Racine, Phèdre : analyse littéraire de la cruauté dans l'oeuvre

DNBAC

Le texte théâtral dans sa représentation du XVIIe siècle à nos jours. Le théâtre à l'oral EAF

 

OBJET D’ÉTUDE : LE THÉÂTRE

Le texte théâtral dans sa représentation du XVIIe siècle à nos jours

La cruauté dans Phèdre de Jean Racine

 

 

 

Le rapport de force constitue le fond de la plupart des pièces de Racine, et Phèdre ne peut être prise en défaut sur ce plan. Quelle place accorder à l’autre ? quelle vie lui concéder ? quelle identité lui reconnaître ? tels sont les enjeux du théâtre racinien, que l’on retrouve dans Phèdre.

 

—    Il y a tout d’abord une place indiscutable et distributive (d’existence) qui est celle du Père et du roi. Thésée parti, la vacance du trône et surtout de la paternité absolue laisse ouvert un jour au désordre : le fils songe – avec d’infinies précautions – à accéder au statut d’homme ; l’épouse se découvre ou se reconnaît femme, même si c’est dans la culpabilité et le désir de mort. L’absence du Père autorise surtout l’expression, la levée du silence, et par là le surgissement de la tragédie. On pourrait parler d’une cruauté sourde, qui est celle du pouvoir qui s’exerce et de Thésée présent – une cruauté tacite, évidente, et qui peut faire par là l’économie de la parole – et d’une cruauté qui s’affirme et s’affiche quand le poids de la première a disparu. Thésée le héros civilisateur, le pacificateur du monde grec est avant tout dans Phèdre un étouffoir domestique.

 

—    Après l’annonce de la mort de Thésée, une nouvelle cruauté peut encore apparaître, plus banale celle-là, la cruauté du partage du pouvoir, que peuvent se disputer d’une part Phèdre avec son fils, d’autre part Hippolyte et Aricie. Oenone conseille à Phèdre de jouer Hippolyte pour elle et son fils, contre Aricie, mais il est particulièrement significatif que Racine néglige cette ligne de cruauté triviale, et lui préfère la cruauté plus violente du mépris, de l’indifférence et du rejet. La fausse nouvelle de la mort de Thésée dure le temps qu’il est nécessaire à Phèdre pour prendre la parole et essuyer la fin de non recevoir d'Hippolyte. C’est là bien sûr le véritable nœud du drame, puisqu’une fois que Phèdre s’est déclarée, il ne s’agira plus désormais que de rattraper cette parole en trop, puis de la retourner : la cruauté est d’abord relayée par Oenone (en accusant Hippolyte ; III, 3), puis pleinement assumée par Phèdre elle-même quand elle apprend qu’Hippolyte aime Aricie (IV, 5).

 

—    Cruauté enfin de ce qu’il faut appeler le destin, ou les dieux : Thésée à son retour est confirmé dans son statut de héros, il revient du royaume des morts, mais son jugement reste humain et essentiellement soumis à l’erreur : il condamne Hippolyte et fait appel à Neptune (son père, ou son pseudo-père) pour exercer une vengeance à proprement parler aveugle. Thésée parle naturellement et n’a que faire de relais pour s’exprimer. Mais comme celle des autres personnages, sa parole est soumise à l’irréversibilité, et ne peut être reprise : elle va faire surgir un monstre des flots pour tuer son fils et signer son erreur. C’est sur Thésée que pèse essentiellement le destin dans Phèdre : erreurs d’interprétation, incompréhension des signes, mise à mort et perte du plus proche. Mais cette problématique est décentrée, n’occupe pas le devant le scène, n’est pas le sujet de Phèdre.

 

 

 

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