Le texte théâtral et sa représentation du XVIIe à nos jours = Phèdre Racine, II,5-III,3-V,6-V,7-

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OBJET D’ÉTUDE : LE THÉÂTRE

Le texte théâtral et sa représentation du XVIIe siècle à nos jours

Jean Racine, Phèdre (1677)

 

 

Acte II, scène 5 (vers 670 à 713)

 

Phèdre

Ah ! cruel, tu m'as trop entendue ! Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur. Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur. J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime, Innocente à mes yeux, je m'approuve moi−même, Ni que du fol amour qui trouble ma raison, Ma lâche complaisance ait nourri le poison. Objet infortuné des vengeances célestes, Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes. Les dieux m'en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ; Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle De séduire le cœur d'une faible mortelle. Toi−même en ton esprit rappelle le passé. C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé : J'ai voulu te paraître odieuse, inhumaine, Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine.

De quoi m'ont profité mes inutiles soins ? Tu me haïssais plus, je ne t'aimais pas moins. Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes. J'ai langui, j'ai séché, dans les feux, dans les larmes. Il suffit de tes yeux pour t'en persuader, Si tes yeux un moment pouvaient me regarder. Que dis-je ? Cet aveu que je te viens de faire, Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ? Tremblante pour un fils que je n'osais trahir, Je te venais prier de ne le point haïr. Faibles projets d'un cœur trop plein de ce qu'il aime ! Hélas ! je ne t'ai pu parler que de toi−même ! Venge-toi, punis-moi d'un odieux amour ; Digne fils du héros qui t'a donné le jour, Délivre l'univers d'un monstre qui t'irrite. La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte ! Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t'échapper. Voilà mon cœur : c'est là que ta main doit frapper. Impatient déjà d'expier son offense, Au-devant de ton bras je le sens qui s'avance. Frappe. Ou si tu le crois indigne de tes coups, Si ta haine m'envie un supplice si doux, Ou si d'un sang trop vil ta main serait trempée, Au défaut de ton bras prête-moi ton épée. Donne.

 

Oenone

Que faites-vous, Madame ? Justes dieux ! Mais on vient. Evitez des témoins odieux ; Venez, rentrez, fuyez une honte certaine.

 

 

 
 

OBJET D’ÉTUDE : LE THÉÂTRE

Le texte théâtral et sa représentation du XVIIe siècle à nos jours

Jean Racine, Phèdre (1677).

 

 

 

Acte III, scène 3 (vers 835 à 884)

 

 

 

Phèdre

Juste ciel ! qu'ai-je fait aujourd'hui ? Mon époux va paraître, et son fils avec lui. Je verrai le témoin de ma flamme adultère Observer de quel front j'ose aborder son père, Le cœur gros de soupirs qu'il n'a point écoutés, L'œil humide de pleurs par l'ingrat rebutés. Penses-tu que sensible à l'honneur de Thésée Il lui cache l'ardeur dont je suis embrasée ? Laissera-t-il trahir et son peuple et son roi ? Pourra-t-il contenir l'horreur qu'il a pour moi ? Il se tairait en vain. Je sais mes perfidies, Oenone, et ne suis point de ces femmes hardies Qui goûtant dans le crime une tranquille paix, Ont su se faire un front qui ne rougit jamais. Je connais mes fureurs, je les rappelle toutes. Il me semble déjà que ces murs, que ces voûtes Vont prendre la parole, et prêts à m'accuser, Attendent mon époux pour le désabuser. Mourons. De tant d'horreurs qu'un trépas me délivre. Est-ce un malheur si grand que de cesser de vivre ? La mort aux malheureux ne cause point d'effroi ; Je ne crains que le nom que je laisse après moi. Pour mes tristes enfants quel affreux héritage ! Le sang de Jupiter doit enfler leur courage ; Mais, quelque juste orgueil qu'inspire un sang si beau, Le crime d'une mère est un pesant fardeau. Je tremble qu'un discours, hélas ! trop véritable, Un jour ne leur reproche une mère coupable. Je tremble qu'opprimés de ce poids odieux L'un ni l'autre jamais n'osent lever les yeux.

Oenone

Il n'en faut point douter, je les plains l'un et l'autre ; Jamais crainte ne fut plus juste que la vôtre. Mais à de tels affronts pourquoi les exposer ? Pourquoi contre vous−même allez-vous déposer ? C'en est fait : on dira que Phèdre, trop coupable, De son époux trahi fuit l'aspect redoutable. Hippolyte est heureux qu'aux dépens de vos jours Vous−même en expirant appuyez ses discours. A votre accusateur que pourrai-je répondre ? Je serai devant lui trop facile à confondre. De son triomphe affreux je le verrai jouir, Et conter votre honte à qui voudra l'ouïr. Ah ! que plutôt du ciel la flamme me dévore ! Mais, ne me trompez point, vous es-il cher encore ? De quel œil voyez-vous ce prince audacieux ?
Phèdre

Je le vois comme un monstre effroyable à mes yeux.

 

 

OBJET D’ÉTUDE : LE THÉÂTRE

Le texte théâtral et sa représentation du XVIIe siècle à nos jours

LA  : Jean Racine, Phèdre (1677).

 

 

Acte V, scène 6 (vers 1498 à 1570).

 

Théramène

A peine nous sortions des portes de Trézène, Il était sur son char. Ses gardes affligés Imitaient son silence, autour de lui rangés ; Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes ; Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes ; Ses superbes coursiers, qu'on voyait autrefois Pleins d'une ardeur si noble obéir à sa voix, L'œil morne maintenant et la tête baissée, Semblaient se conformer à sa triste pensée. Un effroyable cri, sorti du fond des flots, Des airs en ce moment a troublé le repos ; Et du sein de la terre, une voix formidable Répond en gémissant à ce cri redoutable. Jusqu'au fond de nos cœurs notre sang s'est glacé ; Des coursiers attentifs le crin s'est hérissé. Cependant, sur le dos de la plaine liquide, S'élève à gros bouillons une montagne humide ; L'onde approche, se brise, et vomit à nos yeux, Parmi des flots d'écume, un monstre furieux. Son front large est armé de cornes menaçantes ; Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes ; Indomptable taureau, dragon impétueux, Sa croupe se recourbe en replis tortueux. Ses longs mugissements font trembler le rivage. Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage, La terre s'en émeut, l'air en est infecté ; Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

Tout fuit ; et sans s'armer d'un courage inutile, Dans le temple voisin chacun cherche un asile. Hippolyte lui seul, digne fils d'un héros, Arrête ses coursiers, saisit ses javelots, Pousse au monstre, et d'un dard lancé d'une main sûre, Il lui fait dans le flanc une large blessure. De rage et de douleur le monstre bondissant Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant, Se roule, et leur présente une gueule enflammée Qui les couvre de feu, de sang et de fumée. La frayeur les emporte, et sourds à cette fois, Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix ; En efforts impuissants leur maître se consume ; Ils rougissent le mors d'une sanglante écume. On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux, Un dieu qui d'aiguillons pressait leur flanc poudreux. A travers des rochers la peur les précipite. L'essieu crie et se rompt : l'intrépide Hippolyte Voit voler en éclats tout son char fracassé ; Dans les rênes lui−même, il tombe embarrassé. Excusez ma douleur. Cette image cruelle Sera pour moi de pleurs une source éternelle.

 

J'ai vu, Seigneur, j'ai vu votre malheureux fils Traîné par les chevaux que sa main a nourris. Il veut les rappeler, et sa voix les effraie ; Ils courent ; tout son corps n'est bientôt qu'une plaie. De nos cris douloureux la plaine retentit.

Leur fougue impétueuse enfin se ralentit ; Ils s'arrêtent non loin de ces tombeaux antiques Où des rois ses aïeux sont les froides reliques, J'y cours en soupirant, et sa garde me suit. De son généreux sang la trace nous conduit, Les rochers en sont teints, les ronces dégouttantes Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes. J'arrive, je l'appelle, et me tendant la main, Il ouvre un œil mourant qu'il referme soudain : "Le ciel, dit-il, m'arrache une innocente vie. Prends soin après ma mort de la triste Aricie.

OBJET D’ÉTUDE : LE THÉÂTRE

Le texte théâtral et sa représentation du XVIIe siècle à nos jours

LA  : Jean Racine, Phèdre (1677)

 

 

Acte V, scène 7 (vers 1623 à 1655).

 

 

Phèdre

Non, Thésée, il faut rompre un injuste silence : Il faut à votre fils rendre son innocence. II n'était point coupable.

 

Thésée

                                Ah ! Père infortuné ! Et c'est sur votre foi que je l'ai condamné ! Cruelle, pensez-vous être assez excusée...

 

Phèdre

Les moments me sont chers, écoutez-moi, Thésée, C'est moi qui sur ce fils chaste et respectueux Osai jeter un œil profane, incestueux. Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste ; La détestable Oenone a conduit tout le reste. Elle a craint qu'Hippolyte, instruit de ma fureur, Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur. La perfide, abusant de ma faiblesse extrême, S'est hâtée à vos yeux de l'accuser lui−même. Elle s'en est punie, et fuyant mon courroux, A cherché dans les flots un supplice trop doux. Le fer aurait déjà tranché ma destinée ; Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée. J'ai voulu, devant vous exposant mes remords, Par un chemin plus lent descendre chez les morts. J'ai pris, j'ai fait couler dans mes brûlantes veines Un poison que Médée apporta dans Athènes. Déjà jusqu'à mon cœur le venin parvenu Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu, Déjà je ne vois plus qu'à travers un nuage Et le ciel et l'époux que ma présence outrage ; Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté, Rend au jour qu'ils souillaient toute sa pureté.

Panope Elle expire, Seigneur.

Thésée D'une action si noire Que ne peut avec elle expirer la mémoire ! Allons, de mon erreur, hélas ! trop éclaircis, Mêler nos pleurs au sang de mon malheureux fils ! Allons de ce cher fils embrasser ce qui reste, Expier la fureur d'un vœu que je déteste. Rendons-lui les honneurs qu'il a trop mérités, Et pour mieux apaiser ses mânes irrités, Que malgré les complots d'une injuste famille Son amante aujourd'hui me tienne lieu de fille !

 

 

 

 

 

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