commentaire, tirade du Mendiant d’Électre II,9 Giraudoux. En quoi la tirade du mendiant se situe t'-elle entre tradition et innovation ?

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Commentaire littéraire Giraudoux, Electre, II, 9

La tirade du mendiant

Lecture de la scène 9 de l'acte II

Giraudoux, Électre ( Acte II, sc.9 ), 1937 La pièce de Giraudoux Électre est une réécriture moderne du célèbre mythe antique Électre. Ce passage est extrait de l’acte II scène 9, avant-dernière scène de la pièce ; il est précédé du récit, fait par le mendiant, de la mort d’Agamemnon (père d’Électre et d’Oreste), assassiné sept ans plus tôt par Clytemnestre (leur mère) et Égisthe (son amant). Oreste découvrant que les coupables sont sa propre mère et son amant, décide d’aller venger son père et demande au mendiant d’en faire le récit.

Acte II – Scène 9 Électre, La femme Narsès, Le Mendiant, Oreste

LA FEMME NARSES Si tu racontais, toi ! Tout sera fi ni que nous ne saurons rien !

LE MENDIANT Une minute, il les cherche. Voilà ! Il les rejoint !

LA FEMME NARSES Oh ! Moi, je peux attendre. C’est doux de la toucher, cette petite Électre. Je n’ai que des garçons, des bandits. Heureuses les mères qui ont des filles !

ELECTRE Oui…Heureuses…On a crié, cette fois !

LA FEMME NARSES Oui, ma fille.

LE MENDIANT (reprise de la tirade du mendiant)

LE MENDIANT

Alors voici la fi n. La femme Narsès et les mendiants délièrent Oreste. Il se précipita à travers la cour. Il ne toucha même pas, il n’embrassa même pas Électre. Il a eu tort. Il ne la touchera jamais plus. Et il atteignit les assassins comme ils parlementaient avec l’émeute, de la niche en marbre. Et comme Égisthe penché disait aux meneurs que tout allait bien, et que tout désormais irait bien, il entendit crier dans son dos une bête qu’on saignait. Et ce n’était pas une bête qui criait, c’était Clytemnestre. Mais on la saignait. Son fils la saignait. Il avait frappé au hasard sur le couple, en fermant les yeux. Mais tout est sensible et mortel dans une mère, même indigne. Et elle n’appelait ni Électre, ni Oreste, mais sa dernière fi lle Chrysothémis, si bien qu’Oreste avait l’impression que c’était une autre mère, une mère innocente qu’il tuait. Et elle se cramponnait au bras droit d’Égisthe. Elle avait raison, c’était sa seule chance désormais dans la vie de se tenir un peu debout. Mais elle empêchait Égisthe de dégainer. Il la secouait pour reprendre son bras, rien à faire. Et elle était trop lourde aussi pour servir de bouclier. Et il y avait encore cet oiseau qui le giflait de ses ailes et l’attaquait du bec. Alors il lutta. Du seul bras gauche sans armes, une reine morte au bras droit avec colliers et pendentifs, désespéré de mourir en criminel quand tout de lui était devenu pur et sacré, de combattre pour un crime qui n’était plus le sien et, dans tant de loyauté et d’innocence, de se trouver l’infâme en face de ce parricide, il lutta de sa main que l’épée découpait peu à peu, mais le lacet de sa cuirasse se prit dans une agrafe de Clytemnestre, et elle s’ouvrit. Alors il ne résista plus, il secouait seulement son bras droit, et l’on sentait que s’il voulait maintenant se débarrasser de la reine, ce n’était plus pour combattre seul, mais pour mourir seul, pour être couché dans la mort loin de Clytemnestre. Et il n’y est pas parvenu. Et il y a pour l’éternité un couple Clytemnestre-Égisthe. Mais il est mort en criant un nom que je ne dirai pas

LA VOIX D’ÉGISTHE, au-dehors Électre…

LE MENDIANT J’ai raconté trop vite. Il me rattrape

Travail d’écriture ( 14 points )

▶ Commentaire de texte Vous ferez le commentaire de la tirade du Mendiant dans l’extrait d’Électre de Jean Giraudoux

Plan

I – Un récit dans les normes des conventions théâtrales

II – Une réécriture de Giraudoux = Une modernisation du récit et du tragique

Problématique =

En quoi la tirade du mendiant se situe t'-elle entre tradition et innovation ?

Introduction

Electre de Giraudoux est une pièce de théâtre, une réécriture moderne du mythe antique d'Electre. Nous étudierons un extrait de l'acte II de la scène 9 qui est l'avant dernière scène de la pièce, la tirade du mendiant, récit fait par ce dernier de la mort d'Agamemnon, le père d'Electre et d'Oreste assassiné par Clytemnestre et Egisthe. Le mendiant dans la scène qui nous intéresse fait le récit d'une vengeance, Oreste venge son père assassiné par sa mère et son amant. Il demande au mendiant d'en faire le récit. Le thème de l'assassinat au théâtre est récurrent chez les dramaturges, il s'effectue parfois en direct avec Lorenzaccio de Musset ou dans les coulisses avec Horaces de Corneille mais dans notre passage, l'assassinat est rapporté par le mendiant. La scène s'ouvre sur une certaine violence = Clytemnestre et Égisthe assassinent Agamemnon par traîtrise dans le cadre d'un «guet-apens » dans le but de prendre le pouvoir, la scène 9 fait le récit d'une vengeance. Nous nous demanderons en quoi la tirade du mendiant se situe entre tradition et innovation et pour répondre à notre question, nous verrons dans un premier temps, que tout en respectant les normes et les conventions théâtrales vers une efficacité dramatique, le récit est l'objet d'une réécriture de Giraudoux donc d'une modernisation du mythe

Plan du commentaire

I – Un récit dramatisé dans les normes des conventions théâtrales

II – Une réécriture de Giraudoux = Une modernisation du mythe

I – Un récit dramatisé dans les normes des conventions théâtrales

Le récit s'ouvre sur une double violence, meurtre et parricide. Hors nous savons que les règles de la bienséance interdisent les scènes de crimes, d'horreur pouvant choquer le spectateur, certes le récit relate bien une scène horrible de manière réaliste, certaines parties du corps sont évoquées, «bras », plusieurs occurrences «bras droit », « main » et sont évocatrices de la dislocation du corps de la victime. L'accent est mis sur les blessures avec le champ lexical du sang « bête qu’on saignait », « on la saignait », « Son fils la saignait » avec un effet d'animalisation qui renforce la violence des coups donnés et la douleur suggérée des coups reçus «entendit crier », « une bête qu’on saignait », « Et ce n’était pas une bête qui criait ».

Le mendiant mentionne l'arme du crime, « l'épée » qui permet au lecteur de visualiser la progression de la scène jusque dans le découpage de la main de la victime « il lutta de sa main que l’épée découpait peu à peu ». La scène de meurtre admet une certaine violence et s'accompagne d'une lutte que le mendiant rapporte en en décomposant les différentes phases, de la chute à l'agonie jusqu'à la mort « Il avait frappé au hasard sur le couple », «Et elle se cramponnait au bras droit d’Égisthe », «  c’était sa seule chance désormais dans la vie de se tenir un peu debout », « Alors il lutta », « Du seul bras gauche sans armes... de combattre pour un crime qui n’était plus le sien », » il ne résista plus, il secouait seulement son bras droit », «  ce n’était plus pour combattre seul, mais pour mourir seul, pour être couché dans la mort loin de Clytemnestre ». Il y a donc un mouvement qui traverse le récit avant l'agonie d'Agamemnon, puis l'immobilité dans la mort.

La violence est doublée d'un effet sonore qui renforce la dramatisation de la scène jusqu'à l'épouvante : «  il entendit crier dans son dos », « ce n’était pas une bête qui criait », «il est mort en criant un nom ». L'efficacité dramatique est manifeste, le spectateur ressent l'horreur et la pitié, sentiments propres à la tragédie. Le détail auditif, le cri de Clytemnestre met bien en avant le paroxysme de l'horreur du meurtre.

Le récit raconté par le mendiant permet au spectateur d'assister à l'agonie d'Agamemnon de l'intérieur car en effet, le point de vue omniscient rend bien compte des sensations, réactions, impressions et intentions de l'ensemble des personnages.

Le mendiant donne vie à l'agonie du personnage par ses yeux de victime, il parvient à percer ses intentions et à faire ressentir au spectateur sa volonté de lutter et sa résignation = « Du seul bras gauche, désespéré de mourir en criminel quand tout de lui était devenu pur et sacré, de combattre pour un crime qui n’était plus le sien, il lutta de sa main que l’épée découpait peu à peu », « Alors il ne résista plus, il secouait seulement son bras droit ».

Les temps dans ce récit ont leur importance = La description réaliste du récit dramatisé est rapporté dans le respect des temps du récit, imparfait et passé simple avec peu de repères spatio-temporels « à travers la cour », « dans son dos ». Les repères sont imprécis ainsi que le suggère « alors » en anaphore.

L'imparfait cependant retarde la mort avec un effet croissant d'épouvante = «il y avait encore cet oiseau », «que l'épée découpait peu à peu », «il tuait », « ce n’était plus pour combattre seul, mais pour mourir seul ». On a l'impression que les moments de la scène se découpent et passent au ralenti.

II – Une réécriture de Giraudoux = Une modernisation du mythe

Nous devons souligner l'importance du personnage du mendiant qui s'inscrit dans la tradition antique, héritier du messager auprès des personnages et du public. Il est l'élément essentiel de la modernisation du mythe. C'est un personnage hors du commun, l'équivalent du choeur des tragédies Grecques, il s'y substitue en commentant la situation tout en représentant la raison par rapport aux évènements relatés. C'est la voix du choeur tragique, il incarne les valeurs propres au tragique.

Son récit suggère et exprime des réflexions parfois un peu morales ou philosophiques sous la forme d'un présent de vérité générale « Et il y a pour l’éternité un couple Clytemnestre-Égisthe. Mais il est mort en criant un nom que je ne dirai pas »

Il représente la fonction du choeur antique mais le mendiant est un personnage inventé par Giraudoux, il se situe entre le marginal et le Dieu. Il a certes la clairvoyance car il lit dans les pensées des personnages mais il peut aussi la dépasser par la prophétie, il sait prédire l'avenir. Il avait annoncé qu'Oreste viendrait pour venger son père. Ce personnage donne de la fantaisie à la pièce de Giraudoux tout en la modernisant.

La modernisation du mythe passe aussi par l'image nouvelle que le dramaturge donne de ses héros. Ils s'éloignent des héros épiques homériques jusque dans la mort car elle n'est pas digne. Agamemnon meurt sans aucune dignité, il n'est plus le roi prestigieux d'alors. Egisthe est une simple victime qui lutte et se résigne à mourir « seul, pour être couché dans la mort loin de Clytemnestre. Et il n’y est pas parvenu. »

L' assassin s'acharne sur ses victimes «  Égisthe penché disait aux meneurs que tout allait bien », «  Il avait frappé au hasard sur le couple, en fermant les yeux », « Mais tout est sensible et mortel dans une mère, même indigne. » De Clytemnestre, le spectateur a l'image d'une femme coupable, elle doit fatalement mourir «  avait l’impression que c’était une autre mère, une mère innocente qu’il tuait ». La culpabilité est connotée par l'oiseau, il est synonyme de violence « gifler, attaquer » et met en avant la culpabilité et la mort à venir. Clytemnestre représente la souillure. Egisthe vit la mort avec une certaine grandeur puisqu'il y voit la possibilité de se purifier par la mort, pour cette raison il veut mourir seule loin de Clytemnestre.

L'originalité de Giraudoux tient aussi à sa touche de grotesque et de dérision qui renforce le tragique de la situation ; On peut citer les petits éléments comme « agrafe, lacet », « colliers, pendentifs », « bouclier ».

 

Le renouvellement du tragique chez Giraudoux tient presque exclusivement dans le personnage du mendiant car il incarne l'avenir donc le destin qui connote l'image tragique et la fatalité. Il est doté d'un pouvoir de divination, il sait et le temps ne se déroule que selon sa prophétie, il est détenteur du passé, du présent et du futur. Tout est joué d'avance donc la vengeance était prévisible et déjà annoncé plus tôt dans la pièce.

Le mendiant lie les êtres et les événements par une sorte de transe, de prophétie : "Alors voici la fin." Giraudoux y ajoute une touche ironique moderne : "J’ai raconté trop vite. Il me rattrape."

On retrouve les thèmes tragiques de l'amour, de la passion, de la vengeance, de la haine dans la pièce de Giraudoux mais les héros épiques homériques sont désacralisés, ce qui contribue à la modernisation du mythe tragique.

 

Conclusion

Ainsi, Giraudoux nous propose une scène entre tradition et innovation dans la plus grande efficacité dramatique dans les normes des conventions théâtrales et dans la plus grande modernisation du mythe tragique. Il renouvelle l'image du mythe d'Electre par sa réécriture et suggère ainsi par sa tirade du mendiant, que la nature de l'homme est égale à elle-même. L'homme de la tragédie antique et l'homme de la réécriture de Giraudoux est resté fidèle à lui-même.

 

 

 

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