• Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen-âge à nos jours. Groupement : qu'est-ce que la poésie?

DNBAC

 

 

 

OBJET D’ÉTUDE : LA POÉSIE

Écriture poétique et quête du sens, du Moyen-âge à nos jours

 

SÉQUENCE  : Qu’est-ce que la poésie ?

Problématique

retenue

Questions

complémentaires

- Quelle définition peut-on donner de la poésie ?

- Du classicisme à la modernité poétique.

- L’origine de l’inspiration poétique.

- Le poème en prose et la prose poétique.

- Le mythe d’Orphée – les poètes maudits.

 

 

Lectures

analytiques

  • LA 23 : Chanter l’amour et ses souffrances (le blason).

Joachim Du Bellay, L’Olive, « Les cheveux d’or » (1549).

  • LA 24 : Pleurer la disparition de la femme aimée.

Hugo, Les Contemplations, « Demain, dès l’aube » (1847).

  • LA 25 : Critiquer la guerre.

Rimbaud, Cahier de Douai, « Le Dormeur du Val » (1870).

  • LA 26 : Permettre la rêverie poétique.

Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Parfum exotique » (1861).

  • LA 27 : Faire naître la poésie d’un élément prosaïque.

Francis Ponge, Le Parti-pris des choses, « Le Pain » (1942).

Lecture

cursive

obligatoire

Problématique retenue : dans quelle mesure Charles Baudelaire a-t-il participé au renouvellement de la forme poétique ?

  • Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris (1869).

 

Textes abordés en lecture

cursive en classe

LC30 : Charles Baudelaire, projet de préface des Fleurs du mal (1868).

LC31 : Alfred de Vigny, préface de Chatterton (1835).

LC32 : Arthur Rimbaud, « Lettre à Paul Demeny », dite « du voyant » (15 mai 1871).

LC33 : Arthur Rimbaud, Une Saison en enfer, « Alchimie du verbe » (1873).

LC34 : Jean Cocteau, Le Rappel à l’ordre (1926).

LC35 : Paul Éluard, L’Évidence poétique (1939).

Lectures

complémentaires conseillées

- Marianne Chomienne, La Poésie sous toutes ses formes (anthologie).

- Jean Cocteau, Orphée (1925).

 

 

Activités

 

  • Groupement de textes : Qu’est-ce que la poésie ? : Nicolas Boileau, Art poétique (1674) ; Paul Verlaine, Art poétique (1874) ; Hugo, Les Contemplations, livre premier, VII, « Réponse à un acte d’accusation » (1856) ; Raymond Queneau, L'instant fatal, « Un poème » (1948), Le Chien à la mandoline, « Pour un art poétique » (1958).

  • Groupement de textes sur la figure du poète : Gérard de Nerval, Les Chimères, « El Desdichado » (1864) ; Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, « Le vieux saltimbanque », « L’Étranger » (1869) ; Tristan Corbière, Les Amours jaunes, « Le crapaud » (1873) ; Alfred de Musset, Poésies, « La Nuit de mai », « Le Pélican » (1835) ; Leconte de Lisle, Poèmes barbares, « Les montreurs » (1862) ; Victor Hugo, Les Rayons et les ombres, « Fonction du poète » (1830) ; Théophile Gautier, España, « Le Pin des Landes » (1845) ; « Le Poète et la foule » (1845).

  • Groupement sur la modernité poétique : Baudelaire, Les Fleurs du Mal, section de "Tableaux parisiens", "Crépuscule du matin" (1868) ; Baudelaire, Le Spleen de Paris, "Le joujou du pauvre" (1869) ; Émile Verhaeren, Les Villes tentaculaires, "Les Usines" (1895), extrait ; Apollinaire, Alcools, "Zone" (1913), extrait ; Francis PONGE, Le parti pris des choses, "Le compliment fait à l'industriel" (1842).

  • Sujet d’invention : 1)Écrivez, à la manière de Francis Ponge, un poème en prose sur le compas. 2) Rédigez la première page d’une revue qui prône l’engagement poétique.

  • Commentaires littéraires : Robert Desnos, « J’ai tant rêvé de toi » ; Charles Baudelaire, « L’Albatros ».

  • Dissertations : 1) La vocation de la poésie est-elle de célébrer l’amour ? 2) La rébellion contre l’héritage des poètes classiques est-elle indispensable à la création poétique ? 3) La poésie doit-elle nécessairement être un art engagé ?

 

Ouvertures

culturelles

et artistiques

  • Études picturales :

- Aelbert Cuyp, Orphée et les animaux (1640).

- Jean-Baptiste-Camille Corot, Orphée guidant Eurydice hors des enfers (1861).

- Gustave Moreau, Fille de Thrace portant la tête d'Orphée (1865).

  • Études cinématographiques :

- Jean Cocteau, Orphée (1850).

- Marc Rivière, Rimbaud, l’homme aux semelles de vent (2009).

 

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Écriture poétique et quête du sens, du Moyen-âge à nos jours

LC : Charles Baudelaire, projet de préface des Fleurs du mal (1868).

 

 

Ce n’est pas pour mes femmes, mes filles ou mes sœurs que ce livre a été écrit ; non plus que pour les femmes, les filles ou les sœurs de mon voisin. Je laisse cette fonction à ceux qui ont intérêt à confondre les bonnes actions avec le beau langage.

Je sais que l’amant passionné du beau style s’expose à la haine des multitudes ; mais aucun respect humain, aucune fausse pudeur, aucune coalition, aucun suffrage universel ne me contraindront à parler le patois incomparable de ce siècle, ni à confondre l’encre avec la vertu.

Des poètes illustres s’étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poétique. Il m’a paru plaisant, et d’autant plus agréable que la tâche était plus difficile, d’extraire la beauté du Mal. Ce livre, essentiellement inutile et absolument innocent, n’a pas été fait dans un autre but que de me divertir et d’exercer mon goût passionné de l’obstacle.

Quelques-uns m’ont dit que ces poésies pouvaient faire du mal ; je ne m’en suis pas réjoui. D’autres, de bonnes âmes, qu’elles pouvaient faire du bien ; et cela ne m’a pas affligé. La crainte des uns et l’espérance des autres m’ont également étonné, et n’ont servi qu’à me prouver une fois de plus que ce siècle avait désappris toutes les notions classiques relatives à la littérature.

Malgré les secours que quelques cuistres célèbres ont apportés à la sottise naturelle de l’homme, je n’aurais jamais cru que notre patrie pût marcher avec une telle vélocité dans la voie du progrès. Ce monde a acquis une épaisseur de vulgarité qui donne au mépris de l’homme spirituel la violence d’une passion. Mais il est des carapaces heureuses que le poison lui-même n’entamerait pas.

J’avais primitivement l’intention de répondre à de nombreuses critiques, et, en même temps, d’expliquer quelques questions très simples, totalement obscurcies par la lumière moderne : Qu’est-ce que la poésie ? Quel est son but ? De la distinction du Bien d’avec le Beau ; de la Beauté dans le Mal ; que le rythme et la rime répondent dans l’homme aux immortels besoins de monotonie, de symétrie et de surprise ; de l’adaptation du style au sujet ; de la vanité et du danger de l’inspiration, etc., etc. ; mais j’ai eu l’imprudence de lire ce matin quelques feuilles publiques ; soudain, une indolence, du poids de vingt atmosphères, s’est abattue sur moi, et je me suis arrêté devant l’épouvantable inutilité d’expliquer quoi que ce soit à qui que ce soit. Ceux qui savent me devinent, et pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas comprendre, j’amoncèlerais sans fruit les explications.

 

Alfred de Vigny, préface de Chatterton, 1835 : Ecriture poétique et quête du sens

 

 

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Écriture poétique et quête du sens, du Moyen-âge à nos jours

LC  : Alfred de Vigny, préface de Chatterton (1835).

 

 

Mais il est une autre sorte de nature, nature plus passionnée, plus pure et plus rare. Celui qui vient d’elle est inhabile à tout ce qui n’est pas l’œuvre divine, et vient au monde à de rares intervalles, heureusement pour lui, malheureusement pour l’espèce humaine. Il y vient pour être à charge aux autres, quand il appartient complètement à cette race exquise et puissante qui fut celle des grands hommes inspirés. — L’émotion est née avec lui si profonde et si intimes qu’elle l’a plongé, dès l’enfance, dans des extases involontaires, dans des rêveries interminables, dans des inventions infinies. L’imagination le possède par-dessus tout. Puissamment construite, son âme retient et juge toute chose avec une large mémoire et un sens droit et pénétrant; mais l’imagination emporte ses facultés vers le ciel aussi irrésistiblement que le ballon enlève la nacelle. Au moindre choc elle part, au plus petit souffle elle vole et ne cesse d’errer dans l’espace qui n’a pas de routes humaines. Fuite sublime vers des mondes inconnus, vous devenez l’habitude invincible de son âme ! Dès lors, plus de rapports avec les hommes qui ne soient altérés et rompus sur quelques points. Sa sensibilité est devenue trop vive; ce qui ne fait qu’effleurer les autres la blesse jusqu’au sang; les affections et les tendresses de sa vie sont écrasantes et disproportionnées; ses enthousiasmes excessifs l’égarent; ses sympathies sont trop vraies; ceux qu’il plaint souffrent moins que lui, et il se meurt des peines des autres. Les dégoûts, les froissements et les résistances de la société humaine le jettent dans des abattements profonds, dans de noires indignations, dans des désolations insurmontables, parce qu’il comprend tout trop complètement et trop profondément, et parce que son œil va droit aux causes qu’il déplore ou dédaigne, quand d’autres yeux s’arrêtent à l’effet qu’ils combattent. De la sorte, il se tait, s’éloigne, se retourne sur lui-même et s’y renferme comme en un cachot. Là, dans l’intérieur de sa tête brûlée, se forme et s’accroît quelque chose de pareil à un volcan. Le feu couve sourdement et lentement dans ce cratère, et laisse échapper ses laves harmonieuses, qui d’elles-mêmes sont jetées dans la divine forme des vers. Mais le jour de l’éruption, le sait-il ? On dirait qu’il assiste en étranger à ce qui se passe en lui-même, tant cela est imprévu et céleste ! Il marche consumé par des ardeurs secrètes et des langueurs inexplicables. Il va comme un malade et ne sait où il va; il s’égare trois jours, sans savoir où il s’est traîné, comme fit jadis celui qu’aime le mieux la France; il a besoin de ne rien faire, pour faire quelque chose en son art. Il faut qu’il ne fasse rien d’utile et de journalier pour avoir le temps d’écouter les accords qui se forment lentement dans son âme, et que le bruit grossier d’un travail positif et régulier interrompt et fait infailliblement évanouir. — C’est LE POÈTE. —

 

 

Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, Ecriture poétique et quête du sens

 

 

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Écriture poétique et quête du sens, du Moyen-âge à nos jours

LC  : Arthur Rimbaud, « Lettre à Paul Demeny », (1871).

 

Voici de la prose sur l'avenir de la poésie.

Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque, Vie harmonieuse. - De la Grèce au mouvement romantique, moyen âge, - il y a des lettres, des versificateurs. D'Ennius à Theroldus, de Theroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d'innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. - On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd'hui aussi ignoré que le premier venu auteur d'Origines. - Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans !

Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m'inspire plus de certitudes sur le sujet que n'aurait jamais eu de colères un Jeune-France. Du reste, libre auxnouveaux d'exécrer les ancêtres : on est chez soi et l'on a le temps.

On n'a jamais bien jugé le romantisme. Qui l'aurait jugé ? Les Critiques ! ! Les Romantiques, qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l'œuvre, c'est-à-dire la pensée chantée etcomprise du chanteur?

Car JE est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est évident . J'assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute : je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène.

Si les vieux imbéciles n'avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n'aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les auteurs !

En Grèce, ai-je dit, vers et lyres, rythment l'Action. Après, musique et rimes sont jeux, délassements. L'étude de ce passé charme les curieux : plusieurs s'éjouissent à renouveler ces antiquités : -c'est pour eux. L'intelligence universelle a toujours jeté ses idées naturellement ; les hommes ramassaient une partie de ces fruits du cerveau ; on agissait par, on en écrivait des livres : telle allait la marche, l'homme ne se travaillant pas, n'étant pas encore éveillé, ou pas encore dans la plénitude du grand songe. Des fonctionnaires, des écrivains. Auteur, créateur, poète, cet homme n'a jamais existé !

La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière. Il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il la doit cultiver : cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel ; tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel ! - Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse : à l'instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur le visage.

Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.

Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! - Car il arrive à l'inconnu ! - Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à l'inconnu ; et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé!

 

Arthur Rimbaud, Cahier de Douai, le Dormeur du val. Ecriture poétique et quête du sens

 

 

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Écriture poétique et quête du sens, du Moyen-âge à nos jours

LA  Arthur Rimbaud, Cahier de Douai, « Le Dormeur du val » (1870).

 

 

 

Le dormeur du val1

 

C'est un trou de verdure où chante une rivière,

Accrochant follement aux herbes des haillons

2 D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,

Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. 4


Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

6 Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,

Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. 8


Les pieds dans les glaïeuls, il dort.Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme :

10 Nature, berce-le chaudement : il a froid.


Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; 12

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. 14

 

 

 

 

1 Arthur Rimbaud  a écrit ce poème à seize ans lors de la guerre franco-prussienne (1870-1871).

 

 

Jean Cocteau, le Rappel à l'ordre. Ecriture poétique et quête du sens. Objet d'étude la poésie, série L

 

 

OBJET D’ÉTUDE : LA POÉSIE

Écriture poétique et quête du sens, du Moyen-âge à nos jours

LC : Jean Cocteau, Le Rappel à l’ordre (1936).

 

 

 

On a coutume de présenter la poésie comme une dame voilée, langoureuse, étendue sur un nuage. Cette dame a une voix musicale et ne dit que des mensonges. Maintenant, connaissez-vous la surprise qui consiste à se trouver soudain en face de son propre nom comme s’il appartenait à un autre, à voir, pour ainsi dire, sa forme et à entendre le bruit de ses syllabes sans l’habitude aveugle et sourde que donne une longue intimité? Le sentiment qu’un fournisseur, par exemple, ne connaît pas un mot qui nous paraît si connu, nous ouvre les yeux, nous débouche les oreilles. Un coup de baguette fait revivre le lieu commun. Il arrive que le même phénomène se produise pour un objet, un animal. L’espace d’un éclair, nous «voyons » un chien, un fiacre, une maison, « pour la première fois ». Tout ce qu’ils présentent de spécial, de fou, de ridicule, de beau nous accable. Immédiatement après, l’habitude frotte cette image puissante avec sa gomme. Nous caressons le chien, nous arrêtons le fiacre, nous habitons la maison. Nous ne les voyons plus. Voilà le rôle de la poésie. Elle dévoile, dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement. 

Inutile de chercher au loin des objets et des sentiments bizarres pour surprendre le dormeur éveillé. C’est là le système du mauvais poète et ce qui nous vaut l’exotisme. Il s’agit de lui montrer ce sur quoi son cœur, son œil glissent chaque jour, sous un angle et avec une vitesse tels qu’il lui paraît le voir et s’en émouvoir pour la première fois. Voilà bien la seule création permise à la créature. Car s’il est vrai que la multitude des regards patine les statues, les lieux communs, chefs-d’œuvre éternels, sont recouverts d’une épaisse patine qui les rend invisibles et cache leur beauté. Mettez un lieu commun en place, nettoyez-le, frottez-le, éclairez-le de telle sorte qu’il frappe avec sa jeunesse et avec la même fraîcheur, le même jet qu’il avait à sa source, vous ferez œuvre de poète. 

 

 

Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen-âge à nos jours : groupement sur la modernité poétique. Objet d'étude : la poésie

 

 

OBJET D’ÉTUDE : LA POÉSIE

Écriture poétique et quête du sens, du Moyen-âge à nos jours

Groupement sur la modernité poétique

 

 

Texte 1 :Baudelaire, Les Fleurs du Mal, section de "Tableaux parisiens", "Crépuscule du matin" (1868).

Texte 2 : Baudelaire, Le Spleen de Paris, "Le joujou du pauvre" (1869)

Texte 3 : Émile Verhaeren, Les Villes tentaculaires, "Les Usines" (1895), extrait.

Texte 4 : Apollinaire, Alcools, "Zone" (1913), extrait.

Texte 5 : Francis PONGE, Le parti pris des choses, "Le compliment fait à l'industriel" (1842).

 

 

Baudelaire, Les Fleurs du Mal, section de "Tableaux parisiens", "Crépuscule du matin" (1868)

 

La diane chantait dans les cours des casernes, Et le vent du matin soufflait sur les lanternes.

C'était l'heure où l'essaim des rêves malfaisants Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents ; Où, comme un œil sanglant qui palpite et qui bouge, La lampe sur le jour fait une tache rouge ; Où l'âme, sous le poids du corps revêche et lourd, Imite les combats de la lampe et du jour. Comme un visage en pleurs que les brises essuient, L'air est plein du frisson des choses qui s'enfuient, Et l'homme est las d'écrire et la femme d'aimer.

Les maisons çà et là commençaient à fumer. Les femmes de plaisir, la paupière livide, Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide ; Les pauvresses, traînant leurs seins maigres et froids, Soufflaient sur leurs tisons et soufflaient sur leurs doigts. C'était l'heure où parmi le froid et la lésine S'aggravent les douleurs des femmes en gésine ; Comme un sanglot coupé par un sang écumeux Le chant du coq au loin déchirait l'air brumeux ; Une mer de brouillards baignait les édifices, Et les agonisants dans le fond des hospices Poussaient leur dernier râle en hoquets inégaux. Les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux.

L'aurore grelottante en robe rose et verte S'avançait lentement sur la Seine déserte, Et le sombre Paris, en se frottant les yeux, Empoignait ses outils, vieillard laborieux.

 

 

Baudelaire, Le Spleen de Paris, "Le joujou du pauvre" (1869).

 

Je veux donner l'idée d'un divertissement innocent. Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables!

Quand vous sortirez le matin avec l'intention décidée de flâner sur les grandes routes, remplissez vos poches de petites inventions d'un sol, - telles que le polichinelle plat mû par un seul fil, les forgerons qui battent l'enclume, le cavalier et son cheval dont la queue est un sifflet, - et le long des cabarets, au pied des arbres, faites-en hommage aux enfants inconnus et pauvres que vous rencontrerez. Vous verrez leurs yeux s'agrandir démesurément. D'abord ils n'oseront pas prendre; ils douteront de leur bonheur. Puis leurs mains agripperont vivement le cadeau, et ils s'enfuiront comme font les chats qui vont manger loin de vous le morceau que vous leur avez donné, ayant appris à se défier de l'homme.

Sur une route, derrière la grille d'un vaste jardin, au bout duquel apparaissait la blancheur d'un joli château frappé par le soleil, se tenait un enfant beau et frais, habillé de ces vêtements de campagne si pleins de coquetterie. Le luxe, l'insouciance et le spectacle habituel de la richesse, rendent ces enfants-là si jolis, qu'on les croirait faits d'une autre pâte que les enfants de la médiocrité ou de la pauvreté. A côté de lui, gisait sur l'herbe un joujou splendide, aussi frais que son maître, verni, doré, vêtu d'une robe pourpre, et couvert de plumets et de verroteries. Mais l'enfant ne s'occupait pas de son joujou préféré, et voici ce qu'il regardait :

De l'autre côté de la grille, sur la route, entre les chardons et les orties, il y avait un autre enfant, pâle, chétif, fuligineux, un de ces marmots-parias dont un œil impartial découvrirait la beauté, si, comme œil du connaisseur devine une peinture idéale sous un vernis de carrossier, il le nettoyait de la répugnante patine de la misère.

A travers ces barreaux symboliques séparant deux mondes, la grande route et le château, l'enfant pauvre montrait à l'enfant riche son propre joujou, que celui-ci examinait avidement comme un objet rare et inconnu. Or, ce joujou, que le petit souillon agaçait, agitait et secouait dans une boîte grillée, c'était un rat vivant! Les parents, par économie sans doute, avaient tiré le joujou de la vie elle-même.

Et les deux enfants se riaient l'un à l'autre fraternellement, avec des dents d'une égale blancheur.

 

 

Émile Verhaeren, Les Villes tentaculaires, "Les Usines" (1895), extrait.

 

Automatiques et minutieux, Des ouvriers silencieux Règlent le mouvement D'universel tictacquement Qui fermente de fièvre et de folie Et déchiquette, avec ses dents d'entêtement, La parole humaine abolie.

Plus loin, un vacarme tonnant de chocs Monte de l'ombre et s'érige par blocs ; Et, tout à coup, cassant l'élan des violences, Des murs de bruit semblent tomber Et se taire, dans une mare de silence, Tandis que les appels exacerbés Des sifflets crus et des signaux Hurlent soudain vers les fanaux, Dressant leurs feux sauvages, En buissons d'or, vers les nuages.

Et tout autour, ainsi qu'une ceinture, Là-bas, de nocturnes architectures, Voici les docks, les ports, les ponts, les phares Et les gares folles de tintamarres ; Et plus lointains encor des toits d'autres usines Et des cuves et des forges et des cuisines Formidables de naphte et de résines Dont les meutes de feu et de lueurs grandies Mordent parfois le ciel, à coups d'abois et d'incendies.

 

 

Apollinaire, Alcools, "Zone" (1913), extrait.

 

A la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine

Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes La religion seule est restée toute neuve la religion Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D'entrer dan une église et de t'y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventure policières Portraits des grands hommes et mille titres divers

 

 

Francis PONGE, Le parti pris des choses, "Le compliment fait à l'industriel" (1842).

Sire, votre cerveau peut paraître pauvre, meublé de tables plates, de lumières coniques tirant sur des fils verticaux, de musiques à cribler l'esprit commercial,

mais votre voiture, autour de la terre, promène visiblement Paris, comme un gilet convexe, barré d'un fleuve de platine, où pend la tour Eiffel avec d'autres breloques célèbres,

et lorsque, revenant de vos usines, déposées au creux des campagnes comme autant de merdes puantes, vous soulevez une tapisserie et pénétrez dans vos salons,

plusieurs femmes viennent à vous, vêtues de soie, comme des mouches vertes.

 

 

Question d’ensemble : en quoi ces différents poèmes vous semblent-ils appartenir à la modernité ?

 

 

 

 


 

 

français  2018

Pour aller plus loin 

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