•Laclos, construction du personnage à travers la variété des époques et des formes, L'Education des femmes

DNBac

 

OBJET D’ÉTUDE : LE ROMAN

Le personnage de roman du XVIIe à nos jours

Construction du personnage à travers la variété des époques et des formes

Choderlos de Laclos,L'éducation des femmes (1783).

 

 

De l'éducation des femmes a été écrit par Laclos dans le cadre de la question proposée par l'Académie de Châlons-sur-Marne en 1783. Laclos explique pourquoi la femme est devenue l'esclave de l'homme et combien il est difficile, voire impossible d'envisager "de perfectionner l'éducation des femmes." Voici deux extraits : le premier qui expose la situation de la femme à l'état de nature et le second qui explique comment la femme, grâce à son art de la séduction, peut dominer l'homme (passage à rapprocher de la lettre 81 des Liaisons dangereuses).

 

Extrait N°1 : chapitre VII De la vieillesse à la mort (pages 85, 86, édition Jérôme Millon)

" [...] Cherchons au moins, dans notre imagination, ce que la société ne nous présente pas. Créons à notre gré une femme parfaitement heureuse, autant au moins que l'humanité le comporte ; ce sera celle qui, née d'une mère tendre, n'aura pas été livrée en naissant aux soins d'une mercenaire ; qui, plus grande, aura été élevée sous les yeux d'une institutrice également indulgente, sage et éclairée qui, sans jamais la contraindre, et sans l'ennuyer de ses leçons, lui aura donné toutes les connaissances utiles et l'aura exemptée de tous les préjugés (tout le contraire de l'éducation reçue par Cécile de Volanges); qui, parvenue à cet âge du plaisir, aura trouvé pour époux un homme toujours nouveau, amoureux sans être jaloux, assidu sans être importun (tout ce que ne sera pas VaLmont); qui, devenue mère à son tour, aura goûté la douceur de l'amour maternel, sans en ressentir les inquiétudes perpétuelles, souvent suivies d'un affreux désespoir ( cf le désespoir de Madame de Volanges quand sa fille prononce ses voeux); dont l'imagination sage aura su, en vieillissant, éviter la maladie et les ridicules (tout ce qu'est pas madame de Merteuil), qui, enfin, saura voir la mort sans effroi et s'endormir paisiblement de son dernier sommeil (= peut-être madame de Rosemonde ?) ; qui, exempte de chagrins personnels, n'en recevra point d'étrangers ; dont la fortune sera telle, qu'abondamment pourvue du nécessaire, elle ne soit jamais embarrassée d'un superflu qu'elle ne désire point ; qui vivra sans ambition comme sans crainte ; qui, après avoir eu la plus grande sensibilité pour le plaisir, trouvera dans la douleur ou dans les privations le stoïcisme le plus philosophique. Mais cette femme n'est-elle pas une chimère ? Non, c'est trait pour trait, et seulement sous d'autres mots, l'histoire fidèle de la femme dans l'état de nature. On s'obstine pourtant à nous dire (cf. Buffon, Voltaire) : cet état n'a jamais existé, il est impossible, il est invraisemblable. Cette question mérite d'être discutée.    

 

 

Extrait N°2 : chapitre X, Des premiers effets de la société (pages 105, 110)

La nature ne crée que des êtres libres ; la société ne fait que des tyrans et des esclaves ; toute société suppose un contrat, tout contrat une obligation respective. [...] il suit de là que, toute convention faite entre deux sujets inégaux en force, ne produit, ne peut produire qu'un tyran et un esclave, il suit encore de là que, dans l'union des deux sexes, les femmes généralement plus faibles ont dû être généralement opprimées. [...] Les femmes manquant de force ne purent défendre et conserver leur existence civile : compagne de nom, elles devinrent bientôt esclaves de fait, et esclaves malheureuses ; leur sort ne dut être guère meilleur que celui des Noirs de nos colonies. [...] cet état dura dans toute sa force jusqu'à ce que l'expérience d'une longue suite de siècles leur eût appris à substituer l'adresse à la force. Elles sentirent enfin que, puisqu'elles étaient plus faibles, leur unique ressource était de séduire ; elles connurent que si elles étaient dépendantes des hommes par la force, ils pouvaient le devenir d'elles par le plaisir (cf. la relation Valmont/Mme de Merteuil). Plus malheureuses que les hommes, elles durent penser et réfléchir plus tôt qu'eux ; elles surent les premières que le plaisir restait toujours au-dessous de l'idée qu'on s'en formait, et que l'imagination allait plus loin que la nature. Ces premières vérités connues, elles apprirent d'abord à voiler leurs appas pour éveiller la curiosité ; elles pratiquèrent l'art pénible de refuser, lors même qu'elles désiraient de consentir ; de ce moment elles surent allumer l'imagination des hommes, elles surent à leur gré faire naître et diriger les désirs : ainsi naquirent la beauté et l'amour* ; alors le sort des femmes s'adoucit, non qu'elles soient parvenues à s'affranchir entièrement de l'état d'oppression où les condamna leur faiblesse ; mais dans l'état de guerre perpétuelle qui subsiste entre elles et les hommes, on les a vues, à l'aide des caresses qu'elle ont su créer, combattre sans cesse, vaincre quelquefois, et souvent, plus adroites, tirer avantage des forces même dirigées contre elles ; quelquefois aussi les hommes ont tourné contre elles-mêmes ces armes, et leur esclavage en est devenu plus dur. De la beauté et de l'amour naquit la jalousie ; ces trois illusions ont totalement changé l'état respectif des hommes et des femmes, elles sont devenues la base et le garant de tout contrat passé entre eux.

    * : [...]nous parlons de la beauté de choix et de l'amour exclusif.

 

 

 

 

 

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