Discours sur l'origine et le fondements de l'inégalité parmi les hommes, Rousseau, Et ce fut là le premier joug qu'ils s'imposèrent sans y songer

 

Discours sur l'origine et le fondement de l'inégalité entre les hommes, Rousseau, Oral EAF

  • Par prepabac
  • Le 01/04/2013
  • Dans Les oraux de français

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Lecture analytique : Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les  hommes, 1754

Rousseau

 

"Et ce fut là le premier joug qu'ils s'imposèrent sans y songer"
 
 

Plus l'esprit s'éclairait(...)l'innocence

 

 

Plus l'esprit s'éclairait, et plus    l'industrie se perfectionna. Bientôt cessant de s'endor­mir sous le premier arbre, ou de se retirer dans des cavernes, on trouva quelques sor­tes de haches de pierres dures et tranchantes, qui    servirent à couper du bois, creuser la terre et faire des huttes de branchages, qu'on s'avisa ensuite d'enduire d'argile et de boue. Ce fut là l'époque d'une première révolution qui forma    l'établisse­ment et la dis­tinc­tion des familles, et qui introduisit une sorte de propriété ; d'où peut-être naquirent déjà bien des querelles et des combats. Cependant comme les plus forts    furent vrai­semblablement les premiers à se faire des logements qu'ils se sentaient capables de défendre, il est à croire que les faibles trouvèrent plus court et plus sûr de les imiter que de    tenter de les déloger ; et quant à ceux qui avaient déjà des cabanes, chacun dut peu chercher à s'approprier celle de son voisin, moins parce qu'elle ne lui appartenait pas que parce qu'elle    lui était inutile et qu'il ne pouvait s'en emparer, sans s'exposer à un combat très vif avec la famille qui l'occupait.

Les premiers développements du cœur furent l'effet d'une situation nouvelle qui réunissait dans une habitation commune    les maris et les femmes, les pères et les enfants ; l'habitude de vivre ensemble fit naître les plus doux sentiments qui soient con­­nus des hommes,    l'amour conjugal, et l'amour paternel. Chaque famille devint une petite société d'autant mieux unie que l'attachement réciproque et la liberté en étaient les seuls liens ; et ce fut alors    que s'établit la première différence dans la manière de vivre des deux sexes, qui jusqu'ici n'en avaient eu qu'une. Les femmes devinrent plus sédentaires et s'accoutumèrent à garder la cabane et    les enfants, tandis que l'homme allait chercher la subsistance commune. Les deux sexes commencèrent aussi par une vie un peu plus molle à perdre quelque chose de leur férocité et de leur vigueur    : mais si chacun séparément devint moins propre à combattre les bêtes sauvages, en re­vanche il fut plus aisé de s'assembler pour leur résister en commun.

Dans ce nouvel état, avec une vie simple et solitaire, des besoins très bornés, et les instruments qu'ils avaient    inventés pour y pourvoir, les hommes jouissant d'un fort grand loisir l'employèrent à se procurer plusieurs sortes de commodités inconnues à leurs pères ; et ce fut là le premier joug qu'ils    s'imposèrent sans y songer, et la pre­miè­re source de maux qu'ils préparèrent à leurs descendants ; car outre qu'ils continu­è­rent ainsi à s'amollir le corps et l'esprit, ces commodités    ayant par l'habitude perdu presque tout leur agrément, et étant en même temps dégénérées en de vrais besoins, la priva­tion en devint beaucoup plus cruelle que la possession n'en était douce, et    l'on était malheureux de les perdre, sans être heureux de les posséder.

On entrevoit un peu mieux ici comment l'usage de la parole s'établit ou se perfec­tionne insensiblement dans le sein de    chaque famille, et l'on peut conjecturer encore comment diverses causes particulières purent étendre le langage, et en accélérer le progrès en le rendant plus nécessaire. De grandes inondations    ou des tremblements de terre environnèrent d'eaux ou de précipices des cantons habités, des révolutions du globe détachèrent et coupèrent en îles des portions du continent. On conçoit qu'entre    des hommes ainsi rapprochés et forcés de vivre ensemble, il dut se former un idiome commun plutôt qu'entre ceux qui erraient librement dans les forêts de la terre ferme. Ainsi il est très    possible qu'après leurs premiers essais de navigation, des insulaires aient porté parmi nous l'usage de la parole  ; et il est au moins très vraisemblable que la société et les langues ont    pris naissance dans les îles et s'y sont perfectionnées avant que d'être connues dans le continent.

Tout commence à changer de face. Les hommes errants jusqu'ici dans les bois, ayant pris une assiette plus fixe, se    rapprochent lentement, se réunissent en diverses troupes, et forment enfin dans chaque contrée une nation particulière, unie de mœurs et de caractères, non par des règlements et des lois, mais    par le même genre de vie et d'aliments, et par l'influence commune du climat. Un voisinage permanent ne peut manquer d'engendrer enfin quelque liaison entre diverses familles. De jeunes gens de    différents sexes habitent des cabanes voisines, le commerce passager que demande la nature en amène bientôt un autre non moins doux et plus permanent par la fréquen­tation mutuelle. On    s'accoutume à considérer différents objets et à faire des compa­raisons ; on acquiert insensiblement des idées de mérite et de beauté qui produisent des sentiments de préférence. A force de    se voir, on ne peut plus se passer de se voir encore. Un sentiment tendre et doux s'insinue dans l'âme, et par la moindre opposition devient une fureur impétueuse : la jalousie s'éveille avec    l'amour ; la discorde triom­phe et la plus douce des passions reçoit des sacrifices de sang humain.

A mesure que les idées et les sentiments se succèdent, que l'esprit et le cœur s'ex­er­­cent, le genre humain continue à    s'apprivoiser, les liaisons s'étendent et les liens se resserrent. On s'accoutuma à s'assembler devant les cabanes ou autour d'un grand arbre : le chant et la danse, vrais enfants de l'amour et    du loisir, devinrent l'amuse­ment ou plutôt l'occupation des hommes et des femmes oisifs et attroupés. Chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé soi-même, et l'estime    publi­que eut un prix. Celui qui chantait ou dansait le mieux ; le plus beau, le plus fort, le plus adroit ou le plus éloquent devint le plus considéré, et ce fut là le premier pas vers    l'inégalité, et vers le vice en même temps : de ces premières préférences naqui­rent d'un côté la vanité et le mépris, de l'autre la honte et l'envie ; et la fermentation causée par ces    nouveaux levains produisit enfin des composés funestes au bonheur et à l'innocence.

 

BAC

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Date de dernière mise à jour : 08/11/2018

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