Malraux, incipit de la condition humaine, lecture analytique

 
 
 

 ORAUX EAF

 

 

 

L'incipit de la condition humaine, Malraux

 

Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L’angoisse lui tordait l’estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n’était capable en cet instant que d’y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu’une ombre, et d’où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même — de la chair d’homme. La seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d’électricité pâle, coupé par les barreaux de la fenêtre dont l’un rayait le lit juste au-dessous du pied comme pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui se défendent, des ennemis éveillés ! La vague de vacarme retomba : quelque embarras de voitures (il y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des hommes…). Il se retrouva en face de la tache molle de la mousseline et du rectangle de lumière, immobiles dans cette nuit où le temps n’existait plus. Il se répétait que cet homme devait mourir. Bêtement : car il savait qu’il le tuerait. Pris ou non, exécuté ou non, peu importait. Rien n’existait que ce pied, cet homme qu’il devait frapper sans qu’il se défendît, — car, s’il se défendait, il appellerait. Les paupières battantes, Tchen découvrait en lui, jusqu’à la nausée, non le combattant qu’il attendait, mais un sacrificateur. Et pas seulement aux dieux qu’il avait choisis : sous son sacrifice à la révolution grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette nuit écrasée d’angoisse n’était que clarté. « Assassiner n’est pas seulement tuer… » Dans ses poches, ses mains hésitantes tenaient, la droite un rasoir fermé, la gauche un court poignard. Il les enfonçait le plus possible, comme si la nuit n’eût pas suffi à cacher ses gestes. Le rasoir était plus sûr, mais Tchen sentait qu’il ne pourrait jamais s’en servir ; le poignard lui répugnait moins. Il lâcha le rasoir dont le dos pénétrait dans ses doigts crispés ; le poignard était nu dans sa poche, sans gaine. Il le fit passer dans sa main droite, la gauche retombant sur la laine de son chandail et y restant collée. Il éleva légèrement le bras droit, stupéfait du silence qui continuait à l’entourer, comme si son geste eût dû déclencher quelque chute. Mais non, il ne se passait rien : c’était toujours à lui d’agir. © Éditions Gallimard.

 

La condition humaine Malraux

 
Introduction
Eléments biographique sur Malraux
L'intrigue du roman se situe dans un contexte historique qui est l'insurrection communiste de 1927 à Shanghai.
Le roman traite de l'engagement politique et met en scène le sens de l'action et de la vie. C'est un incipit original car il se distingue de la tradition romanesque qui veut que la 1ère page du roman expose les informations principales en proposant au lecteur un début "in média res"
 
quelles perceptions du personnage a le lecteur à travers ce début de récit ?
 
1)un personnage plongé dans l'action
 
Le début de l'incipit s'ouvre sur le prénom du personnage (asiatique) on nous dit d'abord ce qu'il ressent : de l'angoisse
puis on nous dit ce qu'il fait (l20) et enfin ce qu'il pense(l23)
On retrouve également le point de vue interne de la ligne 17 à 19 , ainsi que du discours indirect libre (l14 avec interrogations)
-->cela permet de mettre en valeur le personnage.
Cependant nous avons un point de vie omniscient (l1 à 5) qui nous donne l'impression d'un personnage divisé  à la fois à l’intérieur et à l'extérieur de lui-même.
Le meurtre semble inéluctable (l23;26 " frapper" )
Nous avons une répétition des verbes "devoir" : auto-persuasion et "savoir" .
Mais il y a également des interrogations(au conditionnel) au début pour montrer les hésitations du personnage.
Le contexte qui entoure Tchen ( building , moustiquaire) est donné de manière fragmentaire (l10 un grand rectangle électricité)cette manière renforce une impression de trouble,le procédé ici est cinématographique qui permet au lecteur de découvrir Tchen.
Les éléments sont séparés puis tout d'un coup nous avons un rétrécissement du champ visuel (l13 juste au dessous du pied) puis arrive ensuite un élargissement (building , klaxons)
--> va et vient entre l'intérieur et l’extérieur --> la fenêtre (= frontière)
 
T: Le personnage  est immergé dès l'action et l'atmosphère nocturne ce qui va renforcer  l'impression d'angoisse que semble ressentir le personnage
 
 
2)Une situation et une atmosphère angoissante
 
L'auteur lui-même ressent un malaise , face à des questions sans réponses ( différent de l'incipit classique), ni le narrateur ni le héros ne semble savoir ce qui va se passer .
L'angoisse est générée par:
  • la situation de violence( l2"frapper")
  • "                             "     (l14 découvert)
  • évocation des risques(l24 " prit ... exécuter)
Nous avons également un gros plan sur le pied (l7 et 12 associé à la vie comme à la mort (l9) de la chair de l'homme
Le sentiment d'angoisse est marqué par les oppositions du texte
entre l'ombre et la lumière l5 "clarté " l10 . Antithèses -
la chambre est dans l'obscurité donc nous avons une juxtaposition de 2 univers : - la pièce fermée;-la ville
l'opposition intérieure et extérieure génère l'angoisse
ex: lit ; plafond ,moustiquaire --> intérieur endroit clôt ( espace privé)
      building voisin "là bas" --> autre monde , le dehors, le monde des hommes
le personnage de Tchen apparaît étranger différent
 
 
Conclusion
Les informations de cet incipit sont plus troublantes que précises , le lecteur n'a à sa disposition qu'une date et un horaire.
En revanche le lecteur a accès à la complexité du personnage car on visualise comme sur un écran de cinéma , ses actions , le lecteur est donc dans l'attente de la suite ( suspens)
 
 
 

Trois textes complémentaires : séquence roman, série STG

Complément d'étude à l'évolution du personnage de roman

*** Analyse comparative des trois incipits

Oeuvre intégrale : Camus, l'Etranger

Textes complémentaires : L'incipit de l'éducation sentimentale de Flaubert L'incipit de Germinal, Zola L'incipit de la condition humaine, Malraux

 

  • Etude comparative de trois incipits
  • L'incipit de l'éducation sentimentale de Flaubert L'incipit de Germinal, Zola L'incipit de la condition humaine, Malraux
  • Séquence roman, l'évolution du personnage de roman
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Pour aller plus loin 

Date de dernière mise à jour : 19/03/2019

Commentaires

  • incinu
    • 1. incinu Le 08/11/2015
    je ne comprend pas le texte car tous se chanboule
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