc qu’il s’agit d’un programme d’éducation complet associant les connaissances scientifiques à la recherche d’une morale s’appuyant sur la foi. Dès lors, on peut se demander si Rabelais propose dans cette lettre une éducation humaniste.
III) Un programme humaniste ?
A) L’éducation d’un géant
-importance exagérée du programme proposé : multiplication des connecteurs logiques marquant l’addition.
-expressions exprimant la démesure des connaissances à acquérir : l.19, l.22, l.25, recherche de l’exhaustivité
-à noter également : il s’agit de l’éducation d’un prince puisqu’elle à pour but l’étude de la chevalerie afin de défendre des assauts des adversaires.
-plutôt une attitude à avoir par rapport à la connaissance qu’un programme réaliste.> nécessité éthique de s’améliorer.
B) Entre continuité et originalité
1) Un rejet apparent de l’éducation scolastique
-connaissances du Moyen-âge sont dévalorisées : « laissez-moi l’astrologie et l’art de Lullius » l.14 associé à un vocabulaire péjoratif : « d’abus et de futilités » l.15
-reprise des méthodes scolastiques : apprentissage par cœur l.16, nécessité de la dispute pour mesurer ces progrès (§7), importance du latin.
2) Une éducation pas si originale
-nombreuses références à l’antiquité. Accès direct par l’apprentissage des langues aux textes antiques.
-exercices d’écritures en latin et en grec
-appel à la connaissance de l’arabe : rappel du fait que Constantinople constituait jusqu’à sa chute un pôle important en particulier en ce qui concerne la médecine.
-programme n’est pas particulièrement révolutionnaire en 1532…
-Remarque : absence de l’enseignement des langues vernaculaires alors que cette idée se développe au XVIème siècle.
C) Mise à distance de l’éducation humaniste
-lieu de l’écriture de la lettre : « Utopie » → amène à se poser la question de savoir s’il ne s’agit pas que d’un idéal proposé ici.
-utilisation de l’argumentation indirecte afin de proposer son modèle d’éducation est aussi un moyen de mettre à distance ce qui est proposé.
Conclusion :
À l’évidence, le programme éducatif concocté par Gargantua pour son fils touche à de nombreux aspects de la connaissance et de la foi. Il ne néglige pas en effet l’importance de se constituer une vertu et rappelle que le but de cette éducation est de devenir un bon seigneur, de réaliser dans l’action ce que l’étude lui a appris. Souvent considéré comme un manifeste humaniste, on peut cependant s’interroger sur les buts de Rabelais ici, et il ne faut jamais oublier que cet enseignement s’adresse à un géant et non à un être normal.
 
 

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Date de dernière mise à jour : 26/07/2021

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