Nature et culture : l'homme en tant qu'être de nature et être de culture

 

DNBAC

 

La nature

La Nature - Analyse polysémique

Variation autour des différents sens du terme de nature.

Le terme de Nature est souvent compris au sens de campagne, pour l'homme ordinaire se promener dans la campagne équivaut à se promener dans la nature.

Cependant il n'est pas certain que la campagne soit si naturelle que nous le pensons, en effet les champs sont cultivés, les forêts sont entretenues partout où nous allons l'homme est intervenu pour marquer la nature de sa présence et la transformer.

Or ce qui est naturel signifie d'abord pour nous ce qui est premier, originel, n'appelle-t-on pas nature d'une chose son essence, ce qu'elle est fondamentalement ; est donc considéré comme naturel ce qui est à l'état brut et n'a encore subi aucune transformation, or l'environnement, la campagne sont comme tous les lieux habités par l'homme des zones de notre planète qui ont perdu leur aspect originel parce qu'elles ont été travaillées par l'homme.

Cependant si la campagne évoque pour nous la nature ce n'est pas sans raison, car si la campagne nous paraît plus proche de la nature que la ville, que le milieu industriel et urbain, c'est parce qu'elle contient l'une des composantes essentielles du monde naturel, c'est-à-dire la vie, qui est beaucoup plus luxuriante dans ce milieu que ce soit sous sa forme animale ou végétale. Le monde urbain est quant à lui un monde d'artifice, c'est-à-dire un univers où tout est le produit du travail et de la culture humaine, où tout résulte de l'ingéniosité de l'homme. Bien entendu si l'artifice s'oppose à la nature il ne lui est pas pour autant totalement étranger puisqu'il en est lui-même issu en tant que matière, l'artifice est avant tout de la nature transformée (qui a changé de forme).

L'artifice c'est la nature transformée et obéissant aux désirs humains, c'est la substitution d'un ordre culturel à un ordre naturel, c'est la nécessité sociale, culturelle et historique qui se substitue à la nécessité physique qui ne nous convient pas toujours.

Car en effet la nature n'est pas seulement un univers bucolique et champêtre, la nature peut aussi être violente et impitoyable, comme c'est par exemple le cas, lorsque les hommes sont victimes de catastrophes naturelles.

Si en effet la nature est vie, puissance créatrice, génératrice (la déesse mère, la mère nature), cette force pouvant faire preuve de prodigalité peut aussi faire preuve de cruauté et devenir destructrice à l'égard des êtres mêmes qu'elle a engendré. Si la nature est vie elle est aussi mort et souffrance, si la nature peut être prodigue et généreuse elle peut aussi être aride et rigoureuse, la sécheresse ou les pluies diluviennes sont aussi des phénomènes naturelles.

La nature présente donc un caractère ambivalent, elle nous paraît aussi bien un lieu de paix qu'un lieu de peine et de souffrance, elle est l'objet de notre nostalgie, toutes les civilisations ont connu des mouvements de retour à la nature qui sont d'ailleurs par nature voués à l'échec, car elle est aussi ce dont paradoxalement l'homme s'éloigne par nature. En effet l'homme est être de culture, il est la conscience de soi qui, issue de la nature, s'en éloigne tout en ayant toujours besoin d'y être reliée pour que son existence puisse maintenir l'équilibre fragile qui lui donne sens.

N'est-il pas curieux en effet que parmi les problèmes philosophiques traditionnels l'un des plus rebattus concerne la question de savoir comment vivre en accord avec la nature, ce qui laisse supposer que chez l'homme, même cela ne peut se faire naturellement, c'est-à-dire spontanément en laissant s'exprimer cette puissance originelle, cette voix première que nous n'entendons pas.

S'interroger sur la nature c'est donc tout d'abord s'interroger sur l'homme, sur le caractère problématique de l'existence humaine qui est à la fois nature et culture sans pour autant être artifice, l'homme n'est ni un robot ni un automate, il est esprit, l'esprit qui issu de la nature se réalise comme réflexion, c'est-à-dire comme processus de retour sur soi et de distanciation par rapport à soi-même et à son origine.

Introduction : Qu'est-ce que la nature ?

Pour la plupart d'entre nous, le terme de nature est souvent compris comme un synonyme de celui de campagne, se promener dans la campagne ou dans la nature a pour beaucoup d'entre nous à peu près la même signification.

Cependant une telle opinion ne va pas sans poser problème : la campagne est-elle en effet si naturelle que cela ? Si l'on y réfléchit bien, l'on s'aperçoit qu'elle est déjà de la nature transformée, modifiée par l'homme.

Or précisément à l'idée de Nature2.1correspond également ce qui est premier, originel, au sens étymologique, Nature à la même origine que naître ; ainsi est naturel, ce qui a la forme de ce qui vient de naître, ce qui n'a donc pas été modifié, transformé par une intelligence et une volonté extérieure.

Or qui dans la nature est en mesure de transformer la Nature, sinon l'homme lui-même ?

C'est pourquoi la question de la Nature est philosophiquement fondamentale, car s'interroger sur la Nature, c'est s'interroger sur l'homme lui-même, sur la place qu'il occupe dans la Nature.

L'homme est-il dans la nature un être comme les autres, ou y occupe-t-il une place particulière ?

En quel sens faut-il comprendre que l'homme occupe une place particulière dans la Nature ?

La dimension naturelle de l'homme

L'homme peut sembler au premier abord être un être vivant comme les autres, c'est un animal appartenant à la catégorie des mammifères et il doit pour survivre répondre à tous les besoins qu'un organisme doit satisfaire. D'ailleurs les théories de l'évolution mettent en évidence ses origines animales. Si l'homme ne descend pas du singe comme le laisse entendre une vulgarisation simplificatrice du darwinisme, il n'empêche que nous partageons des origines communes avec cette espèce.

Cependant la question qu'il faut ici poser est celle de savoir si cette dimension naturelle de l'homme recouvre ce qui fait sa spécificité, ce qui fait son humanité ?

La spécificité de l'homme dans la nature

En effet s'il on analyse ce qui fait l'humanité de l'homme, on va s'apercevoir que la plupart des caractères qui le distinguent des autres espèces animales sont des caractères acquis et non totale-ment innés, c'est-à-dire des caractères qui ne se développent pas naturellement, spontanément, mais à la suite d'un apprentissage, le langage, la station debout et la marche sont des aptitudes qui

bien que reposant sur des capacités naturelles de l'homme, ne se développent que si on les cultive, c'est-à-dire si le milieu extérieur exerce sur l'individu une influence qui déterminera son comportement.

Cette idée a d'ailleurs été exprimé par Jean Jacques Rousseau dans le texte que nous allons maintenant étudier.

La perfectibilité (étude d'un texte de Jean Jacques Rousseau )

"Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l'homme et de l'animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c'est la faculté

de se perfectionner ; faculté qui, à l'aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l'espèce, que dans l'individu, au lieu qu'un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu'elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l'homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? N'est-ce point qu'il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la Bête, qui n'a rien acquis et qui n'a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l'homme reperdant par la vieillesse ou d'autres accidents, tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la Bête même ? Il serait triste pour nous d'être forcés de convenir, que cette faculté distinctive, et presque illimitée est la source de tous les malheurs de l'homme ; que c'est elle qui le tire à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents ; que c'est elle, qui faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus le rend à la longue le tyran de lui-même et de la Nature."

Jean-Jacques ROUSSEAU,

Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755).

Gallimard.

Explication

La question traitée ici par Rousseau est celle de la différence entre l'homme et l'animal, selon lui, si en de nombreux points la question est difficile à résoudre, il en est un qui ne fait aucun

doute et qui permet de marquer la différence essentielle entre l'homme et l'animal, c'est la faculté de se perfectionner qu'il nomme perfectibilité.

Cette faculté permet à l'homme d'acquérir des facultés qui n'apparaissent pas initialement et spontanément en lui, ces facultés ne naissent qu'à la suite d'une stimulation extérieure, que si elles sont, comme l'écrit Rousseau, suscitées "à l'aide des circonstances".

1°partie

Dans un premier temps (du début à "... la première année de ces mille ans"), Rousseau commence par évacuer tous les autres points au sujet desquels la question de la différence entre

l'homme et l'animal pourrait porter à discussion

"Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l'homme et de l'animal,...",

pour ensuite affirmer que le seul caractère distinctif qui ne fasse aucun doute est "la faculté de se perfectionner".

Cette faculté Rousseau la définit ensuite de la manière suivante :

"faculté qui, à l'aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l'espèce, que dans l'individu, au lieu qu'un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu'elle était

la première année de ces mille ans."

Il convient donc pour bien comprendre en quoi consiste cette faculté d'expliciter précisément chaque élément de cette définition.

"faculté qui, à l'aide des circonstances, développe successivement toutes les autres"

Ici Rousseau insiste sur le fait que cette faculté permet de développer en l'homme des facultés qui ne se manifestent pas en lui naturellement, dès la naissance, mais qui n'apparaissent qu'en

fonction des situations et des besoins auxquels il se trouve confronté. En quelque sorte l'homme possède en lui de nombreuses facultés sous forme de potentialités, mais celles-ci ne se développent pas nécessairement, elles ne le feront que si les circonstances le

demandent, c'est-à-dire, si le milieu extérieur exige une telle évolution.

La perfectibilité est donc en quelque sorte "la faculté des facultés", la faculté qui permet le développement de toutes les autres, la faculté qui conditionne toutes les autres.

Cette faculté " réside parmi nous tant dans l'espèce, que dans l'individu", c'est-à-dire qu'elle rend possible aussi bien l'évolution de l'humanité toute entière (l'espèce), que celle de chacun d'entre nous (l'individu).

Cette faculté est donc celle qui permet une évolution propre à l'homme et dont aucun animal n'est capable, ce qui explique que, seul (nous ne parlons pas ici de l'animal domestique qui évolue

grâce à l'homme), l'animal est incapable de progresser ("un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu'elle était la première année de

ces mille ans."), alors que l'homme est quant à lui en mesure de se transformer et de s'adapter aux diverses situations qu'il peut rencontrer.

2° partie

Cependant, si la perfectibilité est définie comme la faculté permettant le progrès de toutes les autres, l'argument utilisé par Rousseau dans la seconde partie du texte, pour justifier son existence, peut sembler contradictoire. En effet Rousseau écrit : "Pourquoi l'homme seul est-il sujet à devenir imbécile ?", il semblerait que la capacité de l'homme à se perfectionner se trouve attestée, confirmée, par sa capacité à devenir imbécile. L'imbécillité est pourtant une imperfection,

comment une telle imperfection peut-elle être considérée comme un gage de perfectibilité ?

C'est que précisément la perfectibilité n'est pas la perfection, elle est même plutôt le signe de l'imperfection humaine ; si l'homme a besoin de se perfectionner, d'acquérir de nouvelles facultés, n'est-ce pas parce qu'il est imparfait ? Un être parfait, n'a, quant à lui, aucune raison d'évoluer, de se parfaire.

De ce point de vue, l'animal est peut-être, en un certain sens plus parfait que l'homme, dans la mesure où il est parfaitement adapté par la nature à son milieu.

En revanche, c'est parce que l'homme est inadapté, imparfait qu'il doit sans cesse acquérir de nouvelles qualités, mais le problème vient ensuite de ce que ces qualités étant acquises, elles ne

s'inscrivent pas définitivement dans la nature de l'homme, elles ne deviennent pas un composant essentiel de son être et donc il risque à tout moment de les perdre.

"N'est-ce point qu'il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la Bête, qui n'a rien acquis et qui n'a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l'homme reperdant par la vieillesse ou d'autres accidents, tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la Bête même ?"

3° partie

C'est pourquoi dans la dernière partie du texte Rousseau insiste sur le caractère corrupteur de cette perfectibilité, car au lieu de rendre l'homme nécessairement meilleur, elle peut aussi contri-

buer à le rendre mauvais, à le dénaturer, à lui faire perdre son innocence originelle :

"Il serait triste pour nous d'être forcés de convenir, que cette faculté distinctive, et presque illimitée est la source de tous les malheurs de l'homme ; que c'est elle qui le tire à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et

innocents ; que c'est elle, qui faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus le rend à la longue le tyran de lui-même et de la Nature."

En effet en développant sa perfectibilité, l'homme s'est en quelque sorte laissé enivrer par la puissance qu'il peut exercer sur le monde et sur lui-même et en est arrivé parfois à se rendre plus malheureux que ne l'avaient rendu les raisons qui l'avaient initialement conduit à mettre en œuvre de nouvelles facultés.

Conclusion

Ainsi l'homme ne naît pas achevé, il doit cultiver, pour s'adapter à son milieu, toutes les facultés que la nature a laissé en sommeil en lui, cette perfectibilité le rend certes plus puissant que les autres êtres vivants, mais elle le rend aussi plus libre, c'est pourquoi Rousseau nous met ici en garde contre les effets destructeurs de cette faculté qui rend l'homme capable du meilleur comme du pire.

"c'est elle qui le tire à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents ; que c'est elle, qui faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus le rend à la longue le tyran de lui-même et de la Nature."

L'homme, être social

D'autre part l'homme est un être social et à la différence des autres animaux vivant en société sa vie en collectivité ne répond pas à un instinct social grâce auquel les relations entre individus

s'organisent naturellement. L'homme, lui, doit organiser sa vie en société selon ses propres règles, c'est d'ailleurs ce qui explique la diversité des formes d'organisation sociale, des mœurs et des

coutumes selon les peuples et les civilisations.

L'homme, transformateur de la nature

En dernier lieu ce qui rend particulier, pour ne pas dire singulier, le rapport de l'homme à la nature, c'est le fait qu'il transforme la nature par son travail au moyen de la technique. On peut certes comparer le travail de l'homme à l'activité de l'animal qui utilise certains matériaux naturels pour fabriquer ce dont il a besoin (l'oiseau qui construit son nid, par exemple), mais là où l'homme se différencie radicalement de l'animal, c'est dans le fait qu'il fasse évoluer les techniques

L'homme se distancie de la nature

On peut donc constater que l'homme est un être qui prend par rapport à la nature et par rapport à sa propre nature une distance, un recul que ne prennent pas les autres vivants qui eux n'ont qu'à se laisser guider par leurs tendances naturelles pour s'accomplir et se réaliser. L'- homme au contraire ne peut véritablement être lui-même que s'il transforme ce qu'il est et le monde qui l'entoure, c'est en ce sens qu'il est un être de culture.

L'homme en tant qu'être de culture

Faut-il opposer nature et culture

On pourrait être tenté d'opposer Nature et Culture en assimilant ce qui est culturel et ce qui est artificiel, comme si tout ce qui fait l'humanité de l'homme n'était qu'artifice, c'est-à-dire pure fa-

brication de l'homme sans aucun soubassement naturel. Or les choses sont beaucoup plus complexes. L'homme n'est pas un robot, il n'est donc pas pur artifice et sa culture n'est pas totalement étrangère à la nature, elle est plutôt le chemin propre à l'homme pour réaliser sa nature sous une diversité de formes possibles.

Si l'on prend le terme culture dans son sens le plus strict, on s'aperçoit qu'il n'y a pas loin de la culture à l'agriculture, en effet l'agriculture consiste à prendre soin d'une plante en lui offrant les

meilleurs conditions pour son développement afin qu'elle réalise sa nature à la perfection. De même la culture humaine consiste à prendre soin de l'homme pour qu'il développe toutes les

possibilités qui sont en lui naturellement

La culture comme accomplissement de la nature de l'homme

La culture désigne donc le processus par lequel l'homme réalise toutes les possibilités qu'il possède naturellement, être humain signifie donc nécessairement se cultiver pour acquérir toutes les

facultés qui sommeillent en nous. Peut-être, peut-on même aller jusqu'à dire qu'il y a chez l'homme un devoir de culture, devoir pour les parents d'éduquer leurs enfants, donc de leur transmettre l'héritage des générations précédentes pour qu'il s'intègre à la société dans laquelle ils sont nés et qu'ils développent toutes leurs facultés, devoir pour l'adulte de continuer à cultiver ses compétences en tout domaine pour accomplir son humanité. Le respect de l'humanité, c'est-à-dire la reconnaissance de sa valeur suprême ne passe-t-il nécessairement par ce devoir de culture.

 

Conclusion :

L'homme est donc le seul être qui dans la nature soit en mesure de se distancier de la nature et de sa nature, le seul qui soit en mesure d'agir sur la nature, au risque parfois de la détruire, mais qui ne peut pas pour autant vivre naturellement ce qui n'aurait pour lui guère de sens.

La question se pose donc de savoir quel doit être son rapport à la nature, doit-il la considérer comme un simple moyen, comme un objet qu'il peut utiliser à sa guise pour accomplir son humanité ou doit-il au contraire la respecter ?

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 31/07/2021

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