•Les réécritures autour du personnage de Phèdre = réécritures du XVIIe à nos jours

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OBJET D’ÉTUDE : LES RÉÉCRITURES DU XVIIe À NOS JOURS

Réécritures autour du personnage de Phèdre

 

 

  • Texte A : Jean Racine, Phèdre, acte V, scène 7,1677.

  • Texte B : Sonnet attribué au duc de Nevers, 1677.

  • Texte C : Émile Zola, La Curée, chapitre 5, 1872.

  • Texte D : Marcel Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleur, 1919.

  • Annexe : Jean-Louis Barrault, Mise en scène de Phèdre, 1972.

 

Texte A : Jean Racine, Phèdre, acte V, scène 7, 1677.

[Phèdre, issue d'une famille royale maudite par Vénus, est mariée au roi Thésée. Elle éprouve pour Hippolyte, le fils que Thésée a eu d'une première union, un amour considéré comme incestueux. Elle souffre de cet amour et en a fait l'aveu à sa confidente, Œnone. Hippolyte, accusé à tort par Œnone et maudit par son père, est mort traîné par ses chevaux. A la fin de la pièce, Phèdre, mourante, avoue la vérité à Thésée.]

                

  PHÈDRE

Non, Thésée, il faut rompre un injuste silence : Il faut à votre fils rendre son innocence. II n'était point coupable.

                 THÉSÉE

                                Ah ! Père infortuné ! Et c'est sur votre foi que je l'ai condamné ! Cruelle, pensez-vous être assez excusée...

                 PHÈDRE

Les moments me sont chers, écoutez-moi, Thésée. C'est moi qui sur ce fils chaste et respectueux Osai jeter un œil profane, incestueux, Le ciel mit dans mon sein1 une flamme funeste ; La détestable Œnone a conduit tout le reste. Elle a craint qu'Hippolyte, instruit de ma fureur, Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur. La perfide, abusant de ma faiblesse extrême, S'est hâtée à vos yeux de l'accuser lui-même. Elle s'en est punie, et fuyant mon courroux, A cherché dans les flots un supplice trop doux. Le fer aurait déjà tranché ma destinée2; Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée. J'ai voulu, devant vous exposant mes remords, Par un chemin plus lent descendre chez les morts. J'ai pris, j'ai fait couler dans mes brûlantes veines Un poison que Médée apporta dans Athènes. Déjà jusqu'à mon cœur le venin parvenu Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu; Déjà je ne vois plus qu'à travers un nuage Et le ciel, et l'époux que ma présence outrage; Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté, Rend au jour, qu'ils souillaient, toute sa pureté.

                

PANOPE3

Elle expire, seigneur !

                 THÉSÉE

                                D'une action si noire Que ne peut avec elle expirer la mémoire ! Allons, de mon erreur, hélas ! trop éclaircis, Mêler nos pleurs au sang de mon malheureux fils. Allons de ce cher fils embrasser ce qui reste, Expier la fureur d'un vœu que je déteste. Rendons-lui les honneurs qu'il a trop mérités; Et pour mieux apaiser ses mânes4 irrités, Que, malgré les complots d'une injuste famille, Son amante aujourd'hui me tienne lieu de fille.

1. sein : cœur. 2. Phèdre envisageait de se suicider, mais a pensé à l'honneur posthume d'Hippolyte. 3. Panope : suivante (domestique). 4. ses mânes : âme d'Hippolyte.

 

Texte B : Sonnet attribué au duc de Nevers, 1677.

[La même année, un sonnet anonyme circule, critiquant la pièce de Racine.]

 

Dans un fauteuil doré, Phèdre, tremblante et blême Dit des vers où d'abord personne n'entend1 rien. La nourrice lui fait un sermon fort chrétien Contre l'affreux dessein d'attenter à soi-même.

 

Hippolyte la hait presque autant qu'elle l'aime Rien ne change son air, ni son chaste maintien. La nourrice l'accuse ; elle s'en punit bien. Thésée a pour son fils une rigueur extrême.

 

Une grosse Aricie2 au cuir noir3, aux crins blonds, N'est là que pour montrer deux énormes tétons Que, malgré sa froideur, Hippolyte idolâtre.

 

Il meurt enfin, traîné par des coursiers4 ingrats, Et Phèdre, après avoir pris de la mort-aux-rats, Vient en se confessant mourir sur le théâtre.

 

1. entend : comprend. 2. Aricie est la fiancée d'Hippolyte. 3. cuir noir: peau mate. 4. coursiers : chevaux.

 

Texte C : Émile Zola, La Curée, chapitre 5, 1872.

 [Renée est l'épouse d'un riche homme d'affaires, à Paris ; elle devient la maîtresse de Maxime, le fils né d'un premier mariage de son mari, un jeune homme qui passe son temps en sorties mondaines, tout comme sa belle-mère et l'ensemble de cette haute bourgeoisie décadente de la fin du XIXème siècle. Un soir, Renée et Maxime assistent à une représentation de Phèdre, pour y applaudir une actrice italienne à la mode, la Ristori.]

 

Et même ce drame leur causa une émotion particulière, dans cette langue étrangère dont les sonorités leur semblaient, par moments, un simple accompagnement d'orchestre soutenant la mimique des acteurs. Hippolyte était un grand garçon pâle, très médiocre, qui pleurait son rôle. « Quel godiche ! », murmurait Maxime.

Mais la Ristori, avec ses fortes épaules secouées par les sanglots, avec sa face tragique et ses gros bras, remuait profondément Renée. Phèdre était du sang de Pasiphaé1, et elle se demandait de quel sang elle pouvait être, elle, l'incestueuse des temps nouveaux. Elle ne voyait de la pièce que cette grande femme traînant sur les planches le crime antique. Au premier acte, quand Phèdre fait à Œnone la confidence de sa tendresse criminelle; au second, lorsqu'elle se déclare, toute brûlante, à Hippolyte; et, plus tard, au quatrième, lorsque le retour de Thésée l'accable, et qu'elle se maudit, dans une crise de fureur sombre, elle emplissait la salle d'un tel cri de passion fauve, d'un tel besoin de volupté surhumaine, que la jeune femme sentait passer sur sa chair chaque frisson de son désir et de ses remords. « Attends, murmurait Maxime à son oreille, tu vas entendre le récit de Théramène2. Il a une bonne tête, le vieux ! » Et il murmura d'une voix creuse :

A peine nous sortions des portes de Trézène

Il était sur son char...

Mais Renée, quand le vieux parla, ne regarda plus, n'écouta plus. Le lustre l'aveuglait, des chaleurs étouffantes lui venaient de toutes ces faces pâles tendues vers la scène. Le monologue continuait, interminable. Elle était dans la serre3, sous les feuillages ardents, et elle rêvait que son mari entrait, la surprenait aux bras de son fils. Elle souffrait horriblement, elle perdait connaissance, quand le dernier râle de Phèdre, repentante et mourant dans les convulsions du poison, lui fit rouvrir les yeux. La toile tombait. Aurait-elle la force de s'empoisonner, un jour ? Comme son drame était mesquin et honteux à côté de l'épopée antique ! Et tandis que Maxime lui nouait sous le menton sa sortie de théâtre, elle entendait encore gronder derrière elle cette rude voix de la Ristori, à laquelle répondait le murmure complaisant d'Œnone.

1. Pasiphaé : mère de Phèdre, maudite par Vénus. 2. Théramène raconte la mort d'Hippolyte, traîné par ses propres chevaux. 3. Elle s'imagine cher elle, dans la serre où elle a l'habitude de retrouver son amant.

 

 

Texte D : Marcel Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleur, 1919.

Seule l’idée qu’on allait me laisser entendre la Berma me distrayait de mon chagrin. Mais de même que je ne souhaitais voir des tempêtes que sur les côtes où elles étaient les plus violentes, de même je n’aurais voulu entendre la grande actrice que dans un de ces rôles classiques où Swann m’avait dit qu’elle touchait au sublime. Car quand c’est dans l’espoir d’une découverte précieuse que nous désirons recevoir certaines impressions de nature ou d’art, nous avons quelque scrupule à laisser notre âme accueillir à leur place des impressions moindres qui pourraient nous tromper sur la valeur exacte du Beau. La Berma dans Andromaque, dans Les Caprices de Marianne, dans Phèdre, c’était de ces choses fameuses que mon imagination avait tant désirées. J’aurais le même ravissement que le jour où une gondole m’emmènerait au pied du Titien des Frari ou des Carpaccio de San Giorgio dei Schiavoni, si jamais j’entendais réciter par la Berma les vers : « On dit qu’un prompt départ vous éloigne de nous, Seigneur, etc. ». Je les connaissais par la simple reproduction en noir et blanc qu’en donnent les éditions imprimées ; mais mon cœur battait quand je pensais, comme à la réalisation d’un voyage, que je les verrais enfin baigner effectivement dans l’atmosphère et l’ensoleillement de la voix dorée. […]

Enfin, si j’allais entendre la Berma dans une pièce nouvelle, il ne me serait pas facile de juger de son art, de sa diction, puisque je ne pourrais pas faire le départ entre un texte que je ne connaîtrais pas d’avance et ce que lui ajouteraient des intonations et des gestes qui me sembleraient faire corps avec lui ; tandis que les œuvres anciennes, que je savais par cœur, m’apparaissaient comme de vastes espaces réservés et tout prêts où je pourrais apprécier en pleine liberté les inventions dont la Berma les couvrirait, comme à fresque, des perpétuelles trouvailles de son inspiration. Malheureusement, depuis des années qu’elle avait quitté les grandes scènes et faisait la fortune d’un théâtre de boulevard dont elle était l’étoile, elle ne jouait plus de classique, et j’avais beau consulter les affiches, elles n’annonçaient jamais que des pièces toutes récentes, fabriquées exprès pour elle par des auteurs en vogue ; quand un matin, cherchant sur la colonne des théâtres les matinées de la semaine du jour de l’an, j’y vis pour la première fois — en fin de spectacle, après un lever de rideau probablement insignifiant dont le titre me sembla opaque parce qu’il contenait tout le particulier d’une action que j’ignorais — deux actes de Phèdre avec Mme Berma, et aux matinées suivantes Le Demi-Monde, Les Caprices de Marianne, noms qui, comme celui de Phèdre, étaient pour moi transparents, remplis seulement de clarté, tant l’œuvre m’était connue, illuminés jusqu’au fond d’un sourire d’art. Ils me parurent ajouter de la noblesse à Mme Berma elle-même quand je lus dans les journaux après le programme de ces spectacles que c’était elle qui avait résolu de se montrer de nouveau au public dans quelques-unes de ses anciennes créations. Donc, l’artiste savait que certains rôles ont un intérêt qui survit à la nouveauté de leur apparition ou au succès de leur reprise, elle les considérait, interprétés par elle, comme des chefs-d’œuvre de musée qu’il pouvait être instructif de remettre sous les yeux de la génération qui l’y avait admirée, ou de celle qui ne l’y avait pas vue. En faisant afficher ainsi, au milieu de pièces qui n’étaient destinées qu’à faire passer le temps d’une soirée, Phèdre, dont le titre n’était pas plus long que les leurs et n’était pas imprimé en caractères différents, elle y ajoutait comme le sous-entendu d’une maîtresse de maison qui, en vous présentant à ses convives au moment d’aller à table, vous dit au milieu des noms d’invités qui ne sont que des invités, et sur le même ton qu’elle a cité les autres : M. Anatole France.

 

Annexe : Jean-Louis Barrault, Mise en scène de Phèdre, 1972.

  Les lumières. On doit sentir constamment la présence du soleil. L'action commence à l'aube et se termine après le coucher du soleil. Le soleil manifestera d'autant plus intensément sa présence que Sa scène sera traversée de rayons. Jamais ce qu'on appelle un « plein feu » de théâtre ne donnera autant l'impression brûlante du soleil que si celui-ci perce l'atmosphère par des faisceaux lumineux serrés. La présence du soleil se manifeste avec plus de force à travers les fentes d'une persienne qu'en plein milieu d'une plaine où tout, baigné par lui, est aplati.   Que les projecteurs soient « saignants ». Il suffit de fissures justement disposées dans les murs, et à travers lesquelles le soleil s'infiltrera, pour donner une impression de grande luminosité.   Les ombres. Les ombres, elles, doivent avoir des tonalités chaudes. Ce sont elles qui envelopperont la déclaration de Phèdre, ses invocations à Vénus, l'affolement des deux femmes à la scène 3 de l'acte III, le délire de Phèdre au IVe acte, etc.

Si les coins d'ombre et les points de lumière sont bien répartis, le décor est sauvé. Un bout de ciel, néanmoins, doit être réservé. Les personnages sont « enfermés », psychologiquement enveloppés, envoûtés par leurs passions : il nous faut donc devant les yeux un point lointain mais lumineux d'une sortie possible. Un coin de ciel comme un désir permanent.

Pour ce qui concerne l'encadrement de cette atmosphère de noirs et de blancs, on ne peut faire que des recommandations générales. [...] Phèdre est une œuvre classique, il faut être économe. Il ne faut aucun ornement ou accessoire extérieur à l'action.

 

 

 

 

 

 

I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez â la question suivante (4 points)

En quoi les textes B et C sont-ils des formes de réécritures de la tragédie de Racine ?

 

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :

  • Commentaire Vous commenterez le texte A. Racine, Phèdre.

  • Dissertation Quand vous abordez une œuvre, cherchez-vous plutôt la nouveauté et l'originalité, ou appréciez-vous les œuvres qui s'inspirent de situations, de thèmes ou de personnages connus ? Vous proposerez une réflexion organisée sur cette question en veillant à développer des arguments pertinents, soutenus par des exemples variés, empruntés à tous les domaines artistiques si vous le souhaitez, et sans vous limiter aux textes du corpus.

  • Invention Imaginez un extrait de roman dans lequel deux personnages, après avoir assisté à une représentation de Phèdre, réagissent à la mise en scène des derniers moments de l'héroïne. Cette mise en scène, évoquée au cours du dialogue, devra concerner le choix des acteurs, des costumes, du décor, etc... Vous pourrez vous inspirer du document fourni en annexe.

 

 

 

 

 

Pour aller plus loin 

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