LE CONTEXTE HISTORIQUE DU GUÉPARD DE LAMPEDUSA

  
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LE CONTEXTE HISTORIQUE DU GUÉPARD DE LAMPEDUSA

 

 

 

1860-1861

Le Guépard commence en mai 1860, à l’époque de l’expédition des Mille : c’est le début de l’unité de l’Italie.

 

L’Italie est alors morcelée : le sud (Naples) est gouverné par un Bourbon, le roi François II, fils du roi Ferdinand auquel le Guépard se souvient avoir rendu visite dans le premier chapitre (p.28), le nord (Milan) est tenu par les Autrichiens, les États pontificaux sont sous la dépendance du pape, et Turin est la propriété des Savoie.

 

 

Les partisans de l’unité italienne, notamment Garibaldi, se rallient à Victor-Emmanuel II, de la Maison de Savoie, famille conservatrice, catholique et féodale, qui utilise l’idéologie unitaire de gauche. Cette alliance va leur permettre de conquérir toute l’Italie (mis à part le Latium).

 

Le 11 mai 1860, Garibaldi débarque en Sicile, à Marsala, avec 1015 « chemises rouges » :  c’est « l’expédition des Mille » dans laquelle se distingue Tancrède (blessure à l’œil). Garibaldi et ses volontaires chassent de l’île l’armée napolitaine. Garibaldi passe en août sur le continent et prend Naples aux Bourbons. Dictateur à Palerme, il légifère pour rendre la terre aux paysans, mais réprime ensuite sommairement les révoltes paysannes ;  le 17 mars 1861, il reconnaît en Victor-Emmanuel II le roi d’Italie. Tancrède et Cavriaghi disent avoir abandonné les garibaldiens pour s’être ralliés à l’armée régulière (celle de Victor-Emmanuel II) dans le chapitre 4 (p.139). Chevalley, le chevalier piémontais qui vient rendre visite au prince Fabrice dans ce même chapitre, est envoyé par le gouvernement de Turin pour proposer au prince un siège de sénateur, c’est-à-dire aller dans le sens du progrès (voir p. 168). Le Guépard décline l’offre « because we are gods » (relire attentivement cet échange).

 

A cette époque, l’aristocratie est profondément anti-unitaire, d’où la peur du beau-frère du Guépard, Malvica, devant les garibaldiens, à la fin du premier chapitre.

Nice et la Savoie sont cédées à la France contre des provinces nationales, après un plébiscite univoque, comme l’est celui des Siciliens évoqué au chapitre 3. Le 21 octobre 1861, Cavour, ministre de Victor-Emmanuel, organise un énième plébiscite (après Modène, Parme, Naples, la Savoie etc.), pour approuver l’unification : la bourgeoisie montante a besoin d’une monnaie et d’une législation uniques pour développer ses affaires. Sous la pression des notables locaux, clairement dénoncée dans le Guépard, les Siciliens votent massivement en faveur de l’unification : 432 000 oui, 600 non. Ainsi l’unification italienne peut–elle passer pour la volonté d’un peuple combattant pour sa liberté, alors qu’elle est d’abord la revendication par la bourgeoisie montante d’une part du gâteau.

 

 

1861-1876L’Italie est gouvernée par la droite, des monarchistes modérés descendants de Cavour, en majorité piémontais. Turin est la capitale jusqu’en 1865, Florence jusqu’en 1870,  Rome ensuite, puisque Victor-Emmanuel II, profitant de la défaite française, s’est allié aux Autrichiens pour pouvoir s’en emparer.

 

Le système administratif et législatif venu du nord s’étend à toute l’Italie, mais il reste fragile : le peuple est misérable et ignorant (en 1871, sur 26 millions d’Italiens, 62 % des hommes et 75 % des femmes sont analphabètes). La conquête du sud s’apparente à une guerre de Sécession : depuis Rome, les Bourbons subventionnent les révoltes du sud :  ils fomentent des jacqueries organisées au nom du roi et de l’Église. En face d’eux, les régiments du nord,  constitués de piémontais cultivés (voir l’ami de Tancrède, le petit comte Cavriaghi, qui fait la cour à Concetta), découvrent une réalité insoupçonnée, celle que décrit Lampedusa : âpreté des paysages, absence de routes, pauvreté, tyrannie du curé et du hobereau local.

 

En 1862, Garibaldi tente de forcer la main au gouvernement pour l’entraîner dans une guerre d’occupation des provinces austro-hongroises. Mais le gouvernement ordonne à l’armée régulière d’arrêter ses 2000 volontaires :  c’est la bataille d’Aspromonte, page noire de l’histoire italienne, où Garibaldi est blessé, ses officiers jugés et parfois condamnés à mort. Le chapitre 6 du Guépard présente un portrait sans concessions du « vainqueur d’Aspromonte », le colonel Pallavicino, au palais Ponteleone, p. 196-198.

 

En 1866, l’Italie, alliée de la Prusse, déclare la guerre à l’Autriche pour libérer Venise et Trente :  elle lève 220 000 hommes pour lutter contre les 120 000 soldats de l’armée impériale du sud, mais est battue par deux fois, à Custozza le 25 juin, à Lissa le 20 juillet. Garibaldi vainc ensuite les Autrichiens à Bezzeca (paix de Vienne : l’Autriche rend la Vénétie, mais garde Trente et le Trieste).

 

 

Les derniers chapitres du Guépard font allusion à l’expropriation et à la vente des biens ecclésiastiques, et au démantèlement des propriétés féodales, qui avait commencé cinquante ans auparavant sous les règnes de Bonaparte et de Murat, quand l’Italie se trouvait sous domination française (de 1796 à 1815). C’est d’ailleurs l’une des causes du mal-être permanent de Don Fabrice dans l’ensemble du roman que la conscience de cette déchéance.

La propriété terrienne s’embourgeoise, les nobles doivent abandonner leurs privilèges et leurs terres à la nouvelle bourgeoisie foncière qu’incarne le père d’Angélique : fermiers , régisseurs, paysans enrichis exploitent sans pitié (voir don Calogero Sedara dans le roman) un prolétariat rural encore plus pauvre que le précédent. Gramsci définira le Risorgimento comme « une révolution agraire manquée ». Les classes dirigeantes représentent une infime minorité (1 / 2 million d’électeurs jusqu’à la réforme de 1882). En 1869, un impôt sur la farine entraîne des émeutes : jacqueries dans les campagnes, émeutes dans les villes. Le sud est poussé en marge d’un développement dont il fait les frais.

 

 

1883

La droite a perdu le pouvoir en 1876. Pendant une dizaine d’années, le gouvernement Depretis met en place une politique de grandes réformes : instruction élémentaire obligatoire, réforme de la loi électorale (le 20 décembre 1882, le nombre des électeurs passe à deux millions), abandon de l’impôt sur la farine.

 

Le 20 mai 1882, l’Italie signe avec L’Allemagne et l’Autriche le traité de la Triple-Alliance, tranchée conservatrice contre les désordres sociaux et les risques de bouleversement politique : L’Italie renonce aux provinces de Trente et du Trieste. Garibaldi meurt en juin 1882, le prince Salina un an et un mois plus tard (juillet 1883, chapitre 7).

 

Grande crise agricole en 1880-1890 : en 1892, des fasci (associations de travailleurs) réclament le partage des terres ; émeutes en Sicile en 1893, brutalement réprimées par Crispi qui déclare l’état de siège en avril 1894.

Giuseppe Tomasi di Lampedusa, duc de Palma, naît en 1896.

 

A l’extérieur début de la conquête de l’Erythrée (1885-1896) ; tremblements de terre à l’intérieur : septembre 1905 en Calabre, 28 décembre 1908 à Messine en Calabre (84 000 morts).

Le 29 juillet 1900, Humbert Ier, fils de Victor-Emmanuel II, est assassiné à Monza par un anarchiste, Gaetano Bresci. Son frère Victor-Emmanuel III monte sur le trône (il abdiquera en 1946)

 

 

1910

L’Italie proclame sa souveraineté en Libye.

Les dernières représentantes de l’aristocratie sicilienne, les filles de  Don Fabrice, n’ont pas d’avenir : restées vieilles filles, elles vient confinées dans leurs querelles et leurs fausses reliques ; la dépouille mitée de Bendico est le seul témoin de leur prestigieux passé (dernière page du roman).

 

 

 

 
 
 
 

Pour aller plus loin 

Date de dernière mise à jour : 27/02/2021

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