Victor Hugo, commentaire, Ruy Blas, V, 4

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Victor Hugo Ruy Blas (1838)- Acte V, scène 4 (empreintes littéraires, magnard)
Scène IV - La reine, Ruy Blas.

Ruy Blas fait quelques pas en chancelant vers la reine immobile et glacée, puis il tombe à deux genoux, l'oeil fixé à terre, comme s'il n'osait lever les yeux jusqu'à elle. (…)
La Reine. Que voulez-vous ?
Ruy Blas, joignant les mains. Que vous me pardonniez, madame !
La Reine. Jamais.
Ruy Blas. Jamais ! Il se lève et marche lentement vers la table. Bien sûr ?
La Reine.
Non, jamais !
Ruy Blas. Il prend la fiole posée sur la table, la porte à ses lèvres et la vide d'un trait. Triste flamme, Éteins-toi !
La Reine, se levant et courant à lui. Que fait-il ?
Ruy Blas, posant la fiole. Rien. Mes maux sont finis. Rien. Vous me maudissez, et moi je vous bénis. Voilà tout.
La Reine, éperdue.
Don César !
Ruy Blas Quand je pense, pauvre ange, Que vous m'avez aimé !
La Reine. Quel est ce philtre étrange ?
Qu'avez-vous fait ? Dis-moi ! Réponds-moi ! Parle-moi ! César ! Je te pardonne et t'aime, et je te crois !
Ruy Blas. Je m'appelle Ruy Blas.
La Reine, l'entourant de ses bras. Ruy Blas, je vous pardonne ! Mais qu'avez-vous fait là ? Parle, je te l'ordonne ! Ce n'est pas du poison, cette affreuse liqueur ? Dis ?
Ruy Blas. Si ! C'est du poison. Mais j'ai la joie au coeur. Tenant la reine embrassée et levant les yeux au ciel. Permettez, ô mon Dieu, justice souveraine, Que ce pauvre laquais bénisse cette reine, Car elle a consolé mon coeur crucifié,
Vivant, par son amour, mourant, par sa pitié !
La Reine. Du poison ! Dieu ! C'est moi qui l'ai tué ! – je t'aime ! Si j'avais pardonné ? ...
Ruy Blas, défaillant. J'aurais agi de même. Sa voix s'éteint. La reine le soutient dans ses bras. Je ne pouvais plus vivre. Adieu ! Montrant la porte. Fuyez d'ici ! – Tout restera secret. – je meurs. Il tombe.
La Reine, se jetant sur son corps. Ruy Blas !
Ruy Blas, qui allait mourir, se réveille à son nom prononcé par la reine.
Merci !

Recherches préliminaires
1-Qu’est-ce que le drame romantique ? Comment le définit Hugo dans la préface de Cromwell ?
Le drame romantique est une forme littéraire, née au XIXème siècle qui prend pour modèle le théâtre de Shakespeare. En effet, Shakespeare varie les genres, enfreint les unités spatio-temporelles et aucun aspect de la nature humaine ne lui échappe.
V.Hugo a exposé les grandes lignes du genre dans la préface de Cromwell. Selon lui s’y mêlent, deux termes antithétiques qui caractérisent la modernité : « c’est de la féconde union du type grotesque au type sublime que naît le génie moderne. ». Personnage grotesque selon V.Hugo dans l’Antiquité : Polyphème le cyclope car il incarne le grotesque terrible. Dans la pensée moderne, le grotesque a un rôle immense : il crée le difforme et l’horrible, le comique et le bouffon. Le sublime représente le beau et le drame met en scène des CONTRASTES, car c’est par le contraste qu’on arrive au beau. C’est au contact du laid que le beau apparaît. Le sublime représente l’âme telle qu’elle est. Le grotesque jouera le rôle de la bête humaine. Juliette, Desdémone, Ophélie sont des figures du sublime dans Shakespeare, tandis que Iago, Tartuffe, Polonius sont des figures du grotesque.
Le drame romantiqueremet en question la règle des 3 unités, car le drame doit être relié à la réalité. « L’unité de temps n’est pas plus solide que l’unité de lieu. L’action, encadrée de force dans les 24 heures est aussi ridicule qu’encadrée dans le vestibule. » Toute action a sa durée propre comme son lieu particulier.
-refus des bienséances : on doit montrer la réalité (meurtres, suicides etc…)
-mélange des tons : grotesque et sublime

V.Hugo insiste sur la liberté du vers dans le drame : « Nous voudrions un vers libre, franc, loyal, osant tout dire sans pruderie, tout exprimer sans recherche ; passant d’une naturelle allure de la comédie à la tragédie, du sublime au grotesque. »
L’inconvénient de ces choix au niveau formel, c’est que les pièces sont très difficilement jouables, tant elles sont longues et tant les personnages sont nombreux.
Le héros du drame romantique est un marginal qui subit le mal du siècle : la marginalité peut être sociale (Ruy Blas est un laquais amoureux d’une reine) ou intellectuelle (Chatterton, héros du théâtre de Vigny, est un poète incompris). Le moi est divisé, ce qui entraîne la naissance du grotesque et du sublime. Le grotesque est la remise en question du courage du grand homme et la mise en évidence de sa faiblesse humaine.
Le drame romantique représente les bouleversements politiques, avec l’idée que le passé illustre le présent. Le dramaturge évite la censure car il masque ses allusions au présent par le recours à l’Histoire.


2-Cherchez quelques éléments biographiques sur V.Hugo.
1802-1885 (voir très bon article dans l’encyclopédie Larousse)
Dès sa naissance, il est tiraillé par un père républicain et bonapartiste et une mère royaliste et vendéenne. Il a connu l’exil pendant 20 ans pour s’être opposé à Napoléon III et à son coup d’état. Il a subi les deuils et notamment celui de sa fille Léopoldine. L’inspiration hugolienne est à la fois épique et lyrique. Il a écrit dans tous les genres : poésie, théâtre, roman.
Il a fait de brillantes études au lycée Louis-Le-Grand à Paris et a reçu le prix d’encouragement de l’académie française. C’est un écrivain qui appartient au courant romantique.
Il se bat pour les droits civils et politiques : abolition de la peine de mort, liberté de la presse et le suffrage universel.
Rentré en France après le dénouement de la guerre franco-prussienne (1870-1871), la fin tragique de la Commune et le rétablissement de la république, Hugo devient une icône du nouveau régime démocratique. Même si son activité créatrice se réduit, sa vigueur littéraire n'est pas entamée : il publie l'Année terrible (1872), le roman d'une guerre fratricide encore fraîche, Quatrevingt-treize (1874) et l'Art d'être grand-père, 1877. Il est inhumé au Panthéon.
3-Résumez en 5 lignes Ruy Blas.
Ruy Blas a été créée en 1838. Durée : 3 heures de spectacle.
Un grand politicien espagnol, don Salluste, condamné à l’exil par la reine pour affaire de mœurs, utilise pour se venger de cette humiliation les services d’un de ses laquais, Ruy Blas, dont il connaît la passion secrète pour la souveraine.
Sans lui expliquer la trame dans laquelle il l’implique, il lui ordonne de feindre d’être don César de Bazan et, sous cette identité, de se faire aimer de la reine, qu’il compte ainsi compromettre. Ruy Blas, à la fois ébloui par l’idée d’approcher son étoile et pris de passion pour les malheurs politiques de l’Espagne, prend au sérieux son rôle. Au moment même où, avec l’appui admiratif de sa protectrice, il entreprend de purger le pays de la corruption qui l’épuise, Salluste revient lui rappeler qu’il n’est que son instrument. Au terme de péripéties compliquées par le retour imprévu et cocasse du vrai don César de Bazan, Ruy Blas clame devant la reine sa condition de laquais, exécute Salluste et, désespéré, se tue aux côtés de celle qu’il aime. Résumé rapide : Ruy Blas, instrument de Don Salluste et valet, homme pur aux idéaux prononcés, aime la reine secrètement. Il va tenter de la séduire pour les intérêts de Don Salluste et par amour pour elle en prenant une autre identité. Son stratagème sera révélé et il se suicidera auprès de celle qu’il aime après avoir tué Don Salluste.

Lecture analytique
Intro

a)Présentation de l’œuvre : Dans sa pièce en 5 actes, Ruy Blas , V.Hugo renverse l’idée de classe et la position maître valet. Le héros, assez marginal dans l’ambition qu’il a de séduire la reine, incarne l’image du peuple et l’idée que les sentiments les plus nobles et les actes les plus élevés ne sont pas présents que dans l’aristocratie.
b)Présentation du passage : Ce passage, appartenant au dénouement de la pièce, montre un héros qui s’est rebellé contre son maître et est allé jusqu’à l’assassiner car il s’est aperçu qu’il n’avait été que le jouet de sa vengeance. Il va alors mourir à son tour car il ne peut vivre ainsi : en aimant sans pouvoir être aimé pour ce qu’il est.
c)Problématique : Comment le dénouement de la pièce met-il en scène une mort sublime ?
d)Plan
Nous verrons en quoi, dans cette scène, les contrastes, propres au drame romantique, servent à créer une fin sublime : la mort permet l’aveu de l’amour. Le choix du suicide fait dire à la reine qu’elle est amoureuse, même si les sentiments ne pourront être vécus.

I-Une scène contrastée, propre au drame romantique
a)Un personnage marginal

Ruy Blas est laquais de Don Salluste, grand d’Espagne. Il est marginal car il ose aimer une reine alors que sa condition exige qu’il se marie et convoite des domestiques. C’est un héros puisqu’il ne renonce pas à son amour par convenance. La Reine , au début de la scène, se sent trahi, car précédemment Ruy Blas lui a révélé son amour et sa véritable identité : il n’est qu’un laquais. Elle ne peut donc accepter un tel comportement et un tel aveu, c’est pourquoi elle se montre, dans les didascalies du début « immobile et glacée ». Son interrogation « que voulez-vous ? » révèle la distance qu’elle a établie avec le personnage qu’elle ne peut raisonnablement ni aimer, ni épouser. Les phrases nominales sèches composées uniquement de l’adverbe « jamais » (V.5, à l’intérieur de l’alexandrin disloqué) condamne l’amour de Ruy Blas pour la Reine.
b)La bipolarité du personnage, tiraillé entre grotesque et sublime
Le grotesque, dans ce passage, tel que le définit Hugo, est bien présent. Il est représenté par la pulsion de mort de Ruy Blas qui veut se suicider : « il prend la fiole posée sur la table ». Il est présent aussi dans la froideur de la reine qui refuse d’écouter ses sentiments au début du passage. Le sentiment de tristesse, éprouvé par Ruy Blas contraste avec son amour sans borne : l’antithèse contenue dans ce vers « vous me maudissez, et moi je vous bénis » (v.7), le confirme.
Au grotesque se mêle le sublime : Ruy Blas et la Reine s’aiment. Celle-ci, voyant son héros mourir, avoue l’inavouable : « Je t’aime ! » (v.21) tandis que Ruy Blas ne cesse de rappeler les oppositions entre eux par des groupes de mots antithétiques : « Que ce pauvre laquais bénisse cette reine » (v.1Cool (laquais et reine s’opposent), « vivant par son amour, mourant, par sa pitié ! » (opposition des participes présents « vivant et mourant »), l’oxymore « cœur crucifié » (v.19) renforce ce constraste.
Ainsi le choix du suicide est la seule voie possible pour aimer et être aimé.

II-Une mort sublime : le triomphe de l’amour
a)Un personnage confronté au mal du siècle

Ruy Blas ne peut échapper à sa condition, c’est ce qui le désespère. Dans une société encore fortement aristocratisée, il n’est que le jouet des puissants, que leur instrument. Il n’est pas considéré par Don Salluste comme un être aimant, aspirant à un idéal, il n’est que le pion qui lui permettra de se venger de la Reine qui a fait exiler son roi.
Le héros est confronté au mal du siècle, sentiment de malaise et d’insatisfaction propre aux personnages romantiques. Il pense ne plus avoir sa place dans ce monde auquel il ne s’identifie plus. Le romantique est avant tout un anticonformiste qui provoque pour masquer son malaise. Ce drame met en scène l’impossibilité d’un amour dans une société de classe : les mots « laquais » et « reine » forment une antithèse (v.17). b)Conséquence de la mort : l’aveu de l’amour de la reine
Cette scène marque la mise à mort de Ruy Blas par lui-même. Il boit un poison dans le but de faire mourir cet amour désespérant. La métaphore « triste flamme » (v.6) renvoie à cet amour déçu, avorté. L’impératif présent « éteins-toi » appelle la mort. Le héros veut en finir avec la souffrance : « Mes maux sont finis » dira-t-il (v.6). Sa douleur se résume dans l’antithèse suivante : « Vous me maudissez et moi je vous bénis ».
Cet acte va faire tomber le masque de la reine qui avouera son amour, mais trop tard. Ruy Blas meurt cependant heureux et prononce un dernier « Merci » avant d’expirer. Conclusion
a)Bilan : Ce texte est révélateur du Mal du siècle, propre au XIXème, et de cette lutte des classes qui empêche aux sentiments d’exister. Ce drame romantique met en scène un impossible amour qui ne peut vivre que dans la mort. C’est la fin de la monarchie qui est symboliquement montrée ici ou voulue. En effet, cette hiérarchie crée une inégalité entre les êtres humains qui ne trouvent plus leur place dans la société et préfèrent donc mourir. Le peuple, représenté par Ruy Blas, possède lui aussi une noblesse d’âme et de cœur que des gens comme Don Salluste n’ont pas.
b)Ouverture, prolongement (sur l’histoire)
A travers cette pièce, on espère l’arrivée de la République et de la démocratie pour faire cesser ces luttes de pouvoir, afin que l’amour ne connaisse plus de barrières hiérarchiques et sociales. Il faudra attendre 1870 pour que la 3èmerépublique s’installe et pour voir la monarchie et l’empire disparaître à jamais.


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Christelle Bouley

 

 

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Date de dernière mise à jour : 27/07/2021

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