Sujet 8 corrigé, séries générales, objet d'étude, la poésie, Obaldia, Desnos, Queneau, Max Jacob

 

Desnos

 

 

 

Sujet 8 - Séries générales

Objet d’étude : la poésie : sujet corrigé EAF

TEXTES

  • A. Max Jacob, « Avenue du Maine », 1912.
  • B. Robert Desnos, « Un jour qu’il faisait nuit », 1923.
  • C. René de Obaldia, « Le plus beau vers de la langue française », 1969.
  • D. Raymond Queneau, Lipogramme en A, en E et en Z, 1973.

A. Présentation du sujet

Les documents d’accompagnement (CNDP 2001) précisent les objectifs et les contenus du

programme de première sur l’objet d’étude « La poésie » : « Le programme indique deux

grandes directions pour cette étude : la spécificité du travail poétique sur le langage et les

continuités et les évolutions dans les conceptions de la poésie, notamment autour des

représentations de la modernité. ». C’est dans cette double perspective que se situe le

groupement de textes proposé par le sujet n°8. La lecture cursive du corpus suffit pour prendre

conscience de sa cohérence : les jeux sur le langage construisent chacun des textes, qui de

Max Jacob à Queneau embrassent soixante ans de création poétique du XXème siècle.

B. Question

Ces poèmes jouent avec les mots et avec le langage. Pour chacun d’eux précisez brièvement (en une ou deux phrases) la règle du jeu

adoptée.

On attend des élèves la reconnaissance de quatre procédés distincts. Le terme de

« paronomase » n’est pas exigible, mais l’explicitation de cette figure s’impose (Paronomase :

« Rapprochement de mots dont le son est à peu près semblable, mais dont le sens est

différent », Littré). Le libellé de la question ne demande pas que soient analysés, fût-ce

brièvement, les effets produits. Cette aptitude sera évidemment requise dans l’exercice du

commentaire.

- Max Jacob rapproche des mots qui offrent des sons analogues tout en présentant des sens

différents ; la paronomase permet ici de créer des vers fantaisistes : « Manège ton ménage /

mets des ménagements / Au déménagement ». Le poète construit aussi son jeu verbal à partir

de nombreuses dérivations lexicales (« ménage / deménagent »).

- Robert Desnos utilise le « langage cuit » c’est à dire par référence à l’expression

antithétique "employer un langage cru", l’emploi systématique du mot opposé à celui qu’on

attendrait : « un jour qu’il faisait nuit ; il s’envola au fond d’une rivière » pour « il plongea » ou

Texte de René de Obaldia

Ici encore, le texte se prête à deux modes d’approche.

1. Le premier parcours rend sensibles les différents niveaux de sens auxquels parvient tout

lecteur qui découvre le poème, puis construit progressivement des réseaux de reconnaissance

et de cohérence, élabore enfin une interprétation raisonnée.

- Une leçon passionnée de poésie.

- Des jeux avec le langage : allitérations, assonances, déformations des mots, répétitions.

- La parodie d’un cours de français.

- Une réflexion ludique sur le langage poétique.

2. Le second parcours de lecture met en scène une interprétation déjà élaborée suivant les

étapes suivantes :

- L’imitation burlesque d’un cours de littérature française.

- Une interrogation sur le fait poétique.

D. Dissertation

Sujet : La poésie passe-t-elle essentiellement par les jeux avec les mots et avec le langage ?

Le sujet invite à réfléchir sur la « fonction poétique » du langage. R. Jakobson, dans ses

Essais de linguistique générale, 4e Partie, chapitre 11, « Linguistique et poétique », la définit

comme celle « qui met en évidence le côté palpable des signes », et de citer le procédé

poétique de la paronomase. Les textes du corpus, amorce fertile à la réflexion, permettent

d’affirmer que tout un pan de la poésie moderne est faite de jeux avec le langage. Le poème de

Desnos invente un « langage cuit » ; les paronomases de Max Jacob créent un univers ludique

où « Avenue du Maine / Les manèges déménagent ». Les contraintes proposées par l’OULIPO

et auxquelles se plie Raymond Queneau par exemple imposent d’explorer des possibilités

langagières que le code ou les conventions sociales s’interdisent ou ignorent.

Le sujet impose aux élèves de réfléchir à la notion de « jeu » poétique. Jeu verbal d'une

part, la poésie joue aussi avec le rythme, la disposition graphique du poème. Mais d’autre part

la poésie est un acte de travail sur les mots dont les limites sont extensibles : le poète se livre-til

à une activité ludique à l’intérieur même de conventions transgressées mais reconnaissables

ou cherche-t-il à créer un nouveau langage, à réinventer le langage ? Notons que cette dernière

dimension n’est pas le propre de la poésie.

Dès lors, il apparaît que tout acte d’écrivain, et a fortiori de poète, engage une réflexion sur

les rapports qu’il entretient avec sa langue et avec les mots. On rappellera l’anecdote qui met

en scène le peintre Degas et le poète Mallarmé, telle que la rapporte Paul Valéry in Degas

danse dessin. Degas déplore : « Je ne parviens pas à écrire. Ce ne sont pourtant pas les idées

qui me manquent ». Mallarmé réplique : « Mais, Degas, ce n’est pas avec des idées que l’on

écrit, c’est avec des mots ».

« La poésie est un langage à part, sans être pour autant une infraction à la langue »

(Michèle Aquien, Dictionnaire de poétique, « Les usuels de Poche », Livre de Poche n° 8073).

Ce que l’on peut attendre des élèves ou des candidats - qui ont obligatoirement travaillé dans

l’année sur l’objet d’étude « La poésie » - c’est une réflexion sur les rapports qu’entretiennent

poésie et langage. Dans l’introduction du même dictionnaire, Michèle Aquien cite trois poètes

qui, à leur manière, disent ces relations complexes :

- Paul Valéry in Les Droits du poète sur la langue : «Toute littérature qui a dépassé un certain

âge montre une tendance à créer un langage poétique séparé du langage ordinaire, avec un

vocabulaire, une syntaxe, des licences et des inhibitions différents plus ou moins des

communs » ;

- Octavo Paz in L’Arc et la lyre : « L’expérience poétique est irréductible à la parole et

cependant la parole seule l’exprime » ;

- Paul Claudel in Cinq grandes Odes : « Les mots que j’emploie / Ce sont des mots de tous les

jours et ce ne sont point les mêmes ! ».

Le poète apparaît ainsi avant tout comme un artisan des mots. Des poèmes virtuoses des

grands Rhétoriqueurs du Moyen Age aux « objeux » de Ponge, la poésie a toujours travaillé

pour créer un nouveau langage, en utilisant à sa façon le lexique, la phrase, la syntaxe, la

forme, l’inscription du texte dans la page, la typographie…

Il appartient aux élèves de trouver dans les poèmes lus et/ou étudiés dans l’année les

exemples les plus éclairants. Les calligrammes d’Apollinaire - et l’ensemble de son oeuvre

poétique -, les explorations que Ponge fait dans Le Parti pris des choses, les recherches des

poètes baroques, des dadaïstes, de l’OULIPO s’avèrent utiles pour traiter la problématique du

sujet.

« il s’engloutit au fond d’une rivière» ou « il s’envola au fond du ciel ».

- Le jeu sur les allitérations et assonances sature « le plus beau vers de la langue

française » ; mais le jeu de René de Obaldia est surtout dans le décalage ironique qu’il introduit

entre ce prétendu chef d’oeuvre et la leçon de français qui est censée en dévoiler les

splendeurs.

- Le lipogramme est un texte qui obéit à une règle de jeu stricte : elle interdit l’usage de telle

ou telle lettre dans le texte écrit. Ici Queneau s’est imposé une triple loi : la disparition des

voyelles « e » et « a », ce qui constitue une contrainte très exigeante, et celle plus humoristique

de la consonne « Z », moins difficile à suivre.

C. Commentaire

Vous commenterez au choix le poème de Robert Desnos ou celui de René de Obaldia.

Texte de Robert Desnos

Deux modes d’organisation du commentaire peuvent ici être suggérés.

1. Le premier épouse les réactions du lecteur et se situe ouvertement du côté de la réception

du poème.

- Un poème surprenant et en apparence énigmatique : personnages, énonciation, logique

discursive, cadre spatio-temporel.

- La reconnaissance d’un mode d’organisation narratif.

- La définition du procédé du « langage cuit » et les effets produits : esthétique de la surprise,

étonnement, perte des repères, merveilleux, triomphe de l’imaginaire.

2. Le second part d’une interprétation déjà construite et organise un redéploiement du sens :

- Un « langage cuit ».

- Un récit merveilleux.

Le mouvement de la dissertation peut articuler les élément suivants.

I. La poésie joue avec la langage.

- Refus des règles ordinaires de l’expression quotidienne ; détournement des lois du langage

social.

- Aspect ludique des exemples proposés dans le corpus (Max Jacob, Desnos, Obaldia,

Queneau).

- La poésie par ses jeux sur le langage peut apparaître comme une ornementation ou un écart

face au langage quotidien.

- Le poète apparaît comme un technicien jouant gratuitement avec le langage.

- Mais tout jeu de mots, toute recherche formelle ne mènent pas nécessairement à la poésie ; la

publicité, le slogan, le langage quotidien travaillent également l’euphonie, le rythme, l’image.

Dans bon nombre de cas évoqués la poésie se définit essentiellement par son aspect

ludique ; le jeu sur le langage est-il liberté prise avec le langage ou affirmation de nouvelles

contraintes linguistiques ?

II. La poésie travaille sur le langage et émet de nouvelles contraintes.

- Le langage poétique n’est pas simple jeu, il « cède l’initiative aux mots » (Mallarmé, Crise du

vers). Ainsi le poète ne va pas rechercher un sens préexistant ; il n’est pas celui qui pense,

mais celui à qui s’impose le langage.

- La poésie se fonde sur des recherches autour des rimes et des jeux phoniques.

- La poésie est travail sur les jeux métriques et rythmiques.

- La poésie engage un usage particulier du mot : recherches lexicales, images.

- La poésie peut s’inscrire dans l’observation de règles formelles - voir l’exemple fertile du

sonnet - règles qui ont nourri son histoire ; « nul n’est poète sans art » (Du Bellay).

Exemples divers : les Rhétoriqueurs, la Pléiade, les recherches formelles des classiques sur

le beau vers. La poésie n’est pas seulement élaboration ludique ou formelle, pure gratuité ; elle

engage un sens.

III. Un jeu entre liberté et contraintes qui répond à différentes fonctions.

- La poésie comme expression des sentiments et de la subjectivité (fonction lyrique) ; exemple

des romantiques qui choisissent les voies de l’effusion.

- La poésie peut aussi être engagement et message adressé aux hommes (fonctions polémique

et politique) ; exemple des écrivains engagés dans les tourments de l’Histoire pendant la

Seconde Guerre mondiale.

- La poésie peut être contemplation et interrogation sur le monde et la vie (finalités

philosophiques) ; exemple des surréalistes qui explorent les hasards des rencontres et le

dérèglement de la conscience.

Conclusion

Nombre de poètes modernes privilégient le jeu de mots conscient, le « travail sur la langue »

pour construire leur oeuvre poétique, comme le montrent les exemples donnés dans le corpus.

Le poète est celui qui accorde aux mots tout leur poids ; le poète invite le lecteur à redécouvrir

le côté tangible et palpable du langage.

E. Invention

Vous choisirez un des deux sujet suivants.

- Après avoir lu un de ces textes, un lecteur indigné écrit à une revue littéraire pour dénoncer de façon véhémente le scandale que constitue à

ses yeux le fait de les publier comme de la poésie. Vous rédigerez cette lettre.

- Après avoir lu un de ces textes, un lecteur enthousiaste écrit à une revue littéraire pour dire le plaisir qu’il a eu à les découvrir. Pour lui, c’est la

vraie poésie qui apparaît là. Vous rédigerez cette lettre.

Le double libellé réserve aux élèves le choix d’une posture. Soit l’énonciateur admire ce type

de poésie - jeu avec le langage - , soit il considère scandaleux que l’on puisse imprimer de tels

écrits. Notons que la production de telles lettres n’a rien d’artificiel et qu’elle correspond à des

situations de communication authentiques : le courrier des lecteurs des revues d’art - plastique,

cinématographique, photographique ou littéraire - regorge de réactions après que le critique a

encensé telle nouvelle oeuvre jugée inepte, ou critiqué telle autre, considérée comme géniale.

On attend ici de l’élève ou du candidat :

- qu’il parte précisément d’un des textes du corpus ;

- que son argumentation fasse l’objet d’un développement organisé et fondé sur des éléments

précis ;

- que sa production dépasse le poème élu pour construire une argumentation sur ce qu’est la

poésie à ses yeux : conception classique, romantique ou moderne de la poésie ;

- que sa production mobilise comme références (positives ou négatives) d’autres poèmes ou

des poètes lus et admirés ou moins aimés ;

- que la lettre rédigée porte les marques du sentiment exprimé : émerveillement, enthousiasme,

ou à l’opposé indignation, colère.

 

 

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Date de dernière mise à jour : 12/10/2018

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